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Taïwan : Lai Ching-te intronisé président, les ennuis commencent avec la Chine

Le président taïwanais Lai Ching-te, entouré de sa prédécesseure Tsai Ing-wen et de sa vice-présidente Hsia Bi-khim, lors de son investiture à Taipei, le 20 mai 2024. (Source : ThinkChina)
Le président taïwanais Lai Ching-te, entouré de sa prédécesseure Tsai Ing-wen et de sa vice-présidente Hsia Bi-khim, lors de son investiture à Taipei, le 20 mai 2024. (Source : ThinkChina)
Intronisé le 20 mai président de Taïwan, Lai Ching-te a immédiatement appelé la Chine à renoncer à ses menaces militaires incessantes. À peine 72 heures plus tard, Pékin a lancé deux jours d’exercices militaires simulant un encerclement de l’île, jusqu’à ce vendredi soir 24 mai. Mais le défi chinois n’est pas le seul auquel William Lai se retrouve confronté au premier jour de son mandat de quatre ans à la tête d’une île de 23 millions d’habitants où la démocratie est, comme ailleurs, fragile par nature.
La Chine doit « cesser ses intimidations politiques et militaires contre Taïwan, partager avec Taïwan la responsabilité envers le monde du maintien de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan, ainsi que dans l’ensemble de la région, et veiller à ce que le monde soit libéré de la peur de la guerre ». Cette phrase du discours de William Lai au palais présidentiel de Taipei n’a pas été entendu par le régime chinois. Trois jours plus tard, la Chine a lancé jeudi 23 mai des manœuvres militaires massives tout autour de Taïwan, le commandement du théâtre Est de l’Armée populaire de libération (APL) estimant nécessaire d’infliger à Taïwan une « punition sévère » contre les « séparatistes » de l’île, qui finiront « dans le sang ». « Les exercices se déroulent dans le détroit de Taïwan, au Nord, au Sud et à l’Est de l’île de Taïwan, ainsi que dans les zones situées autour des îles de Kinmen, Matsu, Wuqiu et Dongyin », a indiqué Chine Nouvelle, précisant que les exercices, prévus pour deux jours, s’achèveraient ce vendredi 24 mai en fin de journée.
Le lendemain, vendredi 24 mai, le même porte-parole de l’APL, Li Xi, précisait que ces manœuvres avaient pour objectif de tester sa capacité militaire à « prendre le pouvoir et à mener des frappes conjointes, ainsi qu’à prendre le contrôle de territoires clés » dans l’île, une rhétorique musclée à ce jour inédite. Outre des dizaines de navires de guerre et d’avions de chasse, quatre navires des garde-côtes chinois sont entrés dans les « eaux interdites » de deux îles taïwanaises toutes proches de l’île principale avec le soutien de deux autres bâtiments à proximité, a expliqué le ministère de la Défense à Taipei.
« C’est la huitième fois ce mois-ci que des navires des garde-côtes chinois naviguent dans les eaux interdites », ont de leur côté indiqué les garde-côtes taïwanais, ajoutant que ces navires en sont partis vendredi vers 9h heures locales (3h du matin heures française). Nous exhortons la Chine à faire preuve de retenue et à cesser immédiatement son comportement irrationnel. » Taïwan « défendra les valeurs de liberté et de démocratie, a réagi Lai Ching-te. Je me tiendrai sur la ligne de front avec nos frères et sœurs de l’armée pour défendre ensemble la sécurité nationale. »
L’ONU a, quant à elle, appelé toutes les parties à « s’abstenir de toute action pouvant aggraver les tensions ». À Washington, un haut responsable qui a requis l’anonymat a affirmé que les États-Unis « surveillaient de très près » la situation et appelaient la Chine « à la retenue ».
Ces exercices sont sans précédents depuis ceux de juin 2022 à la suite de la visite à Taïwan de Nancy Pelosi qui était alors la présidente de la Chambre des représentants américaine. Ils ont, une fois de plus, démontré la capacité de l’armée chinoise à mettre en place un dispositif militaire tout autour de Taïwan en vue d’un possible embargo futur. Mais ils sont d’une ampleur légèrement moindre par le nombre de navires et d’aéronefs déployés.

« Cloués au pilori de la honte pour l’histoire »

Les « séparatistes taïwanais […] seront cloués au pilori de la honte pour l’histoire, avait commenté le 21 mai le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, au cours d’une réunion avec ses homologues des pays de l’Organisation de Shanghai pour la coopération. La trahison de Lai Ching-te envers sa nation et ses ancêtres est honteuse. »
Ces manœuvres représentent un quasi-encerclement de l’île qui pourraient un jour servir à étouffer l’économie taïwanaise. Elles constituent un message clair essentiellement dirigé vers les États-Unis à qui Pékin entend signifier que les autorités chinoises iront jusqu’au bout dans leur volonté de « réunifier » Taïwan au continent, quels que soient les aides et le soutien militaires américains à l’ancienne Formose.
L’autre message est réservé au gouvernement de Taïwan et à la population de l’île pour leur dire que le ton n’a pas changé, bien au contraire. Celui de la fermeté et l’intransigeance : le régime communiste ne fera aucune concession au nouveau président taïwanais pourtant élu le 11 janvier dernier au suffrage universel à la tête de Taïwan. L’île, bien qu’un confetti sur une carte de l’Asie de l’Est, est progressivement devenue la principale zone de fracture géopolitique et militaire de la planète, avec la montée des périls dans cette région suscitée par la progression fulgurante de la puissance militaire de la Chine et une confrontation toujours plus explosive entre ce pays et son grand rival que sont les États-Unis.
Lai Ching-te, fils de mineur et ancien médecin de 64 ans, s’est employé lundi à souligner l’importance vitale pour Taïwan de renforcer ses moyens militaires pour faire face à cette Chine communiste belliqueuse distante de moins de 300 km des côtes taïwanaises. « Face aux nombreuses menaces et tentatives d’ingérences, nous devons démontrer notre détermination à défendre notre nation, nous devons également accroître notre préparation à la défense et renforcer notre cadre juridique en matière de sécurité nationale », a-t-il relevé sitôt après avoir prêté serment.
Lai Ching-te succède à Tsai Ing-wen dont les huit années de mandat ont été marquées par une profonde détérioration des relations avec Pékin. Mais ce n’est là que l’un des multiples défis qui attendent le nouveau président. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2016 de celle qui l’a précédé, la situation tant internationale qu’intérieure a énormément changé. Outre le fait que la Chine communiste exerce une pression constante sur ses partenaires pour accroître l’isolement diplomatique de l’île, Taïwan vit une transformation sociale et sociétale profonde, la jeunesse taïwanaise qui n’a pas connu la guerre rêvant d’un univers bien différent de celui de ses parents.

« J’espère que la Chine respectera le choix du peuple taïwanais »

Issu du Parti démocrate progressiste (DPP), le même mouvement que la présidente sortante, William Lai s’était décrit par le passé comme un « artisan pragmatique de l’indépendance de Taïwan ». Il a depuis beaucoup adouci son discours pour éviter toute provocation envers Pékin, défendant le maintien du statu quo dans le détroit de Taïwan.
Cette notion s’appuie sur le « consensus de 1992 », un accord tacite auxquels étaient parvenus des représentants de Pékin et de Taipei lors d’une rencontre informelle à Hong Kong. Les deux parties s’étaient entendues pour reconnaître que l’île de Taïwan et le continent chinois font partie d’une seule et même Chine – libre à chacun de considérer de quelle « Chine » il s’agit. Pour Pékin, il s’agit de la République populaire de Chine et pour Taipei, la République de Chine. Mais le régime chinois s’est depuis 2022 progressivement éloigné de ce concept qu’aujourd’hui il ne reconnaît plus, une évolution qui ajoute encore aux tensions dans la région. Taïwan est une île de 23 millions d’habitants grande comme la Belgique, gouvernée de manière autonome mais que la Chine communiste considère comme une partie de son territoire et qu’elle veut ramener sous son contrôle, par la force si nécessaire.
Taïwan n’a cependant jamais été administré par le Parti communiste chinois depuis son arrivée au pouvoir à Pékin en 1949. Si bien que le terme de « réunification » constamment brandi par la propagande chinoise est impropre. L’ancienne Formose possède sa propre armée de même que son propre gouvernement et sa propre justice. À la différence du continent chinois où règne un système totalitaire de parti unique, Taïwan organise des élections libres, son système politique étant régi par le multipartisme, les libertés individuelles, une presse libre et une justice indépendante.
« J’espère que la Chine fera face au fait que la République de Chine [Taïwan] existe et qu’elle respectera le choix du peuple taïwanais, fera preuve de sincérité et remplacera la confrontation par le dialogue », a encore souligné William Lai lors de son investiture le 20 mai. Il a invité le régime chinois à s’engager dans un dialogue « avec le gouvernement démocratiquement élu et légitime de Taïwan sur la base des principes de réciprocité et d’égalité ». S’il est une chose que Taïwan et le monde ne peuvent pas se permettre, c’est la guerre, a-t-il lancé, rappelant les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient. « La paix n’a pas de prix, la guerre ne connaît pas de gagnants. Taïwan, comme d’autres pays, a traversé un chemin difficile, celui de se rétablir de l’après-guerre afin de parvenir aux résultats du développement qui sont ceux d’aujourd’hui. Personne n’est désireux de laisser la guerre détruire tout cela. »
Lai Ching-te est l’image même d’un homme issu d’une famille très modeste qui, opiniâtre, a gravi tous les échelons menant au sommet du pouvoir à Taïwan, une île qui est une démonstration vibrante et quotidienne d’une démocratie exemplaire et fonctionne dans une société chinoise, le seul exemple de démocratie dans le monde chinois. Cette démocratie taïwanaise, l’une des plus avancées en Asie avec celles du Japon et de la Corée du Sud, fait mentir ces experts auto-proclamés pour qui la démocratie n’est pas faite pour un pays comme la Chine.
Le nouveau président taïwanais s’est aussi efforcé de donner des gages de sa volonté d’éviter toute provocation avec la Chine communiste. « La paix et la stabilité des deux côtés du détroit [de Taïwan] est essentielle pour le monde, a-t-il proclamé. Nous espérons que la Chine prendra des mesures concrètes en direction de la réconciliation avec Taïwan, y compris avec la reprise des échanges bilatéraux – tels que le tourisme et les échanges d’étudiants – et travaillera pour une coexistence pacifique. » La propagande de Pékin colle régulièrement l’étiquette au nouveau président taïwanais d’un « dangereux séparatiste » (fenli zhuyi zhe, 分離主義者) pour ses déclarations passées en faveur de l’indépendance de Taïwan, qu’il ne tient plus aujourd’hui.

« La démocratie est morte »

Mais si l’attitude menaçante de la Chine communiste représente le principal défi pour le nouveau président taïwanais, le deuxième, peut-être non moins grave, est le fait que son parti n’est plus majoritaire au parlement et qu’il doit par conséquent trouver des compromis politiques difficiles avec une opposition déterminée à en découdre.
Cependant, si la majorité relative au parlement revient au Kuomintang (KMT), le parti nationaliste, ouvert à un arrangement avec Pékin, c’est le DPP qui arrive en tête, avec 36,16 % des suffrages exprimés (169 819 voix de plus qu’en 2020, soit une hausse de 3,5 %) – un score dont le parti de Lai Ching-te se réjouit et qui lui permet de tempérer a minima la perte de sa majorité absolue. Dernière illustration en date de cette instabilité politique : ce mardi 21 mai, de nouvelles scènes de violences verbales ont éclaté dans les locaux du parlement (Yuan législatif), où des élus du DPP et d’autres des deux autres partis politiques, le Parti Populaire de Taïwan (Taiwan minzhong dang, 台灣民眾黨, TPP) et le Kuomintang, se sont copieusement insultés.
Le DPP souhaite l’adoption de textes de loi sur la sécurité nationale tandis que l’opposition entend voter une loi qui lui donnerait davantage de pouvoir de contrôle sur les décisions du gouvernement. Le même jour, quelque 30 000 Taïwanais ont manifesté dans les rues de Taipei, la capitale, contre ce qu’ils considèrent être des manœuvres d’obstruction de l’opposition au parlement ainsi qu’un entrisme politique dangereux pour la démocratie à Taïwan.
Le 17 mai, certains élus en étaient venus aux mains, obligeant le président de séance à ordonner une suspension des travaux. Le 20 mai, des élus du DPP, du KMT et du TPP se sont contentés de dérouler des bannières, dont l’une du DPP où l’on pouvait lire : « La démocratie est morte », pour dénoncer les méthodes du KMT. Lai Ching-te « ne sera pas seulement confronté à des pressions croissantes de la Chine mais aussi au congrès dominé par l’opposition », avait expliqué dès dimanche l’élu du DPP Puma Shen, un intellectuel écouté.
La modération dont fait preuve Lai Ching-te vise tout autant à éviter une escalade avec Pékin qu’à rassurer les États-Unis, estiment les analystes. En effet, l’une des priorités du nouveau président taïwanais est de conserver l’appui des Américains, vital pour Taïwan, et de ne pas compliquer sa tâche avec des positions politiques qui mettraient de l’huile sur le feu avec Pékin. En effet, l’administration Biden est elle-même sur une ligne de crête avec la Chine sur le dossier taïwanais et Washington a régulièrement exhorté les autorités taïwanaises à la prudence vis-à-vis de Pékin pour éviter à tout prix toute provocation.
Mais ces dernières manœuvres de jeudi et vendredi démontrent que cette modération n’empêche en rien Pékin de maintenir une attitude inflexible. Le régime chinois ne veut rien moins qu’obtenir de Taipei une déclaration solennelle sur le fait que Taïwan et la Chine ne forment ensemble qu’un seul et même pays indivisible, ce que Lai Ching-te ne peut évidemment accepter. « Le prix à payer pour acheter l’indulgence de la Chine ne cesse de grimper. Ils sont simplement devenus plus exigeants » car ils attendent de Taïwan une soumission totale, estime Glenn Tiffert, vice-président de la Hoover Institution, un think tank américain proche du parti Républicain.
Tout juste intronisé, Lai Ching-te a d’ailleurs mis les choses au point, invitant les Taïwanais à ne se faire aucune illusion sur Pékin. « Aussi longtemps que la Chine refusera de renoncer à l’usage de la force contre Taïwan, chacun d’entre nous à Taïwan doit comprendre que même si nous acceptions la totalité des demandes [chinoises] et si nous renoncions à notre souveraineté, les ambitions de la Chine d’annexer Taïwan ne disparaîtront pas pour autant. Face à ces nombreuses menaces et ces tentatives d’infiltrations venus de Chine, nous devons démontrer notre résolution à défendre notre nation et nous devons également renforcer notre conscience quant à notre défense tout en renforçant notre sécurité nationale. »

Soutien perdu de la jeunesse

Taïwan va d’autre part s’efforcer d’accroître encore ses parts de marché dans le domaine des semi-conducteurs où il est déjà le champion, a encore expliqué Lai Ching-te. « Nous savons que les semi-conducteurs sont indispensables tandis que l’intelligence artificielle l’est devenue également. Taïwan doit conserver sa position clé dans les chaînes d’approvisionnement et sait les opportunités commerciales qui résultent des changements géopolitiques » dans ce domaine.
Le géant taïwanais TSMC représente à lui tout seul plus de 53 % des ventes mondiales de semi-conducteurs, la proportion s’élevant à quelque 92 % pour ceux de toute dernière génération. Une performance qui a, ces dernières années, représenté pour Taïwan un atout maître et une carte politique à la fois sur les plans économique et géopolitique.
Le troisième défi du nouveau président taïwanais est celui posé par la jeunesse de l’île. Les 18-35 ans à Taïwan vivent dans un monde comparable à celui des sociétés occidentales, où les loisirs prennent une importance toute particulière et où la chose politique les intéresse de moins en moins. Au point que pour beaucoup d’entre eux, la menace chinoise n’est plus guère prise en compte de façon sérieuse. Beaucoup de ces jeunes ont d’ailleurs voté pour le TPP en janvier, petit parti populiste qui tranche avec les technocrates des deux autres partis et dont la ligne politique à l’égard de Pékin demeure floue, plutôt favorable à une coopération au moins économique. Son dirigeant, Ko Wen-je (柯文哲), est connu pour son caractère imprévisible et populiste.
« Le grand défi pour William Lai est de retrouver le soutien de la jeunesse. Beaucoup de jeunes à Taïwan considèrent, comme ceux en France ou ailleurs dans le monde occidental, que la démocratie est acquise. Or ce n’est pas le cas », explique à Asialyst François Wu, directeur du Bureau de Taipei en France et de facto l’ambassadeur de Taïwan en France. Pour ces jeunes, ce qui compte, c’est avant tout leur pouvoir d’achat, la possibilité d’acquérir un logement, une vie quotidienne plus facile. Beaucoup ont ainsi voté pour le candidat du TPP, ce qui a contribué à la perte par le DPP de sa majorité au parlement, analyse François Wu qui, déjà nommé, sera vice-ministre des Affaires étrangères dans le prochain gouvernement et prendra ses fonctions au cours de l’été prochain.
Le 20 mai, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a félicité Lai Ching-te et salué le « système démocratique robuste et résilient » de Taïwan. Le partenariat entre les États-Unis et Taïwan « est enraciné dans des valeurs démocratiques » et « continuera de s’élargir et de s’approfondir par le biais des liens commerciaux, économiques, culturels et entre les peuples » des deux pays, a ajouté le chef de la diplomatie américaine. « Nous allons travailler avec le président Lai de même qu’avec l’ensemble de l’éventail politique de Taïwan afin de faire avancer nos intérêts mutuels et nos valeurs, approfondir notre lien non officiel et maintenir la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan. »

« Enfant chéri de l’indépendance »

Lai Ching-te a été successivement médecin, législateur, maire, Premier ministre et vice-président. Élu président le 13 janvier avec un peu plus de 40 % des voix, il exercera ses fonctions aux côtés de sa nouvelle vice-présidente Hsiao Bi-khim (蕭美琴), l’ancienne « ambassadrice » de Taïwan aux États-Unis. Hsiao est elle aussi une bête noire de Pékin. Née au Japon d’une mère américaine, Peggy Cooley, dont la généalogie remonte au Mayflower (1620), et d’un père taïwanais, Hsiao Ching-fen, orphelin adopté par un couple chrétien de la ville de Tainan, elle possède un carnet d’adresses très fourni dans les milieux politiques américains.
William Lai a fréquenté le lycée municipal Jianguo à Taipei où il était un « élève sérieux », selon ses camarades de classe. Il a ensuite étudié à l’université nationale de Taïwan (NTU), à l’université nationale Cheng Kung (NCKU) et à l’université de Harvard aux États-Unis, où il a appris à parler anglais, langue qu’il maîtrise parfaitement. À Harvard, il a obtenu une maîtrise en santé publique puis s’est spécialisé dans la santé des reins et de la moelle épinière lorsqu’il était médecin. Après avoir travaillé pour les campagnes politiques d’autres candidats, Lai s’est présenté pour la première fois aux élections de l’Assemblée nationale (Yuan législatif) en 1996. Il y a été élu pour la première fois en 1998 en tant que représentant de Tainan, ville du sud de l’île. Lorsqu’il était législateur, Lai était membre de la faction « New Tide » du DPP, qui a fait pression pour que l’indépendance formelle de Taïwan soit incluse dans la charte du parti. Ces propos, ainsi que d’autres liés à l’indépendance, lui ont valu l’étiquette « d’enfant chéri de l’indépendance » abondamment reprise par la propagande de Pékin.
Après quatre mandats de député, il se présente à la mairie de Tainan en 2010. Élu maire de la ville, Lai gagne le surnom de « dieu Lai » (賴神), utilisé par ses partisans impressionnés par ses efforts de lutte contre la corruption. Après deux mandats de maire, Lai devient le Premier ministre du pays en 2017. Il démissionne en 2019, à la suite de la défaite cuisante du DPP aux élections locales en 2018. Lai défie ensuite Tsai Ing-wen pour représenter le DPP à l’élection présidentielle de 2020, mais Tsai remporte les primaires et choisit Lai comme son vice-président.
William Lai prend la barre à un moment où les défis et les opportunités sont donc sans précédent : énergie, inflation, environnement, peine de mort, désinformation, pression de la Chine, place et statut à l’international. Nul doute que sa tâche sera bien plus compliquée que celle que vient d’achever la présidente sortante Tsai Ing-wen. L’avenir dira si Lai saura ou non relever ces nombreux défis. Mais une chose est sûre : l’appareil communiste chinois est en embuscade et ne lui fera aucun cadeau. Il tirera parti de toutes les querelles politiques à venir dans l’île et s’efforcera dans les prochaines années de saboter autant que possible la stature internationale de Taïwan.
Le discours de Xi Jinping sur Taïwan s’est notablement aiguisé ces dernières années, laissant à penser que la « réunification » dont il parle à toute occasion en brandissant la menace de la force est devenue pour lui une quasi-obsession politique. L’une des explications est que son pays étant plongé dans une crise économique inédite depuis des décennies et alors que gronde la colère sociale qu’elle suscite, il a plus que jamais besoin de jouer cette carte politique autour d’un nationalisme incandescent, espérant rester dans l’Histoire comme celui qui est parvenu à l’unification complète de la nation chinoise.
Si la plupart des analystes jugent improbable une invasion prochaine de l’île du fait principalement d’une armée chinoise pas encore en mesure d’y parvenir, nombre d’entre eux estiment que l’objectif du maître de la Chine rouge pour déclarer des hostilités est 2027, date du centième anniversaire de la fondation de l’Armée populaire de libération (APL). Reste à voir s’il y parviendra et la forme que prendrait une telle « réunification ». Le dessin non dit du régime de Pékin est d’y parvenir sans combattre, soit en arrachant une reddition de la population taïwanaise terrorisée par ses opérations d’intimidation incessantes, soit en imposant un blocus maritime de Taïwan pour asphyxier son économie et provoquer ainsi une profonde crise sociale. Soit encore en menant une guerre chaude qui pourrait être catastrophique.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).