Culture
Billet d’humeur

Années France-Corée : pour oublier Gangnam Style

LEE Ga-jin "Gouttes d’eau" (Crédit : DR)
LEE Ga-jin "Gouttes d’eau" (Crédit : DR)
Pas facile de ne pas se laisser résumer à une rengaine qui a fait exploser les compteurs de Youtube, sans même un refrain en anglais ? Eté 2012, Gangnam Style fait lever les bras du monde entier et danser les bacs à sable. La plupart des pays de la région, à commencer par le voisin chinois, en rêvent. Après le cinéma et les séries télévisées, c’est la K-Pop qui a fait de la Corée du Sud le géant du soft power en Asie. Oui mais voilà, un tube de l’été devenu planétaire peut vous foutre cinq mille ans de culture par terre. Pour faire oublier la « danse du cheval », il fallait au moins cela… Un an de culture coréenne à Paris.
« Gan Bé ! » « A votre santé ! » Attirés par les bulles et les petits plats d’un traiteur coréen plutôt en forme, diplomates, militaires en uniforme et représentants du monde de l’art ont rejoint ce lundi soir 20 octobre tout ce que Paris compte de passionnés par la Corée. Sourires de circonstances accompagnés de petits hochements de tête à la coréenne pour les habitués, on se bouscule courtoisement devant les escaliers menant à la grande nef du Musée des Arts Décoratifs (MAD), où un buffet attend les convives. Point de petits fours, mais des rouleaux de riz à l’occasion de la fête nationale coréenne, et surtout une passionnante exposition consacrée aux créateurs coréens contemporains.

« Korea Now »

« La Corée maintenant » fait partie des surprises du copieux programme des années France-Corée 2015-2016. Ca tombe bien, on avait justement coché la date parmi les 150 évènements qui vont ponctuer cette année coréenne jusqu’en mars. Une orgie de spectacles, de projections et d’expositions, à en frôler l’indigestion. Aussi roboratif qu’un « bibimpap », plat à base de riz et de légumes dont raffole l’auteur de ces lignes, l’épais dossier de presse a failli nous tomber des mains. Près de 100 pages qui réunissent toute l’effervescence d’un pays que l’on dit « calme » sur deux saisons. La Corée met le paquet !

La Corée met le paquet ! C’est presque le cri du cœur des organisateurs de cette année de la Corée en France. Oubliez les boys et surtout les girls bands de la K-pop ! Nous aussi on a de l’opéra, du théâtre, de la danse, de l’art contemporain, du cinéma intimiste, des écrivains tout aussi intimistes. Nous aussi on a des peintres, des céramistes, une gastronomie et des traditions artisanales qui font de la Corée l’une des grandes cultures d’Asie.

BAHK Jong-sun, banquette « Trans », 2014. (Crédit : DR)
BAHK Jong-sun, banquette "Trans", 2014. (Crédit : DR)
BAHK Jong-sun, banquette "Trans", 2014. (Crédit : SL)
BAHK Jong-sun, banquette "Trans", 2014. (Crédit : SL)

Premier constat en arrivant en haut des escaliers du musée : La Corée a donc des meubles ? On a pourtant longtemps déjeuné sur l’herbe et dormi par terre dans ce pays, où comme les Mongols et contrairement au Ming en Chine, les armées coréennes n’ont pas pris le temps de dresser le couvert en descendant de cheval. C’est ce qui a probablement donné lieu a la très festive tradition des barbecues arrosés de Soju – l’alcool national – à même la prairie ou dans les collines, et qui fait qu’aujourd’hui encore, la Corée conserve la réputation de repas parmi les plus joyeux du continent.

Le mobilier est arrivé ensuite. Tables basses, armoires et coffrets de laques ont fait la splendeur du royaume ermite. Tous ces objets sont aujourd’hui déclinés avec talents par de jeunes créateurs coréens. « Le but de l’exposition est bien sûr de susciter de l’intérêt pour le design contemporain, mais je voulais aussi montrer l’origine de ce design pour mieux comprendre, affirmait Rheem Mi-sun, la commissaire coréenne de l’exposition citée par RFI. Nous avons une culture avec une très longue histoire qui continue. »

Simplicité des formes et poésie des couleurs

Ce qui frappe chez ces jeunes créateurs coréens, c’est leur façon de ne pas en imposer. La plupart ont été formés dans les grands départements d’art des universités, mais tous se présentent sur la pointe des pieds en respectant le passé pour mieux s’en libérer. Tout est recommencement dans les cycles bouddhiques et beaucoup s’inspirent ici de la tradition pour la réinterpréter.

La combinaison de la laque « ott-chil » tirée de la sève naturelle filtrée de l’arbre laque et de la nacre taillée en fine lamelle, donne des armoires et des buffets qui ne dépareilleraient pas dans un loft à Miami. Même chose avec le tissage du hanji, papier de mûrier d’une grande résistance ; ou l’ipsa, technique consistant à incruster des filets d’or et d’argent sur une surface métallique et qui magnifie le vaisselier traditionnel.

Dans la nef, on lève le nez vers le ciel attiré par une explosion de bulles multicolores suspendues sous la voûte du musée. C’est un mobile de fils de métal entrelacés signé de Lee Sung-keun. Au sol, une chaise surmontée d’un abat-jour en papier hanji a probablement été inspirée par le casque à brushing chez le coiffeur. Object O de Song Seung-yong a été conçu « comme une cachette secrète et cherche à reproduire les sensations liées à l’enfance ».

SONG Seung-yong, chaise et abat-jour modulable, Object O, 2011. (Crédit : SL)
SONG Seung-yong, chaise et abat-jour modulable, Object O, 2011. (Crédit : SL)

Inspirés par la tradition, mais incroyablement modernes dans leur épure, tous les objets présentés au MAD prennent appui sur les forces de la nature. Comme dans la cuisine ou dans les habits traditionnels, on y retrouve les couleurs des cinq directions. « O Bang Saek », disent les Coréens. Le bleu pour l’Est représente l’arbre et l’intégrité ; le rouge pour le Sud, le feu et la passion ; le jaune pour le centre, la terre et la richesse ; le noir pour le Nord, l’eau et la sagesse ; le blanc pour l’Ouest, le fer, le détachement et la sainteté. On y retrouve aussi la beauté et la simplicité des montagnes de la péninsule et l’idée que l’homme doit vivre en parfaite harmonie avec son milieu naturel.

Exemples de cette communion avec l’environnement : les Cailloux en nacre de coquillages et d’ormeaux de Hwang Sam-yong, les meubles en bois courbé façonnés à la vapeur de Bae Se-hwa ou encore dans les Gouttes d’eau de Lee Ga-jin, qui reprend la technique du céladon de la dynastie des Song tout en simplifiant ses formes à l’extrême. Ceci n’est pas une jarre, comme dirait Magritte. Notre coup de cœur va ces trois grands vases en porcelaine blanche exposés sous vitrine de Kwon Dae-sup. L’artiste s’est penché sur l’astre qui ponctue le calendrier coréen. Ceci n’est pas une jarre, c’est la lune avec ses imperfections et toutes ses nuances de blancs. Pays du matin calme, mon œil ! Ces nuits coréennes là sont infiniment plus poétiques, animées que vos jours.

Par Stéphane Lagarde

Liens

Dans le cadre des années France-Corée (dont le programme est ici), voici les événements à ne pas manquer à Paris, s’il fallait en citer trois :

« Korea Now ! Craft, Design, Mode et Graphisme en Corée » au Musée des Arts Décoratifs jusqu’au 3 janvier 2016.

Tigres de Papier, cinq siècles de peinture en Corée au Musée Guimet jusqu’au 22 février 2016.

Le cinéma coréen au Musée Guimet jusqu’à janvier 2016.

Et bien d’autres choses à retrouver dans le catalogue de ces années France-Corée téléchargeable ici.

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.
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