Culture
Entretien

Corée du Sud : "Le goût du miracle"

Un couple se promène dans l'une des rues du quartier étudiant de Hongdae à Séoul le 20 mars 2016.
Un couple se promène dans l'une des rues du quartier étudiant de Hongdae à Séoul le 20 mars 2016. (Crédits : ED JONES / AFP)
Ce n’est sûrement pas le poids qui fait les meilleurs ouvrages et ce petit livre rose risque fort de vous suivre partout, tant son récit vous entraîne au cœur d’une Asie un brin énervée mais ô combien fascinante. Si, au départ, on peut être freiné par le manque d’inspiration de la couverture – un fond rose pâle piqué de symboles représentant une partie du drapeau sud-coréen et un ordinateur portable -, les premières lignes vous prennent par la main pour ne plus vous lâcher : « J’avais sauté dans un vol de nuit KLM, destination Séoul. Et j’ai atterri sur la lune, raconte Sébastien Falletti au lendemain de son arrivée dans l’hiver coréen. Tout fut intense. Les soirées arrosées au soju, la raideur d’une société régimentée, comme les élans du cœur d’un peuple à fleur de peau. La blancheur glacée des princesses si hautes perchées sur leurs talons, comme les nuits blanches à couvrir les derniers tirs de missiles nord-coréens. »
Au-delà du copieux programme des années France-Corée et de sa moisson de titres sur le pays des nuits bouillonnantes, ce Goût du miracle va donc plus loin qu’un énième essai journalistique sur la Corée du Sud. Falletti a bien fait de mettre du cœur à son ouvrage, il nous donne ici les clés d’un « monde parallèle, obéissant à des règles simples inconnues de l’Occident nombriliste. »

Entretien

Agrégé d’Histoire, Sébastien Falletti est le correspondant du Figaro, du Point et du Temps à Shanghai depuis 2014. Après plusieurs années passées à Bruxelles, il débarque dans la capitale sud-coréenne à l’hiver 2009. Attiré au départ par le « Finistère de l’Asie » et « cet angle mort de l’Eurasie qui [le] hante depuis l’enfance », le voilà confronté aux deux « c » bien connus des voyageurs : à la fois sous le choc et sous le charme d’un pays qu’il va sillonner pendant cinq ans et où il retourne depuis régulièrement.

Ces 90 pages de récit et d’interviews nous donnent à comprendre un Orient que seuls celles et ceux qui ne font que l’effleurer disent compliqué. Un ouvrage qui arrive au moment où la Corée du Sud sort des années 1960. Le Goût du miracle décrit par l’auteur est aujourd’hui confronté à la montée du chômage des jeunes, à l’épuisement d’une pyramide des âges à tête de champignon malgré les débouchés de la silver économie, ainsi qu’à des exportations très (trop) dépendantes du voisin chinois.

Malgré cette fin de l’insouciance, la Corée du Sud nous est présentée ici comme une amie – et c’est d’ailleurs toute la force de cette collection « l’âme des peuples » aux éditions Nevicata –, avec ses montagnes éternelles, ses coutumes et ses traditions bien plus fortes que les fastfoods et les chaines de café qui ont fini par envahir le sud de la péninsule.

Sébastien Falletti, journaliste et auteur du livre "Corée du Sud : Le goût du miracle" aux éditions Nevicata.
Sébastien Falletti, journaliste et auteur du livre "Corée du Sud : Le goût du miracle" aux éditions Nevicata. (Copyright : Stéphane Lagarde)
Comment expliquer ce « miracle » coréen ? Comment passe-t-on d’un pays en développement à une économie du G20 en un peu plus d’un demi-siècle ?
Pour moi, cela tient d’abord à la nature des Coréens. Lorsqu’on vit en Corée du Sud, on sent que l’énergie est partout. On voit un peuple tendu vers l’avenir. Je me suis posé la question en écrivant ce livre. Je me suis demandé pourquoi les Coréens étaient toujours dans l’action. Je n’ai résolu qu’en partie le mystère, mais je propose dans ce livre quelques éléments de réponse. J’ai notamment interviewé l’anthropologue Benjamin Joinau qui rappelle la souffrance qu’a constitué la division de la péninsule au sortir de la guerre de Corée. En 1953, les Coréens se sont retrouvés dos au mur. Ils n’avaient pas d’autre choix que de se rassembler, d’aller de l’avant sous peine de disparaître.

Une autre clé, c’est le culte du groupe. Dîner seul est impensable pour un Coréen. Autant perdre la face… Le repas se partage, car la vie est sociale ou n’est pas. A Séoul, il n’y a que les étrangers désespérés qui osent afficher aux yeux de tous, leur solitude devant l’assiette. Ce culte du collectif se traduit aussi dans le travail. On a un chef et on le suit. Ce qui donne des capacités de mobilisation extraordinaires qui ont permis le succès des grands chaebol [les multinationales sud-coréennes dont Samsung, LG, et Hyundai, NDLR].

L’une des expressions favorites des Coréens, c’est le fameux « pali, pali »« vite, vite » en français. Tout va vite, parfois trop vite dans la Corée d’aujourd’hui ?
Les Coréens ne s’appesantissent pas, il y a une vraie soif de nouveauté et une passion pour les nouvelles technologies. Toujours regarder demain, quitte à oublier le passé. Un passé qu’on oublie peut-être parce qu’il est très douloureux : la guerre, la séparation des deux Corées. Parce qu’aussi la Corée est une vieille nation qui depuis 2000 ans n’a cessé d’être envahie. Il y a donc cette capacité à se tourner vers l’avenir mêlée à une forme d’amnésie, qui est aussi une perte. Toute société a besoin de ses racines, c’est d’ailleurs l’un des défis de la Corée d’aujourd’hui.
La Corée du Sud, un pays agité, vous l’avez dit, mais aussi le « Pays du matin calme » ou « Pays du matin frais ». Pourquoi ce surnom ?
C’est un surnom très ancien dont la traduction est encore sujette à débats. Certains disent que l’expression la plus exacte serait le « Pays du matin frais », car quand on vit à Séoul, on a cette petite fraicheur le matin très particulière au climat coréen dans les demi-saisons. C’est ce qui aurait donné ce surnom au pays. Alors que les étés et les hivers sont rudes, c’est très moite l’été et très froid l’hiver.
C’est peut-être lié à vos études d’histoire et de géographie : on a un bon aperçu des contours du pays en vous lisant. Comme Nicolas Bouvier, vous rappelez que ce bout de péninsule est en réalité devenu une île.
Le caractère péninsulaire est déjà très important pour comprendre l’âme coréenne. On a longtemps parlé du « Royaume ermite ». Quand on vit sur une péninsule, on est déjà un peu isolé du monde. Cela vient renforcer une identité. Ensuite, il y a effectivement la division de la péninsule qui a transformé de fait la Corée du Sud en île, en raison de la zone démilitarisée qui divise les deux Corées, une des frontières les plus étanches au monde. Quand on se rend en Corée du Sud aujourd’hui, on est obligé de prendre l’avion ou le bateau, mais on ne peut pas passer par la terre.
Votre livre est riche en belles descriptions des paysages et notamment de cette Corée qu’on aime avec ses montagnes magnifiques à l’automne, mais aussi de la Corée urbaine et de cette fantastique mégalopole de 17 millions d’habitants où vous avez résidé. Séoul, où la modernité est présente à tous les coins de rue, mais où le quotidien reste baigné par les traditions. Quand deux Coréens se rencontrent dites-vous, ils commencent par se demander leur âge…
C’est l’une des choses qui m’a le plus fasciné en Corée, la tradition confucéenne reste très ancrée dans un pays tourné vers le futur. Dans les codes confucéens, il est très important de savoir comment s’adresser à son interlocuteur. L’âge a ici une grande importance car il est la clé des relations. Si vous êtes plus âgé, la personne en-dessous de vous va vous devoir le respect et en échange vous allez devoir la prendre sous votre aile. Vous avez des étudiants aujourd’hui qui en guise d’entrée en matière demandent quand vous avez terminé l’université. C’est une façon polie d’essayer de deviner l’âge de l’interlocuteur ; ensuite, on ajuste la manière dont on s’appelle et la relation en est modifiée. C’est ça que je trouve extraordinaire en Corée du Sud aujourd’hui : c’est un pays riche, un pays développé, mais qui a su garder ses codes si différents de nos codes occidentaux.
Couverture du livre "Corée du Sud : le goût du miracle" par Sébastien Falletti (éd. Nevicata).
Couverture du livre "Corée du Sud : le goût du miracle" par Sébastien Falletti (éd. Nevicata). (Copyright : DR)
Page 30, vous évoquez le « soft power coréen », cette puissance douce que certains de nos lecteurs connaissent au travers de Gangnam Style et des Korean drama. C’est un petit pays longtemps isolé, la Corée du Sud, mais qui a su diffuser sa culture jusqu’à rendre jaloux le grand voisin chinois…
Effectivement, on parle de la K-pop et des séries coréennes qui envahissent le reste de l’Asie, et ça c’est une surprise à laquelle personne ne s’attendait. La Corée du Sud semblait un pays en marge, un angle mort de l’Asie et aujourd’hui, c’est elle qui donne la tendance dans toute l’Asie et jusqu’en Occident. Même la Chine est jalouse de voir que cette petite Corée capable d’être aussi influente. Cela démontre encore une fois la capacité des Coréens à aller puiser des idées ailleurs, les reformuler pour ensuite mieux les revendre. Ils ont en fait mis des codes occidentaux à la sauce asiatique. Je dois avouer qu’au début j’étais assez sceptique ; je me disais : ils essayent, ils sont gentils mais cela ne va pas marcher. Or aujourd’hui, force est de constater que cela fonctionne, très bien même. On n’est pas obligé d’aimer, mais ça existe et ça donne à la Corée une image extrêmement forte en Asie.
« Une bouillonnante démocratie », c’est l’un des intertitres de votre récit. Avec des manifestations qui rythment le quotidien des mégalopoles et un vrai conflit de générations, lit-on dans votre livre…
La Corée du Sud d’aujourd’hui est en réalité un pays coupé en deux. On l’a vu encore lors de la dernière présidentielle ou Park Geun-hye a été élue par les plus de 40 ans, tandis que les jeunes générations sont dans un rejet complet du pouvoir. Ce qui se traduit par des tensions et une grande difficulté à dialoguer entre les générations. Les Coréens sont bruts de décoffrage. Ils sont très entiers. Du coup, ils ont parfois du mal à trouver des compromis. C’est un pays qui enregistre aussi le plus fort taux de suicide au monde. Un pays marqué par un ralentissement de l’économie et une accélération du vieillissement de la population. En même temps, à chaque fois que la Corée se retrouve au pied du mur ou face à la pression des pays voisins, elle s’en sort par l’esprit de compétition. Et si la société coréenne est pleine de contradictions, c’est aussi ce qui fait son dynamisme.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

A lire

Sébastien Falletti, Corée du Sud : Le goût du miracle, éditions Nevicata, 2016, 96 pages.

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.