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Chine-Russie : vers une alliance militaire non dite ?

Marines russes et chinois lors d'un exerice naval conjoint à Zhanjiang dans la province méridionale chinoise du Guangdong en septembre 2016. (Source : SCMP)
Marines russes et chinois lors d'un exerice naval conjoint à Zhanjiang dans la province méridionale chinoise du Guangdong en septembre 2016. (Source : SCMP)
Pour la première fois, les États-Unis ont accusé la Chine de livrer un soutien militaire direct « très substantiel » à la Russie qui l’aide à poursuivre sa guerre en Ukraine en échange de technologies militaires de pointe. Ces accusations semblent illustrer une coopération étroite de nature à conduire les deux puissances eurasiatiques vers une véritable alliance militaire.
Mardi 10 septembre à Bruxelles, devant des journalistes, le secrétaire d’État adjoint Kurt Campbell a évoqué des informations confondantes : la Chine livre à la Russie des armes létales, apportant ainsi une aide conséquente à ce pays qui « lui permet de poursuivre, renforcer et diversifier divers éléments de la machine de guerre russe ». Ces livraisons « n’ont pas de capacité duale » à la fois civile et militaire mais, au contraire, « sont en réalité directement utilisées par la machine de guerre russe », a-t-il ajouté au sortir d’entretiens avec des homologues de l’Union européenne et de l’OTAN, cité par le quotidien britannique Financial Times.
En échange, a précisé Kurt Campbell, la Russie a commencé à fournir à la Chine des technologies militaires sensibles dans les domaines de sous-marins, des missiles et d’autres secteurs. « Les capacités [militaires] que la Russie apporte [à la Chine] est un soutien dans des domaines où [elle] était jusqu’à présent franchement réticente à s’engager directement avec la Chine. Nous constatons des efforts orchestrés au plus haut niveau des deux gouvernements pour tenter de dissimuler et protéger certains éléments de cette collaboration inquiétante. […] La plus grande partie de ces activités se déroulent de façon clandestine. Nous sommes inquiets du fait que dans un certain nombre de domaines militaires se manifeste une certaine détermination [de la Russie] à apporter à la Chine ses plus grands efforts. Il s’agit d’opérations [liées aux technologies] des sous-marins, des activités pour la conception aéronautique, y compris la technologie furtive, qui inclut également les capacités des missiles. » Ces livraisons de nouvelles technologies sensibles à la Chine représentent un danger non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour l’Inde, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud « dans la mesure où la Chine pourrait ainsi être en mesure d’obtenir un engagement plus fort de la Russie pour perfectionner certaines capacités militaires », a ajouté de le secrétaire d’État adjoint.

« Alignement fondamental »

Les autorités américaines ont, à de nombreuses reprises, mis en garde la Chine contre les conséquences en termes de sanctions qu’auraient des livraisons directes d’armes à l’armée russe. C’est cependant la première fois qu’elles expriment de telles accusations. Jusque-là, Washington s’était borné à dire que les exportations chinoises de semi-conducteurs et de produits de l’électronique pouvaient être utilisées par l’armée russe à des fins militaires. Par la suite, de nombreuses banques chinoises ont mis fin à leurs transactions avec leurs clients russes.
Ces nouvelles accusations, formulées ainsi, ont pour but apparent pour Washington de mobiliser ses alliés européens autour d’un sujet de toute première importance. En toile de fond, le prochain scrutin présidentiel le 5 novembre où sera élu à la Maison Blanche soit le républicain Donald Trump, partisan de l’isolationnisme américain sur la scène mondiale, soit la démocrate Kamala Harris qui entend, peu ou prou, suivre la politique étrangère de Joe Biden. Ces propos sont en outre rendus public à peine deux semaines après une visite officielle à Pékin du conseiller sur la sécurité nationale américain Jake Sullivan, la première jamais effectuée en Chine par ce responsable, lors de laquelle il a rencontré le dirigeant Xi Jinping et d’autres responsables chinois.
« Nous avons été clairs lors de nos entretiens [à Bruxelles] sur ces activités, a encore insisté Kurt Campbell. Nous pensons que l’Europe pourrait s’exprimer davantage à propos de ses inquiétudes [sur ce sujet] et nous pensons que placer certaines institutions financières [chinoises] en mode d’observation plus sérieuse et de le dire clairement pourrait avoir des conséquences significatives. » Selon un responsable familier de ce dossier, cité par le quotidien britannique, l’administration Biden observe « très étroitement » des signes semblant attester du fait que la Chine a bien livré ces armements à la Russie, un motif de « grande inquiétude », bien qu’il n’y ait à ce stade pas encore de « preuve formelle ».
L’inquiétude américaine sur ce sujet a encore récemment plusieurs fois été communiquée aux autorités chinoises, notamment lors des dernières rencontres entre le conseiller pour la sécurité nationale à la Maison Blanche Jake Sullivan et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi au cours de l’année écoulée. Le responsable américain a encore souligné devant les journalistes que le transfert de hautes technologies militaires russes à la Chine pourrait avoir « un impact très significatif sur les capacités chinoises et leur déploiement dans le Pacifique occidental ».
Cette coopération russo-chinoise « n’est pas une alliance tactique, mais elle constitue un alignement fondamental », a tenu à souligner Kurt Campbell dont les termes, à l’évidence bien pesés, laissent entendre une volonté partagée de la Russie et de la Chine de nouer une véritable alliance militaire. Pékin a régulièrement et de façon véhémente nié toute livraison d’armes à Moscou, affirmant maintenir une totale neutralité dans le conflit russo-ukrainien, offrant même un rôle de médiateur pour parvenir à une paix négociée. Or non seulement le régime communiste chinois n’a jamais condamné l’agression russe en Ukraine, mais il retire dans les faits d’énormes avantages, à la fois économiques et commerciaux avec notamment des achats à prix cassés d’hydrocarbures, de même que géostratégiques et militaires, dans la poursuite de ce conflit.
D’après Alexander Gabuev, directeur du Carnegie Russia Eurasia Center in Berlin, la Russie a commencé à devenir plus encline à collaborer avec la Chine dans le domaine des technologies militaires à partir de son annexion de la Crimée en 2014. Ce processus s’est notablement accéléré depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, a-t-il expliqué, cité par le Financial Times : « La Russie a compris que la Chine injecte des milliards de dollars dans la recherche et la production en matière de défense chaque année. »
Si plusieurs scientifiques russes travaillant dans le domaine du développement de nouvelles armes ont été emprisonnés au cours de la dernière décennie pour avoir transmis à la Chine des secrets d’État, la Russie et ses forces armées sont devenue de plus en plus dépendantes de ce pays en raison des sanctions que lui ont imposées les États-Unis et leurs alliés depuis février 2022. En 2019, le président russe Vladimir Poutine avait confirmé que son pays accordait une aide à la Chine pour la modernisation de ses systèmes d’alerte anti-missiles.

La technologie russe pour de nouveaux sous-marins nucléaires chinois

Très fermes sur la forme, sur le fond, les déclarations inédites de Kurt Campbell traduisent à tout le moins un profond resserrement des liens militaires entre Pékin et Moscou de nature à changer la donne militaire non seulement en Ukraine mais sur la scène mondiale, estiment certains experts militaires. En effet, si l’armée russe donne des signes d’épuisement et de pénurie d’armes en Ukraine, la Russie maîtrise quantité des technologies de pointe dans ce domaine élaborées au cours des dernières décennies, tout particulièrement dans le secteur des missiles balistiques et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins où la Chine a encore beaucoup à apprendre.
Un transfert de ces technologies à la Chine lui permettrait d’accélérer notablement ses propres capacités à un moment de son histoire où elle a adopté une posture de plus en plus agressive en Asie de l’Est, tout particulièrement à l’égard de Taïwan qu’elle considère comme une simple province et qu’elle entend « réunifier » par la force si nécessaire.
Des chercheurs américains, cité par le quotidien, ont récemment affirmé que l’Armée populaire de libération (APL) chinoise est, grâce à l’aide de la Russie, sur le point d’achever la mise au point d’un nouveau sous-marins nucléaire lanceurs d’engins (SNLE) de type 096 doté d’une propulsion plus silencieuse qui le rend plus difficile à détecter. Les milieux militaires américains font d’ailleurs valoir que la Chine est tout particulièrement intéressée par les technologies russes dans le domaine des sous-marins où l’avance est encore notable comparée à celles dont dispose Pékin.
Le China Maritime Studies Institute (CMSI) américain estime ainsi que les futurs sous-marins chinois de type 096 qui devraient entrer en service à la fin des années 2020 ou au début des années 2030 afficheront de « profondes améliorations technologiques » comparés à leurs prédécesseurs. En effet, ils navigueront en profondeur à des vitesses supérieures, seront plus furtifs, pourront assurer des missions plus longues sans avoir à faire surface et seront équipés de missiles nucléaires intercontinentaux JL3 capables de frapper les États-Unis.
Emma Salisbury, chercheuse au Council on Geostrategy britannique, citée en octobre dernier par le magazine américain Newsweek, avait estimé que l’entrée en service de ces nouveaux sous-marins pourrait modifier l’équilibre militaire sino-américain dans le Pacifique. « Dotée de SNLE beaucoup plus discrets, la marine de Pékin pourrait même se risquer à l’extérieur de ce que [la Chine] considère comme ses eaux territoriales en mer de Chine du Sud. »
L’armée russe bénéficie d’autre part de livraisons massives d’armes de tous types en provenance de Corée du Nord et d’Iran, tous deux proches alliés de la Chine, selon les États-Unis. De nombreuses informations provenant des services de renseignement américains ont font état ces derniers mois, images satellites à l’appui, de livraisons de milliers de missiles et d’énormes quantités de munitions en provenance de Corée du Nord ainsi que de drones iraniens fabriqués à partir de technologies chinoises et de missiles livrés par l’Iran. Pyongyang et Téhéran ont formellement nié.

Redoutable arsenal combiné

Un autre signe probant du rapprochement militaire entre Moscou et Pékin est la tenue devenue régulière depuis ces toutes dernières années d’exercices maritimes conjoints de grande ampleur. Les deux pays ont annoncé mardi 10 septembre de nouvelles manœuvres maritimes qui ont commencé jeudi 12 septembre et doivent durer une semaine dans l’océan Pacifique, l’Arctique, la mer Méditerranée, la mer Caspienne et la mer Baltique. Ces manœuvres, baptisées Ocean-2024 et décrites par des médias américains comme les plus importantes depuis la fin de l’Union soviétique, réunissent côté russe 120 avions et hélicoptères ainsi que 90 000 soldats et autres personnels. La Chine y participe avec trois navires et quinze avions. Quatre bâtiments de la flotte russe rejoindront en outre un nombre indéterminé de navires chinois en mer du Japon, selon leur communiqué commun, dans le but de « mieux protéger l’activité économique » de la zone, selon le ministère russe de la Défense.
Lors de cette annonce, Vladimir Poutine a accusé les États-Unis de « chercher à conserver sa domination militaire et politique globale à tout prix. Avec comme prétexte de contrer la prétendue menace russe et d’endiguer la République populaire de Chine, les États-Unis et leurs satellites renforcent leur présence militaire à proximité des frontières occidentales de la Russie, en Arctique et dans la région Asie-Pacifique. »
Ces derniers développements vont tous dans le sens d’une alliance militaire qui reste certes non dite, mais qui, si elle devait se formaliser davantage, risquerait de profondément changer la donne géostratégique mondiale, estiment certains observateurs. En effet, combinées, les forces armées chinoise et russe représentent un arsenal considérable et redoutable à la fois en matière de déploiement géographique au vu des frontières terrestres et océaniques de deux pays mais aussi de leurs capacités militaires.
S’agissant de Taïwan, principal point de friction entre Pékin et Washington, le même Financial Times précise dans un autre article publié le 8 septembre que l’unité Seal Team 6, constituée des commandos de la marine américaine qui avaient tué Oussama ben Laden en 2011, étaient engagés dans des entraînements spécifiques destinés à se préparer pour intervenir et aider Taïwan à se défendre an cas de tentative d’invasion chinoise. Ces unités d’élite spéciales s’entraînent à cette fin depuis plus d’un an à Dam Neck, leur siège à Virginia Beach, à environ 250 kilomètres au sud-est de Washington, selon le journal qui cite des sources « familières » du sujet. « Cet entraînement secret souligne le priorité croissante donnée par les États-Unis au renforcement des mesures de dissuasion pour amener la Chine à y réfléchir à deux fois quant à une éventuelle attaque contre Taïwan », explique le quotidien britannique.
Seal Team 6 est une force d’élite de première ligne de l’armée américaine avec Delta Force, ces unités étant placées sous le commandement direct du Joint Special Operations Command, la plus haute instance de commandement militaire américaine. Toutes leurs opérations militaires sont classifiées et donc secrètes. Le directeur de la CIA, Bill Burns, a déclaré la semaine dernière que 20 % du budget de son organisation était consacré à la Chine, budget en hausse de 200 % ces trois dernières années.
Ces préparatifs de l’armée américaine ont redoublé depuis que le commandant pour l’Indo-Pacifique Phil Davidson a sonné l’alarme en 2021 en déclarant que si un conflit avec la Chine n’était « ni imminent, ni inévitable », les États-Unis devaient s’y préparer afin de pouvoir faire face, le moment venu, à une modernisation rapide de l’APL.

La Chine « écrasera toute incursion hostile étrangère » en mer de Chine du Sud

Cette modernisation de l’APL s’est nettement accélérée depuis l’appel dans ce sens formulé par Xi Jinping peu après son arrivée au pouvoir en 2012. Le président chinois avait demandé à l’armée chinoise de se préparer afin d’être en capacité de rattacher Taïwan au continent par la force d’ici 2027.
Taïwan est de loin le sujet de tensions numéro un dans les relations tumultueuses devenues explosives entre la Chine et les États-Unis ces dernières années. Si ce sujet est considéré par Pékin comme au cœur de ses intérêts fondamentaux, il est pour Washington prioritaire dans la mesure où l’île peuplée de 24 millions d’habitants est à la fois le siège du champion taïwanais TSMC des semi-conducteurs de dernière génération et un chaînon géostratégique essentiel dans son déploiement militaire en Asie de l’Est.
La situation géographique de Taïwan, distante de quelque 180 kilomètres des côtes chinoises, représenterait en effet pour la Chine, si elle parvenait à en prendre le contrôle, une tête de pont déterminante dans le Pacifique dont l’île représente un verrou crucial. Les États-Unis se sont engagés par le Taiwan Relations Act adopté par le Congrès américain en 1979 à donner à Taipei tous les moyens militaires pour se défendre en cas d’agression chinoise.
Officiellement, les Américains acceptent le concept d’une seule Chine depuis l’établissement la même année des relations diplomatiques entre Pékin et Washington. Mais ils observent depuis cette date une posture dite d’ambiguïté stratégique sur ce qu’ils feraient ou non en cas d’invasion de l’île. Au gré des tensions croissantes entre Pékin et Washington, le président Joe Biden a plusieurs fois déclaré publiquement et explicitement ces dernières années que Washington « défendrait » Taïwan en cas d’invasion, sans pour autant jamais en préciser les termes.
Parallèlement, le régime chinois a haussé le ton jeudi 12 septembre à propos de la mer de Chine du Sud dont la Chine revendique près de 90 % et où l’armée chinoise a, ces dernières années, procédé à la construction de très nombreuses installations militaires.
À la tribune du forum sur la sécurité de Xiangshan qui, régulièrement organisé à Pékin, rassemble quelque 90 pays, le lieutenant-général de l’armée chinoise He Lei s’est montré offensif : « Nous espérons que la mer de Chine méridionale restera une mer de paix. [Mais] si les États-Unis avancent leurs pions en coulisses, s’ils poussent des pays en première ligne, ou si les États-Unis eux-mêmes finissent par se retrouver en première ligne, [l’armée chinoise] n’hésitera pas. L’Armée populaire de libération de la Chine écrasera résolument toute incursion hostile étrangère [violant] les droits et intérêts territoriaux, souverains et maritimes de la Chine. »
Mardi 10 septembre, lors d’un appel vidéo, Samuel Paparo, chef du commandement indo-pacifique des États-Unis, avait mis en garde Wu Yanan, chef du commandement du théâtre Sud de l’armée chinoise, contre toutes « tactiques dangereuses, coercitives et potentiellement susceptibles de provoquer une escalade » dans la zone, dans une allusion aux tensions entre Pékin et Manille.
La mer de Chine du Sud, riche en ressources halieutiques et potentiellement aussi en hydrocarbures, où transite plus de 40 % du trafic maritime commercial mondial, est considérée à ce titre comme une zone stratégique de toute première importance.
La Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a déclaré infondées en 2016 toutes les revendications chinoises en mer de Chine du Sud, tandis que d’autres pays riverains comme le Vietnam, les Philippines ou l’Indonésie contestent la présence chinoise dans cette zone. Devenue au fil des ans une zone de fractures du fait de sa militarisation par la Chine et des tensions croissantes ainsi suscitées, elle est le théâtre ces derniers mois de confrontations entre des navires chinois et des bateaux philippins, Manille accusant Pékin d’opérations de harcèlement et d’intimidation à l’intérieur de sa Zone économique exclusive (ZEE).
Ces opérations chinoises dirigées contre les Philippines visent en partie à tester la volonté des États-Unis de défendre ou non ce pays avec lequel existe un traité d’alliance, estiment certains analystes. Elles résultent aussi d’une volonté de Pékin de « punir » Manille qui a récemment permis à l’armée américaine d’installer de nouvelles bases militaires sur son territoire en réaction à la menace perçue de son voisin chinois.

Les Américains jouent leur crédibilité

*Le Sierra Madre est un chaland de débarquement de la marine philippine, volontairement échoué en 1999 sur le banc Second Thomas dans les îles Spratley, au large des côtes des Philippines, pour servir d’avant-poste. Il a été le théâtre de récents affrontements entre bâtiments philippins empêchés par des navires chinois de le ravitailler. **Le Teresea Magbanua, du nom d’une révolutionnaire qui prit les armes contre l’Espagne lors de la révolution philippine de 1896-1898, est le plus gros navire de la flotte philippine percuté à trois reprises, le 31 août, par un navire des garde-côtes chinois. L’incident a eu lieu dans l’archipel des Spratleys, à proximité du banc Sabina, un ensemble de récifs avec un lagon situé à 70 milles marins (130 kilomètres) de Palawan, la grande île à l’ouest des Philippines. Sabina est désormais le nouveau point chaud entre Pékin et Manille en mer de Chine du Sud.
« Ces derniers mois offrent deux visions radicalement différentes sur la façon dont la mer de Chine du Sud va évoluer au cours des années 2020 et au-delà, estime l’hebdomadaire britannique The Economist dans sa dernière livraison. L’une, basée sur l’épisode du Sierra Madre*, présente une mer devenue une zone de contestations où toutes les parties sont capables de jouer la désescalade. [Mais] l’autre vision peut être trouvée dans le Teresea Magbanua** : une zone de mini-confrontations constantes dans laquelle la Chine chercher à imposer sa volonté en mer tandis que les pays d’Asie du Sud-Est font retraite », ajoute le magazine. Pour conclure ainsi : « Lorsque ce sont des alliés formels qui sont à l’œuvre pour résister, l’Amérique se trouve confrontée à un terrible dilemme : doit-elle les soutenir ou les inciter à faire marche arrière ? La Chine observera avec attention ce qui se passera ensuite. Il en va de même pour les autres alliés des États-Unis en Asie et au-delà. »
Sous-entendu : dans la crise actuelle en mer de Chine du Sud, face à une Chine devenue de plus en plus conquérante, les États-Unis jouent leur crédibilité auprès de leurs alliés en Asie de l’Est. Soit ils ne font rien et laissent à la Chine la porte grande ouverte pour pousser ses pions plus loin. Soit ils décident de réagir militairement et risquent un embrasement dans la région.
Il en va presque à l’identique de Taïwan pour les Américains : leur choix est soit de laisser la situation pourrir et s’envenimer jusqu’à ne plus pouvoir la gérer et se trouver alors dans une position intenable quitte à y perdre leur crédibilité dans la région, soit consolider ouvertement leur aide militaire à Taïwan quitte à provoquer des réactions hostiles de Pékin de nature à dégénérer avec des risques de conflit ouvert entre les deux superpuissances mondiales.
Mais le paradigme ancien a changé de nature au profit de la Chine au fur et à mesure du rapprochement sino-russe. Car ce dernier, avec en filigrane la puissance militaire cumulée formidable des deux pays, permet à Pékin d’y trouver une assurance nouvelle face à l’Occident.
« La surprise pour les Occidentaux, ce n’est pas tant ce qui se passe [en mer de Chine du Sud]. La vraie surprise est cette alliance qui n’a pas été anticipée, cette alliance militaire entre la Chine et la Russie qui a été accélérée depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie », a estimé sur la chaine LCI jeudi 12 septembre Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales au think tank Synopia qui réunit des hauts fonctionnaires civils, des responsables militaires et des dirigeants d’entreprises. « La dynamique de long terme de cette relation [sino-russe] suggère une approche purement transactionnelle avec une Chine qui exploite la faiblesse économique de la Russie. Cependant, la guerre en Ukraine représente aussi pour la Chine une opportunité pour saigner la détermination occidentale, épuiser les ressources de l’OTAN et détourner l’attention portée sur les intérêts de Pékin dans l’Indo-Pacifique, souligne l’expert en géopolitique Callum Fraser dans un article publié par l’Institute for the Study of War, un think tank américain basé à Washington. À terme, Poutine, du fait de ses rêves de revanche de la Russie, a transformé son pays en un outil pour servir son ambitieux voisin à l’Est [qu’est la Chine]. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).