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Chine : dans l’antichambre des "deux Assemblées", de l’importance de réduire ses attentes

La Conférence consultative politique du peuple chinois et l'Assemblée nationale populaire s'ouvrent à Pékin, respectivement le 4 et 5 mars 2024. (Source : Caixin)
La Conférence consultative politique du peuple chinois et l'Assemblée nationale populaire s'ouvrent à Pékin, respectivement le 4 et 5 mars 2024. (Source : Caixin)
Alors que les sessions des deux chambres du Parlement, la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) et l’Assemblée nationale populaire (ANP), s’ouvrent à Pékin et que des milliers de représentants débarquent dans la capitale, rappelons que ces rencontres politiques ne servent qu’à mettre en scène le « bon fonctionnement » de l’État léniniste chinois. Même si, sur le papier, les membres de l’ANP ont la possibilité de faire volte-face, d’amender la Constitution ou de démettre des membres hauts placés du Parti, dans les faits, ils ne servent qu’à approuver les budgets, « voter » pour pourvoir les postes vacants ou « approuver » certains projets législatifs. Outil de représentation du Parti, l’Assemblée n’a que très peu de pouvoir, même si les rencontres du comité permanent de l’ANP jouent un rôle bien différent.
Malgré tout, il s’agit quand même d’un événement important à la fois pour le Parti – qui aime se prêter à son propre de jeu et montrer qu’il respecte ses propres règles et procédures – et pour les gouvernements étrangers qui, surtout depuis le XIXème Congrès de 2017, peinent à « lire » un Parti de plus en plus opaque. Aussi, Li Qiang, en tant Premier ministre, devra présenter son rapport d’activité annuel, notamment sur la croissance de l’économie, en plus des grandes orientations du gouvernement pour l’année à venir.
Or ce lundi 4 mars, l’ANP faisait savoir qu’elle supprimait à compter de cette année la traditionnelle conférence de presse du chef du gouvernement en clôture de la session parlementaire, durant laquelle Li devait répondre aux questions. Les choses semblent donc plus compliquées qu’il n’y parait, surtout en matière d’économie. Est-ce Li Qiang lui-même qui a refusé de donner cette conférence de presse ? Pourquoi risquer le faux pas comme son prédécesseur Li Keqiang alors que tout est dirigé par Xi Jinping ? Et pourquoi insister pour rencontrer la presse si de toute façon Li n’a rien à dire vu son statut au sein de la direction du Parti ?
Bien entendu, il ne faut pas s’attendre à des miracles en matière de rapport ni ne projections. Le rôle des deux Assemblées est surtout de faire le point, et non pas de présenter des programmes de relance ou de développement. En ce sens, ceux qui espèrent encore que le gouvernement central présente de nouvelles mesures pour relancer l’économie ou résoudre certains des problèmes systémiques qui empoisonnent le secteur financier, risquent d’être déçus. Et considérant le rôle de moins en moins important du Conseil d’État, « mené » par Li Qiang, il ne faut pas s’étonner si ce dernier n’est pas vraiment apte – ou encore autorisé – à rendre compte du travail du gouvernement.
*Sans parler des 23 autres membres de l’ANP qui ont « perdu » leur accréditation de « représentants » de l’Assemblée entre 2023 et 2024. Plus de la moitié des 24 (si l’on inclut Qin Gang) font partie de l’appareil militaire.
Pour Xi, les deux Assemblées de 2024 sont surtout une occasion de faire élire un nouveau ministre des Affaires étrangères – alors que la « démission » de Qin Gang a été acceptée par l’ANP* – et de le faire nommer au Conseil d’État. Il sera aussi tout indiqué d’utiliser l’ANP pour retirer à l’ancien chef de la diplomatie son statut de membre du Comité central du PCC. Le choix de Liu Jianchao ne devrait pas trop poser de problème à l’ancienne élite du système diplomatique. Si l’ANP durant les multiples sessions de travail qui se dérouleront entre 5 et les 10 et 11 mars, n’arrivent pas à remplacer Wang Yi, c’est peut-être qu’un troisième homme – notamment Cai Qi – aura eu raison de la chaîne de succession.

Marine chinoise surreprésentée

Considérons maintenant le retrait du portrait et de la biographie de Li Shangfu du site du ministère de la Défense en tant que membre de la Commission militaire centrale. Il est permis de penser que son successeur Dong Jun sera élu à ladite commission – au grand dam de son vice-président, le général Zhang Youxia – et potentiellement nommé aussi au Conseil d’État.
*Il y a aussi fort à parier que Xi présidera la séance dédiée aux forces armées et parlera du besoin d’être prêt pour la guerre et d’être loyal au Parti.
Contrairement à la situation de Qin Gang – que le Parti a pris de soin de démettre progressivement par le biais de procédures formalisées –, le remplacement de Li Shangfu est plus litigieux. La nomination de Dong Jun à la Commission militaire centrale, nécessaire pour lui assurer un minimum d’autorité, risque de faire plusieurs mécontents non seulement parmi les membres existants, mais aussi, au sein de l’ensemble du haut commandement militaire. Commandité en grande partie par l’Amiral Miao Hua – et peut-être dans une moindre mesure par le général He Weidong, deuxième vice-président de la Commission militaire centrale –, Dong Jun n’est pas une figure militaire reconnue dans l’Armée populaire de libération (APL). Bien au contraire, vu le long intervalle avant de le choisir, il est probable que même Xi ait été réticent à le nommer ministre. En outre, l’élection potentielle de Dong engendrera une surreprésentation de la marine chinoise – la frange la plus belliciste de l’APL – au sein de la Commission militaire centrale. Ceci dit, il est improbable que Zhang Youxia – que Xi tente d’isoler en favorisant He Weidong – et le général Liu Zhenli, le chef d’état-major du département d’état-major interarmées, aient à présent suffisamment de leviers pour faire annuler cette décision*.
Sans être pessimiste, il ne faut pas sous-estimer les luttes internes à l’armée et leurs effets sur la potentielle élection de Dong Jun. Mais si Xi Jinping ne parvient à faire élire ni un nouveau ministre des Affaires étrangères et ni Dong Jun à la Commission militaire centrale, cela confirmera que le niveau des tensions au sein de la direction du Parti est beaucoup plus élevé qu’il n’y parait.

Le rôle de Cai Qi en question

Toujours au sujet de l’ANP, supposons que l’une des séances portera sur la nouvelle réglementation du travail d’inspection publiée le 23 février dernier et même sur les grandes lignes des nouvelles séries d’inspections à venir. Il est aussi probable que l’assemblée discute des révisions de la loi sur la protection des secrets d’État présentées le 27 février et qui doivent entrer en vigueur le 1er mai prochain. Les modifications visent en premier lieu à resserrer la vis en matière de partage de l’information, mais aussi à étendre la définition de la notion de « secrets d’État ». Mis ensemble, il est probable que le gouvernement annonce une nouvelle opération « d’opacification » sous couvert de « sécurité ».
Côté idéologie, l’ambition de Xi Jinping n’est pas assurée sur le renouveau de la notion « d’émancipation de l’esprit » qui est soudainement apparue dans le Hunan le mois dernier. Dans le moins pire des cas, le tout se terminera en slogans gauchistes destinés à impressionner Xi. Au pire, on pourrait voir l’annonce d’une campagne d’éducation visant à « rectifier à la vérité » au sein du Parti.
Pour ce qui est de la Conférence consultative politique du peuple chinois, deux choses sont prévisibles. D’abord, un retour plus détaillé sur la question taïwanaise après le « rapport » de Wang Huning des 22 et 23 février. Le Parti poursuit à l’évidence une stratégie d’usure à long terme. Cependant, cette stratégie est dépassée et peu réaliste. Ce faisant, il est fort probable qu’une section dédiée à Taïwan ajoute de nouveaux termes et de nouveaux détails. Il sera essentiel de les identifier afin de comprendre si oui ou non le Parti à décider de changer de cap en matière de réunification. Après tout, Wang a bien parlé « d’initiative stratégique » durant la conférence de travail sur Taïwan.
Par ailleurs, le 2 mars dernier, Zhang Xiaoming, l’ancien directeur adjoint du bureau des affaires de Hong Kong et Macao du Conseil d’État, a été limogé de son poste de secréatire général adjoint de la Conférence consultative, lors d’une séance de la CCPPC présidée par Wang Huning. Il y a donc fort à parier que le Parti se prépare à apporter des changements importants au sein du système des affaires de Hong Kong et Macao. Le « départ » de Zhang, un représentant de la « zengpai », apparaît comme une victoire de plus pour Xi Jinping. En ce sens, il est réaliste de penser que l’un des rapports fera mention de « nouveautés » en matière de « travail portant sur Hong Kong ».
Il sera très important d’observer les actes, le discours et la position de Cai Qi lors des deux Assemblées. Quel rôle jouera-t-il ? Quel sera son temps de parole ? Il faudra aussi regarder la disposition des participants sur les différentes scènes – surtout durant la session sur les forces armées. On portera également une attention particulière aux sessions individuelles et si parfois plusieurs membres du Politburo y assistent en même temps. Le dernier point, pour lequel nous n’avons que peu d’espoir, est celui de pouvoir entendre le début d’une discussion portant sur la succession au sein du Parti. Cette pensée sans doute trop optimiste vient des instructions données par Xi lors de l’ouverture du cours de formation destinées aux jeunes cadres du Parti, le 1er mars. Lors de cette rencontre, le numéro un chinois a de nouveau parler de ses « exigences » en matière de succession – pris au sens large de « succession au sein du Parti ». Ce qui laisserait penser que cette problématique le tracasse de plus en plus et que ceux qui, par le passé, étaient vus comme des successeurs (Chen Min’er, par exemple), ne font pas l’affaire. Et à voir comment Cai Qi s’est comporté durant cette rencontre, on peut penser que ce dernier pèse lourd dans le processus de sélection. Après tout, Cai est le « secrétaire général adjoint » du régime.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.