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Chine : l’art consommé de la désinformation

Le président chinois Xi Jinping, lors du sommet du G20 à Bali, le 16 novembre 2022. (Source : PBS)
Le président chinois Xi Jinping, lors du sommet du G20 à Bali, le 16 novembre 2022. (Source : PBS)
La Chine communiste dispose d’un arsenal sophistiqué de désinformation tous azimuts. Ses objectifs principaux : retourner les opinions publiques, s’ingérer dans les milieux politiques étrangers, peser sur les élections, discréditer ses adversaires, donner une image trompeuse d’un pays prétendument attaché à la paix et mentir à son peuple.
Le 28 septembre dernier, le gouvernement américain a publié un rapport accablant dans lequel il accuse la Chine de vouloir « remodeler le paysage mondial de l’information » par le biais d’un vaste réseau spécialisé dans la désinformation. « La manipulation internationale de l’information [par la Chine] n’est pas uniquement une question de diplomatie publique, mais constitue un défi pour l’intégrité de l’espace international de l’information », écrivent les auteurs de rapport publié par le GEC, une cellule consacrée à la lutte contre la désinformation au sein du département d’État américain.
Cette « manipulation » englobe « la propagande, la désinformation et la censure », relèvent les auteurs. « Si rien n’est fait, les efforts de la République populaire de Chine vont remodeler le paysage mondial de l’information, créant des biais et des lacunes qui pourraient même conduire les nations à prendre des décisions qui subordonnent leurs intérêts économiques et sécuritaires à ceux de Pékin. »
Selon les auteurs de ce document, Pékin consacre des milliards de dollars chaque année au titre de ces opérations de « manipulation de l’information à l’étranger ». En parallèle, la Chine fait disparaître les informations critiques qui prennent le contrepied de ses éléments de langage sur les sujets délicats comme Taïwan, les droits humains et son économie en berne. « Quand on regarde les pièces du puzzle et qu’on le reconstitue, on constate une ambition stupéfiante de la part de la Chine visant à chercher à dominer l’information dans des régions clés du globe », a déclaré à la presse James Rubin, coordinateur du GEC et ancien porte-parole de la diplomatie américaine.
La Chine, poursuit le document américain, manipule l’information notamment en faisant la promotion de « l’autoritarisme numérique », en exploitant les organisations internationales et en contrôlant les médias sinophones. « C’est la face obscure de la mondialisation », a ajouté James Rubin qui a dit craindre, si rien n’est fait, « une destruction lente et régulière des valeurs démocratiques ». « Nous ne voulons pas d’un mélange orwellien de réalité et de fiction dans notre monde. » Le rapport accuse aussi la Chine d’exploiter le réseau social WeChat pour diffuser de la désinformation ciblant ceux qui « parlent chinois et résident dans des démocraties » et le géant technologique chinois ByteDance, propriétaire de TikTok, de chercher à « empêcher les détracteurs potentiels de Pékin d’utiliser ses plates-formes ».

« Mensonges »

Le même jour, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a une nouvelle fois pointé du doigt la Chine. « Je pense que son objectif est de devenir la puissance dominante dans le monde – militairement, économiquement, diplomatiquement », a-t-il ainsi affirmé, interrogé sur les intentions de la Chine lors d’un forum organisé par le magazine The Atlantic. La réaction de Pékin ne s’est pas faite attendre. « Les faits ont prouvé à maintes reprises que les Etats-Unis sont le véritable empire du mensonge », a ainsi déclaré samedi 30 septembre le ministère chinois des Affaires étrangères.
*Sur ce sujet, lire le livre d’Alex Joske, Quand la Chine vous espionne, éditions Saint-Simon, 2023.
Les opérations de désinformation menées par l’appareil du Parti communiste chinois mériteraient à elles seules un livre*. Parmi elles, la présence étouffante d’agents de Pékin sur la Toile, que ce soient Meta (Facebook), LinkedIn, Instagram ou X (ex-Twitter), Reddit, Quora et même Pinterest. L’un des buts recherchés est de s’attaquer aux critiques de la Chine populaire : chercheurs, journalistes, politistes, élus et autres activistes où qu’ils soient dans le monde. Ces personnalités sont discréditées, traînées dans la boue par de fausses informations.
D’autres constatent un jour que leurs comptes ont été piratées pour ensuite être infectés par des textes relevant de la désinformation. Plusieurs affaires ont mis en lumière des cas de piratages de comptes mail par des hackers qui s’en sont servis pour incriminer les détenteurs de ces comptes dans des affaires criminelles ou délictueuses. Meta a annoncé en août cette année avoir supprimé 7 700 comptes Facebook et près de 1 000 pages de désinformation d’origine chinoise qui sont mises en ligne aux horaires de travail dans ce pays. L’autre objectif est de submerger la Toile de messages favorables à la Chine communiste.
*Road movie critique de la société américaine, ce film présente les vieux déclassés aux États-Unis. Il obtient le Lion d’or à la Mostra de Venise 2020, puis le Golden Globe du meilleur film dramatique et l’Oscar du meilleur film en 2021.
Nombreux sont les ressortissants chinois qui ont quitté leur pays pour vivre en Occident, qui dénoncent les mensonges du Parti communiste chinois. « Chine, le pays du mensonge » : sur le fond, l’expression n’est autre que celle utilisée par la célèbre scénariste et réalisatrice chinoise Chloé Zhao (赵婷) qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Lorsqu’elle avait été couronnée aux Oscars le 25 mai 2021 pour son film Nomadland*, des internautes chinois avaient exhumé une interview de 2013 dans laquelle la jeune femme expliquait que lorsqu’elle était adolescente, elle vivait dans un pays où « il y a des mensonges partout ». Il n’en fallait pas plus pour qu’aussitôt elle fût qualifiée de « traîtresse » « en Chine, tandis que tous ses films y étaient aussitôt interdits.

Relais fidèles de la propagande

Dans la Chine officielle, la tromperie, le mensonge et la réécriture de l’histoire sont une arme au service du Parti depuis longtemps éprouvée, apprise dans les années 1950 en Union soviétique. Mais depuis, la Chine a largement dépassé le maître. Ainsi, l’histoire du pays est extensivement réécrite et racontée pour servir l’idéologie officielle. Elle passe soigneusement sous silence toutes les pages sombres du régime et du Parti de même que tous les épisodes de la Chine d’avant 1949 jugés de nature à semer le trouble dans les esprits. Il en reste une histoire tronquée, censurée ou tout simplement fausse que l’on retrouve dans les manuels scolaires comme dans les médias.
*Lire à ce sujet Stèles. La Grande Famine en Chine (1958-1961) du journaliste chinois Yang Jisheng, éditions du Seuil, 2012 (traduit par Louis Vincenolles).
Souvent faux également le contenu des médias qui sont tous étroitement contrôlés par le Parti afin d’en être les relais fidèles de sa propagande. Trompeur aussi le narratif idéologique du Parti savamment diffusé partout dans le pays pour endoctriner la population et s’assurer de sa soumission. Fausses également les statistiques officielles qui ne livrent qu’une partie de la réalité et enjolivent le reste. Les Chinois n’ont, dans leur vaste majorité, aucune connaissance du fait que des dizaines de millions de leurs compatriotes sont morts de faim pendant la campagne catastrophique du Grand bond en Avant (1958-1962) menée par Mao Zedong qui a même connu des épisodes de cannibalisme*.
*Lire à ce sujet Renverser ciel et terre : La tragédie de la Révolution culturelle. Chine, 1966-1976 du même journaliste Yang Jisheng, éditions du Seuil, 2020 (traduit par Louis Vincenolles).
Ils ne savent quasiment rien des conséquences terribles à l’intérieur de leur pays du chaos généré par la Révolution culturelle (1966-1976), cet épisode tragique lui aussi lancé par le dictateur sanguinaire qui n’avait pas hésité à abuser de la crédulité des jeunes Gardes rouges pour semer la terreur à travers le pays et vaincre ses opposants à l’intérieur du Parti*. Quasiment rien non plus du massacre de la place Tiananmen et de la manière dont ont été froidement abattus quelques 2 000 jeunes contestataires tombés victimes des balles de l’Armée populaire de libération le 4 juin 1989 sur l’ordre de leur empereur rouge de l’époque, Deng Xiaoping.

Jeux asiatiques

Il arrive néanmoins que les instruments de la propagande aient des ratés. Ainsi, lorsque CCTV diffusait en direct les matchs de football lors de la coupe du monde au Qatar, des images montrant les spectateurs dans les gradins sans masque avaient provoqué la stupeur et le doute des téléspectateurs chinois obligés, eux, de porter un masque partout, y compris chez eux. Dès le lendemain, CCTV ne montrait plus que des plans rapprochés sur les joueurs, mais le mal était fait. Dimanche 1er octobre, date anniversaire de la création de la République populaire de Chine en 1949, la même télévision étatique avait, dans son compte-rendu quotidien, diffusé parmi d’autres une image de deux athlètes chinoises victorieuses du 100 m aux Jeux asiatiques de Hangzhou.
Problème : cette image, abondamment reprise sur Weibo, le Twitter chinois, montrait bien visibles les chiffres 6 et 4 sur leurs maillots. L’association est à la fois taboue et bannie dans les médias et les réseaux sociaux car elle évoque dans les esprits de nombreux Chinois la date 4 juin 1989 : le massacre de la place Tiananmen lorsque des centaines, voire des milliers, de jeunes avaient été tués par l’Armée Populaire de Libération, sur ordre de Deng Xiaoping. Moins d’une heure plus tard, cette photo était retirée de la page officielle de CCTV.
Mais cet épisode donne la mesure du degré de paranoïa qui est celui du système communiste chinois face à une contestation difficile à éteindre : celle des Chinois qui redoublent d’ingéniosité pour critiquer le régime sur les réseaux sociaux par des associations de caractères chinois apparemment anodins mais qui, dans leur interprétation, ridiculisent leurs dirigeants ou évoquent les pages sombres de la Chine communiste mises sous le tapis de la censure.

« Visibilité internationale »

Pour l’étranger, la technique est presque toujours la même : les sourires et la séduction, suivie s’ils ne marchent pas, des menaces, de la contrainte et, dans certains cas, des représailles qui engendrent alors la peur et trop souvent la soumission. Le régime de Pékin sait aussi s’entourer d’une cohorte d’agents étrangers à sa solde ainsi que de ce que l’on appelle communément les « idiots utiles ». Les premiers sont le plus souvent généreusement stipendiés par le régime tandis que les autres sont des admirateurs transis du « modèle chinois » auquel ils vouent une sorte de fanatisme béat.
*Journalistes free-lance payés à la pige.
La CGTN, la filiale de CCTV qui diffuse vers l’étranger, a récemment déclaré que plus de 700 « stringers »* étrangers sont rétribués par l’État chinois pour leurs services rendus en leur offrant une « visibilité internationale » et des « bonus », terme pudique qui signifie en réalité de l’argent. Parfois beaucoup. Dans les faits, ces agents sont bien plus nombreux que cela et sont grassement payés pour vanter les mérites de la Chine communiste et démentir les « affirmations mensongères » de la presse étrangère, en particulier sur le traitement inhumain réservé aux Ouïghours.
*Je souhaite ici établir un distinguo entre ces trolls et agents de Pékin et des citoyens chinois résidant en France qui, sur les réseaux sociaux, défendent légitimement leur pays en avançant leurs thèses parfois naïves mais avec qui il est néanmoins possible de discuter. Ces derniers sont pour la plupart des patriotes attachés à leur pays à qui je me garderai bien de jeter la pierre.
On a pu ainsi voir des « reportages » d’Occidentaux qui, se présentant comme des journalistes, relatent leur séjour au Tibet ou au Xinjiang où, disent-ils en substance, la vie est tout en rose et facile. Ces influenceurs sont légion sur les réseaux sociaux. J’en ai moi-même rencontré un certain nombre sur la Toile où, systématiquement, ils s’emploient à dénigrer mon travail sur la Chine, usant parfois d’insultes grossières*. Ces trolls ou ces influenceurs à la solde du régime de Pékin sont présents partout : Facebook, LinkedIn, Instagram, X (anciennement Twitter) et, bien sûr, YouTube où certains enregistrent des centaines de milliers de « fans ».

« Cinquante centimes »

En Chine et dans les milieux chinois à l’étranger dans les cercles éclairés, on donne à ces petites mains et internautes le sobriquet peu flatteur de « wumao » (五毛), les « cinquante centimes », chargés de défendre, comme volontaire et/ou comme salarié, la ligne officielle du gouvernement chinois. La BBC leur a récemment consacré une enquête et cité quelques-uns d’entre eux. À l’image de Barrie Jones, un expatrié britannique vivant en Chine, Jason Lightfoot, Lee et Oli Barret père et fils, qui s’expriment sur leur plateforme pour commenter les « mensonges » de l’Occident sur la Chine.
Certains sont abondamment cités sur la CGTN. Lee Barrett explique dans l’une de ses vidéos que des médias officiels chinois tels que China Radio International lui « offrent de payer le transport, le vol [et] le séjour » pour lui et son fils en échange de ses commentaires sur ses voyages, notamment au Xinjiang, publiés dans les médias officiels. Selon la BBC, les « récompenses » versées à ces faux journalistes peuvent aller jusqu’à 10 000 dollars, en fonction des services rendus. En France, nous en avons aussi quelques exemples, dont le tristement célèbre Maxime Vivas qui, en décembre 2020, a publié un livre intitulé Ouïghours, pour en finir avec les fake news, paru aux éditions Les routes de la soie, maison d’édition fondée en 2017 par la très discrète Sonia Bressler qui coédite un magazine mensuel avec un éditeur du Parti communiste chinois.
L’auteur de ce livre s’est rendu deux fois au Xinjiang sous bonne escorte et dans le cadre de voyages soigneusement préparés et encadrés par les autorités chinoises. Il y dénonce toute idée de « génocide » dans cette région. « En vérité, écrit l’auteur, cette région autonome, grande comme trois fois la France, s’arrache à son retard et à la pauvreté avec le concours de la Chine tout entière : aides financières, discriminations positives pour les étudiants passant des examens, formations professionnelles, apprentissage de la langue nationale (le mandarin) dans des centres de formations professionnelles et éducatifs, sans qu’aucune des cinquante-six ethnies du Xinjiang ne soit contrainte à renoncer à sa langue, sa culture, ses croyances ou ses incroyances. »
Le livre de Maxime Vivas, s’il a trouvé un écho très modeste voire inexistant en France, a en revanche été abondamment cité et utilisé par les médias officiels chinois tels que l’Agence Chine nouvelle et le Quotidien du peuple comme preuve irréfutable qu’il n’existe aucun génocide au Xinjiang. Il en a été de même du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi qui s’en est servi lors d’une conférence de presse le 7 mars 2021, en marge de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire.
Plus récemment, le scénariste français Jean-Michel Carré a réalisé un film de propagande chinoise sur le Tibet, « Tibet un autre regard » dont l’affiche en elle-même est parlante puisqu’elle présente une cavalière tibétaine qui brandit le drapeau de la République populaire de Chine. Ce film, un co-production franco-belge, est étonnamment distribué en France par la chaine franco-allemande Arte.

« Médaille de l’amitié »

Rappelons ici que la quasi-totalité des médias étrangers sont inaccessibles pour la population chinoise. Les chaines de télévisions occidentales sont toutes dans l’impossibilité de diffuser sur le sol chinois, tout comme la presse écrite. Une petite partie de la jeunesse chinoise qui en a les moyens à la fois financiers et techniques parvient néanmoins à accéder à l’information étrangère en utilisant des VPN (Virtual Private Network) dont l’adresse IP de l’utilisateur est cachée. Mais ces VPN sont chers et généralement vite identifiés et paralysés par les censeurs sur la Toile chinoise.
S’agissant des « agents d’influence », la France ne fait pas exception, avec un certain nombre de grands amis du PCC, y compris dans les sphères du pouvoir. Parmi eux, figure l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin qui s’est à de nombreuses reprises distingué par ses positions volontiers bienveillantes à l’égard du régime communiste chinois, au point d’ailleurs d’accepter d’être instrumentalisé par la propagande en posant devant la caméra de CCTV, devant laquelle il n’a pas hésité à vanter les mérites du communisme à la chinoise.
Il n’a pas hésité non plus à ouvrir son carnet d’adresse à ses « amis chinois » qui en ont largement tiré profit pour faire fructifier leurs affaires en France. Jean-Pierre Raffarin, qui ne parle un mot de chinois mais qui est encore souvent présenté comme un grand spécialiste de la Chine, a été récompensé pour son travail de lobbying inlassable puisqu’il a été décoré en 2011 par Xi Jinping en personne de la « médaille de l’amitié ».

« Irresponsables »

S’agissant du volet des ingérences dans la politique intérieure des pays partenaires de la Chine, les exemples fourmillent et illustrent le degré consternant de naïveté dont ont fait preuve les gouvernements occidentaux pendant des décennies à l’égard de la Chine. Sans parler des États-Unis, l’Australie, terre d’élection de centaines de milliers de Chinois qui y ont pris souche, a ainsi découvert à partir de 2019 que ses médias, ses universités, son parlement et même son exécutif étaient infiltrés par des agents à la solde du régime de Pékin.
Le Royaume-Uni a été le mois dernier secoué par un scandale sans précédent lorsque les autorités ont découvert qu’un badge donnant accès au parlement avait été octroyé à Chris Cash, un Britannique de 28 ans, interpellé le 13 mars, pour suspicion d’espionnage pour le compte de la Chine – ce que l’intéressé nie. L’histoire, révélée par le Sunday Times le 10 septembre, six mois après les faits, a semé la panique à Westminster. Chris Cash était un collaborateur de l’influente Alicia Kearns, députée conservatrice et présidente de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des communes.
Il animait les travaux du China Research Group, fondé par un autre député, Tom Tugendhat, devenu secrétaire d’État chargé de la Sécurité il y a un an. Dans un nouveau rebondissement le 17 septembre, le Times a révélé que Chris Cash avait eu accès à Westminster en tant que simple visiteur pendant plus d’un an, sans être soumis à une enquête de sécurité, grâce à ses liens avec les deux députés. Il n’a obtenu son badge que début 2023, grâce à une intervention de Kearns, quelques semaines avant d’être interpellé.
Autre épisode encore d’une opération de désinformation chinoise : la campagne de dénigrement menée par Pékin contre le Japon lorsque celui-ci a entamé fin août le rejet en mer des eaux de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima. Bien que les experts de l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) avaient, après analyse, dûment déclaré l’absence de tout danger dans cette opération, les autorités chinoises ont accusé le Japon d’actes « irresponsables » mettant en danger les populations des pays riverains et interdit l’importation en Chine de tous les produits de la mer japonais.
Immédiatement, cette déclaration avait déclenché des actes de colère dans la population chinoise dans un pays où le nationalisme est régulièrement utilisé lorsque le régime fait face à des problèmes intérieurs : l’ambassade du Japon de même que des institutions et écoles japonaises à travers la Chine ont été la cible de jet de pierres et d’actes de harcèlement téléphoniques dénoncés par le ministre japonais des Affaires étrangères Yoshimasa Hayashi comme « extrêmement regrettables ».

Vidéo virale

Le contraire aurait été surprenant : les États-Unis sont aussi la cible de la désinformation chinoise. En témoignent ces fausses accusations qui, ces derniers mois, ont inondé les réseaux sociaux chinois de maltraitance envers les pandas dans des zoos américains. Ces infox, amplifiées par les influenceurs selon les spécialistes, viennent entacher la « diplomatie du panda » de Pékin, politique utilisée depuis des décennies par le gouvernement chinois qui consiste à offrir ces animaux à d’autres pays en signe d’amitié.
Une vidéo virale circulant sur plusieurs plateformes chinoises comme Weibo et Douyin a relayé la thèse selon laquelle la femelle panda Mei Xiang aurait été maltraitée par le zoo Smithsonian de Washington, victime de dizaines d’inséminations artificielles douloureuses. Une campagne passionnée s’est ensuivie pour qu’elle soit « sauvée » et ramenée en Chine. Le zoo américain n’a pas souhaité commenter cette campagne, mais selon les journalistes de fact-checking de l’AFP, la vidéo datant en réalité de 2015 montre en fait un panda mâle subissant des examens médicaux. Sur ces mêmes plateformes chinoises, une image prétend également montrer le compagnon de Mei Xiang, Tian Tian, sous sédatifs et immobilisé pendant un examen. Mais là encore, il s’agit d’un panda de la province chinoise du Fujian pendant un examen en 2005, selon le laboratoire de recherche numérique de l’Atlantic Council (DFRLab).
Dernier exemple en date d’une importance toute particulière pour Pékin : l’ingérence chinoise dans le processus électoral à Taïwan. Alors que la prochaine élection présidentielle, prévue le 13 janvier 2024 approche, les autorités taïwanaises ont accusé Pékin mercredi4 octobre d’user de moyens « très variés » pour orienter l’opinion publique dans l’île. « La façon dont les communistes chinois s’ingèrent dans les élections est très variée », a déclaré le directeur général du Bureau de la Sécurité Nationale Tsai Ming-yen, cité par Reuters. La Chine fait usage de pressions militaires, d’instruments coercitifs économiques et de désinformation afin de créer un choix « entre la guerre et la paix » dans l’esprit des électeurs de Taïwan, a-t-il précisé.
Le résultat de cette élection sera observé avec une grande attention à Pékin mais aussi dans le reste du monde. En dépendent les choix qui seront faits à Taipei entre la poursuite d’une politique de refus de négocier avec Pékin une « réunification » avec le continent tout en s’abstenant de déclarer l’indépendance formelle de l’île, la thèse du candidat Lai Ching-te du Parti Progressiste-Démocrate (DPP) de la présidente actuelle Tsai Ing-wen, ou ceux plus accommodants avec le régime communiste chinois des autres candidats. Pour le moment, Lai Ching-te caracole largement en tête dans les sondages.
En septembre 2021, l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire), placé sous la tutelle du ministère français des Armées, a publié un volumineux rapport (650 pages) sur les opérations d’influence de la Chine qui, en préambule disait ceci : « Pendant longtemps, on a pu dire que la Chine, contrairement à la Russie, cherchait davantage à être aimée que crainte ; qu’elle voulait séduire, projeter une image positive d’elle-même dans le monde, susciter l’admiration. Pékin n’a pas renoncé à séduire, à son attractivité et à son ambition de façonner les normes internationales, et il reste essentiel pour le Parti communiste de ne pas « perdre la face ». Mais, en même temps, Pékin assume de plus en plus d’infiltrer et de contraindre : ses opérations d’influence se sont considérablement durcies ces dernières années et ses méthodes ressemblent de plus en plus à celles employées par Moscou. C’est un « moment machiavélien » au sens où le Parti-État semble désormais estimer que, comme l’écrivait Machiavel dans Le Prince, « il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». » Ces mots résument parfaitement la situation d’aujourd’hui.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).