Silver économie : l'Asie peut-elle faire du vieillissement un moteur de croissance ?
Contexte
Faire des personnes âgées un moteur de croissance et de création d’emplois : voilà la promesse de la silver économie. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas uniquement de développer les services d’aide à la personne (soins, domotique, sécurité). Car avec les progrès de la médecine et l’amélioration de la qualité de vie, les seniors sont autonomes de plus en plus longtemps. La prise en compte de leurs besoins particuliers est donc devenue la clé de nouvelles opportunités économiques (logement, tourisme, loisirs, alimentation, transport, etc.).
En quoi l’Asie constitue-t-elle un terreau de prédilection pour la silver économie ?
En Asie comme ailleurs, le vieillissement de la population est une conséquence de la transition démographique, c’est-à-dire du passage de taux de fécondité et de mortalité élevés à des taux de fécondité et de mortalité faibles. Une transition impulsée, entre autres, par les progrès de la médecine et l’amélioration des conditions de vie. On note alors une baisse du nombre d’enfants par femme et une augmentation de l’espérance de vie.
Un phénomène particulièrement rapide en Asie, où les femmes avaient en moyenne 3,66 enfants en 1980, 2,08 en 2015 et n’en auront plus que 1,85 en 2050 d’après l’ONU.
Dans quels pays d’Asie la silver économie dispose-t-elle du plus fort potentiel de développement ?
Un découpage qu’illustre l’âge médian et la part des plus de 65 ans des pays concernés. Quasi inexistant en 1980, il prend forme en 2015 et devient clairement lisible en 2050.
Ce portrait robot concerne 7 pays : le Japon, la Corée du Sud et la Chine en Asie du Nord-Est ; le Vietnam, la Thaïlande et Singapour en Asie du Sud-Est et le Sri Lanka en Asie du Sud.
Il convient donc de distinguer deux Asies.
D’une part, celle dont la dynamique de vieillissement est déjà bien entamée – et où la silver économie peut déjà fleurir (Chine, Corée du Sud, Japon, Singapour). D’autre part, celle dont la dynamique de vieillissement s’est enclenchée récemment – et où le potentiel de développement de la silver économie parait prometteur (Thaïlande, Vietnam, Sri Lanka).
Quels sont les secteurs porteurs de la silver économie en Asie ?
Outre les “smart cities” qui font la part belle aux seniors, les entreprises comme Tata Housing Development (Inde), Malaysia Pacific Corporation Berhad ou ECON Healthcare Group (Singapour) se sont lancées dans la construction de « gated communities » (soit des “communautés fermées sécurisées) ultra-luxueuses réservées aux retraités. Elles renferment une batterie de logements, de commerces, d’infrastructures de loisirs et de santé adaptés aux personnes âgées. Le complexe malaisien « The Green Leaf », implanté à Sepang, en est la parfaite illustration.
La dimension technologique, aussi, est cruciale. En Asie du Nord-Est surtout, où les seniors japonais et sud-coréens sont parmi les mieux connectés au monde. De nouveaux modèles de smartphones sont mis au point, avec une ergonomie adaptée aux personnes âgées. A clapet et sans écran tactile pour les coréens LG et Samsung, le japonais Fujitsu a développé son modèle « Raku Raku » (« facile à utiliser ») en 2013. Il permet notamment de ralentir la voix de l’interloculeur et dispose d’un bouton d’urgence. Car la plupart des innovations prennent en compte l’enjeu de la santé.
Ainsi, en Asie, les robots prennent déjà soin des personnes âgées. Pensons à « Xuan » – développé par le gouvernement singapourien et la Ngee Ann Polytechnic – qui leur donne des cours d’exercice physique, ou encore au robot-ours « Robear » – mis au point par l’institut de recherche nippon Rokien – qui permet de les soulever de leur lit ou de les aider à marcher.
Comment la France se positionne-t-elle en Asie sur la silver économie ?
Du fait de son potentiel immense, l’Asie représente un terrain attrayant pour les entreprises françaises. Mais la concurrence y est rude, notamment de la part des pays les plus avancés en termes de silver economy, soit : le Japon, la Corée du Sud, et Singapour dans une moindre mesure. Les firmes asiatiques constituent donc une importante source d’inspiration.
En matière d’exportation et d’implantation à l’étranger, le gouvernement français et les cabinets de conseil mettent l’accent sur les technologies de pointe : domotique, robotique, « e-autonomie ». Et le résultat paye car la France décroche des partenariats avec certains pays asiatiques… et quelques entreprises finissent même par prendre des parts de marchés aux concurrents locaux.
C’est le cas de la start-up rennoise Mensia Technologies, spécialisée dans les logiciels médicaux pour l’analyse en temps réel de l’activité cérébrale. Un savoir faire qui, appliqué à la silver économie, lui a permis de nouer des partenariats en Corée du Sud et au Japon autour d’applications de « gymnastique des neurones » pour seniors, encadrées par des médecins.
Il existe donc bien un potentiel asiatique pour les entreprises françaises de la silver économie. Mais force est de constater que les marchés se limitent aujourd’hui essentiellement aux pays dont la dynamique de vieillissement est déjà bien entamée. Le Vietnam, la Thaïlande et le Sri Lanka semblent rester sur la touche. Une frilosité qui s’explique par d’autres facteurs, qui tempèrent les seuls indicateurs démographiques.
Quelles mesures complémentaires l’Asie doit-elle mettre en place pour assurer le succès de la silver économie ?
La Thaïlande, le Vietnam et le Sri Lanka seront-ils vieux avant d’être riches ? Très probablement, d’autant plus que le vieillissement des deux premiers est extrêmement rapide : d’ici 2050, l’âge médian augmentera d’un tiers pour la Thaïlande (de 38 à 51,1 ans) et de 50% pour le Vietnam (de 30,7 à 45,6 ans). Mais leurs seniors n’auront vraisemblablement pas les moyens de s’insérer dans la silver économie.
D’autant plus que l’explosion du taux de dépendance vieillesse fait planer un sombre avenir sur le pouvoir d’achat de ces seniors. Et ce dans l’ensemble de l’Asie grisonnante. Car avec une population active proportionnellement décroissante, les gouvernements seront obligés d’effectuer des coupes dans les retraites.
Car sans cela, la silver économie manquera de seniors suffisamment riches pour être consommateurs – et de jeunes actifs pour occuper les postes qu’elle promet de créer.
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