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Chine : aux "deux Assemblées", manque de réalisme, loyauté à Xi Jinping et retour des "loups guerriers"

Le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi lors de la double session annuelle du Parlement à Pékin, le 7 mars 2024. (Source : Nikkei Asia)
Le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi lors de la double session annuelle du Parlement à Pékin, le 7 mars 2024. (Source : Nikkei Asia)
À Pékin, la première semaine de la double session annuelle du parlement a oscillé entre fausses solutions à la crise, concert de slogans à la gloire de Xi Jinping et provocations diplomatiques maladroites.
Alors que tous les observateurs décortiquent le rapport sur le travail du gouvernement présenté par le Premier ministre Li Qiang le 5 mars, les bribes d’information en provenance de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CPPCC) ne font guère la Une des journaux. Pour des raisons évidentes, le rapport de Li Qiang est plus important que les séances de la CPPCC. Après tout, le Parti a présenté des chiffres et veut faire bonne figure. Cela dit, les solutions se font encore attendre.
Après les sessions de mercredi 6 mars sur l’économie et tandis que les principaux représentants des organes de régulations, de la Banque centrale, des ministères des Finances et du Commerce ou de la puissante Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC) ont rencontré la presse, certains commentaires sont lourds de sens.
D’abord, le ministre des Finances Lan Fo’an a demandé aux gouvernements provinciaux de faire attention aux dépenses et de resserrer leurs budgets. Le discours de Lan laisse à penser qu’il pointe les « projets de construction pour se donner de la face » (面子工程, mianzi gongcheng). Ces projets pour lesquels les responsables locaux engloutissent des crédits considérables afin de donner l’impression que leur ville ou province connaît une forte croissance économique, espérant faire avancer leur carrière politique. Ainsi, le ministre demande d’éviter les dépenses somptuaires à l’image des festivals ou des forums qui ne seraient pas nécessaires. Voilà une demande ironique alors que durant la même séance, Lan a présenté des dépenses obligatoires spéciales pour l’année à venir. Il est également curieux, compte tenu des restrictions budgétaires et de la baisse des revenus provinciaux depuis 2020, que le ministère annonce encore des réductions d’impôts et de taxes.
Quant au ministre du Commerce Wang Wentao, il a évoqué les restrictions mises en place en 2023 et la situation internationale toujours problématique pour les échanges. Wang veut donner l’impression que la Chine continue de s’ouvrir malgré les entraves aux entreprises étrangères sur son marché intérieur.
Le gouverneur de la Banque centrale Pan Gongsheng a, lui, promis d’aider au refinancement et bien sûr de soutenir les secteurs des hautes technologies et le développement de l’économie numérique. En ce sens, Pan ne nous sert ici que du réchauffé.
Enfin, et c’est probablement le commentaire qui aura le plus retenu l’attention, Wu Qing, le président de la Commission de contrôle boursier de Chine, a souligné que les introductions de compagnies en bourse (IPO) ne devaient pas servir seulement à « faire de l’argent ». Autrement dit, il faut éviter que des individus peu scrupuleux surévaluent leurs compagnies, la font coter en bourse, empochent les dividendes et disparaissent, laissant les petits investisseurs payer la note. Seulement, ce commentaire de Wu Qing est mal formulé : il pourrait décourager de potentiels investisseurs.
Au final, cette conférence sur les questions économiques n’a fait que développer très légèrement le rapport de Li Qiang et n’a pas su apporter les réponses attendues par les observateurs étrangers. À l’évidence, le ralentissement de l’économie pose de plus en plus de problèmes aux autorités chinoises. Mais ce n’est pas imposant encore plus d’obligations ni en resserrant les budgets que la situation va changer. Contrairement à la dose de réalisme dans le rapport de Li Qiang – notamment sur la sécurité alimentaire et énergétique –, cette conférence de presse a voulu flirter avec l’idée que des solutions existent. Ce qui n’est pas du tout le cas, pour l’instant du moins.

Unité autour du « noyau »

En parallèle, le 5 mars, la direction de la Conférence consultative s’est rassemblée afin de discuter des propositions reçues. Le premier à prendre la parole fut Hu Chunhua. Ce dernier a déclaré qu’il est entièrement d’accord avec le rapport du gouvernement de Li Qiang et que sous la direction de Xi Jinping, le Comité central, l’an dernier, a pu atteindre les objectifs de développements économiques et sociaux. Il termine avec la nécessité pour tous de comprendre les « deux établissements », de renforcer les « quatre consciences » et de soutenir d’autres slogans de Xi. Les autres orateurs ont fait des ajouts mineurs : unité autour du « noyau » (Xi Jinping lui-même), guidée par la pensée de Xi ou encore suivre la direction du Parti avec Xi en son centre. Soit une mise en scène de l’unité du Parti en ces temps difficiles.
Présentant le rapport de travail de la CPPCC, son président Wang Huning a jeté les bases de ce qui ressemble à une nouvelle campagne d’éducation politique : développement théorique, besoin de l’éducation idéologique, besoin de plus de discussions… Les bonnes feuilles du rapport de Wang demeurent peu intéressantes. Pour une fois, semble-t-il, ce dernier commence à manquer de mots. La veille, lundi 4 mars, Wang Huning avait parlé du besoin d’intégrer la jeunesse de Hong Kong et de Macao dans le développement de la nation. Et c’est ici que l’ampleur du message théorique du 5 mars prend son sens : malgré les efforts depuis 2019 pour forcer la rétrocession de Hong Kong, le Parti rencontre encore beaucoup de résistance dans son projet d’intégration. Cette résistance démontre que le travail du front uni n’a pas encore réussi à convaincre la jeunesse hongkongaise des bienfaits du « renouveau de la nation chinoise »(中华民族复兴,Zhonghua minzu fuxing), promise dans le « rêve chinois » de Xi Jinping. En ce sens, il est permis de penser que la cible de cette campagne d’éducation politique et théorique soit Hong Kong.
Les observateurs attendaient cependant à davantage sur la « réunification » avec Taïwan ou sur le renouveau de la nation. Jusqu’à présent, on a peu parlé de Taïwan, de Hong Kong, ou même des États-Unis. Pourtant, Xi Jinping n’avait pas hésité par le passé, notamment lors de la session parlementaire de 2023, à faire référence aux pratiques hégémoniques de Washington.

Provocations et maladresses

Il fallait tout simplement demeurer patient pour être servis. Le 7 mars, durant la séance dédiée aux affaires étrangères, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi est venu remettre les points sur les i. Pour le ministre, le problème demeure avant toute l’attitude des États-Unis envers la Chine : ce sont les sanctions de Washington qui écrase le régime de Pékin. Il suggère même l’idée que le seul fait de s’occuper de la Chine génère de l’anxiété chez le géant américain. Or la Chine est victime de cette anxiété ainsi que des pratiques déloyales des États-Unis qui ne cherchent pas à entrer en compétition, mais plutôt en « confrontation » avec l’empire du Milieu.
Wang semble en fait accuser les États-Unis du ralentissement économique chinois tout en les mettant en garde contre ce ralentissement. Celui-ci pourrait avoir des effets négatifs sur l’économie américaine, mais aussi sur l’image que projettent ceux-ci. Wang laisse entendre que les sanctions et les mesures restrictives risquent de ternier la réputation américaine de défenseur du libre-échange.
En s’en prenant directement aux États-Unis et de manière particulièrement virulente – son attitude et sa façon de répondre aux questions en disaient long –, Wang confirme deux choses : d’abord, les tensions entre les deux superpuissances demeurent l’une des priorités absolues du régime chinois; ensuite, le Parti persiste dans son son attitude victimaire et refuse d’endosser sa part de responsabilité.
Ce discours provocant s’apparente à une ouverture maladroite : la Chine veut sembler non alignée mais cherche tant bien que mal à ramener les États-Unis à la table des négociations pour trouver des solutions – surtout pour son économie. Elle cherche à attirer l’attention par tous les moyens. Cependant, les Américains ne l’entendront pas de cette façon. Pour Washington, c’est plutôt la confirmation que la Chine n’est pas encore prête à prendre ses responsabilités et que les sanctions fonctionnent.

Occasion manquée

Second temps fort de l’intervention de Wang Yi : la question de Taïwan. Le ministre n’a laissé personne indifférent. Wang confirme la position de Pékin et va même plus loin : tous ceux qui soutiennent Taïwan défient la souveraineté de la Chine. Ceux qui persistent à avoir des liens avec Taïwan s’ingèrent dans les affaires domestiques de la Chine. Le ton change un peu alors qu’il parle de la réunification. Il ne s’agit parle seulement d’un « processus pacifique », mais bien du fait que jamais Taïwan ne pourra se détacher de la Chine. Un jour à la communauté internationale s’éveillera et le monde sera prêt pour une belle photo de la « famille chinoise » réunie. C’est simplement une question de temps.
Que faut-il comprendre à ces commentaires sur Taïwan ? Sur le fond, la position chinoise demeure sensiblement la même. Mais le ton et la formulation des commentaires confirment que l’attitude chinoise devient de plus en plus en cavalière et belliciste. Ils confirment aussi que la direction du Parti semble quelque peu désespérée : la Chine constate qu’elle n’arrive pas à miner le soutien de l’Occident à Taïwan ; elle tente à présent la menace alors que cela n’aura pas les effets escomptés. Bien au contraire, la cause des pro-Taïwan en sentira renforcée.
Dernier temps fort de la conférence de Wang Yi : les relations sino-russes. La Chine tente d’atténuer les effets néfastes de son association au Kremlin depuis de l’intervention en Ukraine. Elle ne compte pas reculer devant la pression internationale. Et à ce titre, les commentaires de Wang Yi – malgré son préambule sur les divisions malsaines, le besoin d’éviter les confrontations et de promouvoir la stabilité – confirment qu’il n’y a pas de changement dans les positions chinoises. Elles sont même devenues plus claires : ces commentaires sur la Russie servent en premier lieu à remercier le Kremlin pour son soutien continu.
Les réponses de Wang Yi ne devraient surprendre personne. Pékin joue à présent cartes sur table et confirme que l’ordre international ne lui convient pas. Il doit se plier à des règles contraignantes qui répondent aux intérêts d’autres grandes puissances. Difficile d’en vouloir à Xi Jinping sur ce point. Cependant, dans un contexte où la Chine demande la révision de certaines de ces règles ou que les États-Unis « l’écrasent moins », cette agressivité, ces menaces sous-jacentes jouent contre elle.
En outre, ces changements de ton, tour à tour conciliant et ouvert puis agressif et menaçant, créent de la confusion et de la méfiance parmi les interlocuteurs du régime chinois. La Chine n’arrivera pas à être prise au sérieux de cette façon. Au contraire, les puissances occidentales vont se sentir justifiées à se méfier de la Chine.
Wang Yi n’a pas su profiter de cette occasion pour parler du besoin de communication et de coopération entre la Chine et le monde extérieur – discussion qui aurait pu apaiser certaines tensions et redonner un peu de capital politique à la Chine. Le chef de la diplomatie chinoise a préféré se gonfler la poitrine et crier à la faute. Wang Yi aurait pu présenter une nouvelle Chine, moins belliqueuse, et prouver que ce front de plus en plus uni contre celle-ci n’a pas lieu d’être.
Pékin a semble-t-il décidé de poursuivre sa stratégie des « loups guerriers ». Pourtant, jusqu’à présent, le retour sur investissement est diplomatiquement assez désastreux.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.