Economie
Expert – Le Poids de l’Asie

 

L’Asie qui vieillit

Photographie d'un rassemblement de personnes agées
Personnes âgées lors d’un spectacle au Modern Filial Piety Culture Museum à Qionglai, dans la province du Sichuan en Chine, le 2 février 2015. (Crédit : STR / AFP)
Dans les années 1960, des auteurs ont agité le spectre de l’explosion de « la bombe P » (pour population) trente ans plus tard, la « bombe V » (pour vieillissement) suscite de nouvelles frayeurs: un article publié en 1999, présente le vieillissement comme plus grave que les armes chimiques, la prolifération nucléaire ou les conflits ethniques.


La bombe P n’a pas éclaté en Asie de l’Est

Les démographes, qui durant l’entre-deux guerres avaient redouté les conséquences de la baisse de la natalité du Japon, ont été surpris par le « baby-boom » de l’immédiate après-guerre. La brusque augmentation des naissances – de 1,5 à 2,7 millions entre 1946 et 1949 – a même fait craindre des millions de morts en cas de suspension de l’aide américaine. Déjouant ces frayeurs, les naissances ont chuté de 30 % dans les deux ans qui ont suivi l’adoption d’une loi (1949) autorisant l’avortement pour raison économique : la division par deux de la fertilité entre 1947 et 1957, a été l’une des baisses plus rapides au monde. Vingt ans plus tard, l’écho de ce premier baby-boom a été une brève poussée des naissances.

En 1953 en Chine, révélant un écart de 170 millions d’hommes et femmes – la population des Etats-Unis de l’époque ! – avec les prévisions, le dépouillement du recensement a surpris. Il a ébranlé le dogme – il n’y a pas de limite à la population car la production est la solution du Parti Communiste Chinois. Cette nouvelle a justifié le début du planning familial dans les villes. D’autres mesures ont suivi après le « Grand Bond en Avant » (1958-60) et la reprise de la natalité qui a suivi la famine.

Le taux de fertilité était élevé en 1970 lorsque la Chine a renforcé sa politique de prévention des naissances, qui a ramené le taux de fécondité de 5,7 à 2,8 en dix ans : cette chute a précédé l’adoption de la politique de l’enfant unique lancée lorsque la population chinoise a dépassé le milliard et mise en œuvre de façon stricte dans les villes. La chute de la fertilité qui a suivi a été moins rapide que les tendances constatées à Taiwan ou en Corée où une politique de planning familial a été mise en œuvre dès les années 1960.

graphe fertilité
Sources : Division de la population (Nations Unies) et X

 

(*) Un seuil de remplacement légèrement plus bas dans les pays caractérisés par un déséquilibre des genres à la naissance.

Le taux de fertilité est tombé en-dessous du seuil de remplacement (2,1) (*) dès les années 1960 au Japon, vingt ans plus tard à Singapour et en Corée, à la fin des années 1980 en Chine, en 2000 en Thaïlande et dix ans plus tard au Vietnam. Ce taux se situe également en-dessous de ce seuil dans quelques Etats – ainsi le Tamil Nadu et le Karnataka – du sud et de l’ouest de l’Union Indienne, alors qu’il reste élevé dans les Etats du Nord, au Pakistan voisin, aux Philippines et en Indonésie.

Un vieillissement très rapide

En France, l’espérance de vie à la naissance a gagné 35 ans entre 1900 et 2012. Cet allongement s’est fait beaucoup plus rapidement en Asie de l’Est. Lorsque le Japon a adhéré à l’OCDE (1964), l’espérance de vie était la plus courte parmi les pays industrialisés ; aujourd’hui, avec 84 ans, elle est la plus longue. Depuis 1960, l’espérance de vie a gagné quinze ans en Chine et vingt-deux ans en Corée où elle est de 82 ans comme en France.
graphe espérance de vie
Sources : Division de la population (Nations Unies), Ministry of Health Labour and Welfare (Japon)
La baisse de la natalité et l’allongement de la durée de vie déterminent le rythme du vieillissement. En France, 115 ans (entre 1864 et 1979) se sont écoulés pour que la part des plus de 65 ans dans la population augmente de 7 à 14 %. Cette évolution s’est faite en 24 ans (1970 – 94) au Japon et sans doute autant en Chine (entre 2000 et 2025), et en seulement 15 ans (2000-15) en Corée du Sud qui, dans les années à venir, connaîtra un véritable collapsus démographique.
S’il est difficile de prévoir le nombre de nourrissons en Asie à l’horizon 2050, décompter les papys est un exercice plus aisé car ils sont aujourd’hui âgés de plus de 30 ans. On peut toutefois sous-estimer leur mortalité sans oublier les conséquences de catastrophes naturelles ou de conflits.
Les profils démographiques – le pourcentage des cohortes dans la population – du Japon et de la Chine en 2015 révèlent deux pics (40-44 ans et 65-69 ans au Japon ; 25-29 ans et 45-49 ans en Chine), correspondant aux baby booms qui, au fil du temps, glisseront vers la droite et en diminuant d’amplitude avec la mortalité.

Les moins de 15 ans sont d’ores et déjà moins nombreux que les plus de 65 ans au Japon et en Corée et, à moins d’un redressement improbable de la natalité, ce sera bientôt le cas en Chine. Singapour et la Thaïlande en 2020, le Vietnam dix ans plus tard accéderont au statut de pays âgés : les plus de 65 ans représentant plus de 14 % de la population.

Quel impact sur les économies ?

Si à l’horizon 2050, les « jeux démographiques » sont presque faits, l’impact économique du vieillissement est incertain. A-t-il contribué à la stagnation de l’économie japonaise depuis l’éclatement de la bulle en 1989 ? Quel sera son impact sur les autres pays d’Asie ? Ces pays seront-ils vieux avant d’être riches ? La production ralentira-t-elle avec le vieillissement ? La demande sera-t-elle boostée par les dépenses des « tempes argentées » ? Comment évoluera l’épargne des ménages ? Assistera-t-on à une contraction de la population au travail ou paradoxalement, à une hausse du taux d’activité ? Les Etats auront-ils les moyens de financer les retraites ? Le vieillissement suscitera-t-il une augmentation des migrations internationales ou l’irruption des « immigrés du futur »… les robots ? Autant de questions à explorer…

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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