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Analyse

Nouvelle-Calédonie : toujours pas de dialogue

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-Mer, avaient déjà réuni Paul Néaoutyine, président indépendantiste de la province Nord, et Sonia Backès, présidente de la province Sud, le 5 mars 2023 à Koné. (Source : Le Figaro)
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-Mer, avaient déjà réuni Paul Néaoutyine, président indépendantiste de la province Nord, et Sonia Backès, présidente de la province Sud, le 5 mars 2023 à Koné. (Source : Le Figaro)
En Nouvelle-Calédonie, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin fait lentement avancer le dialogue, alors que la Polynésie française a voté pour un futur indépendantiste et que les États-Unis continuent de façonner l’architecture sécuritaire de l’Indo-Pacifique.
Troisième visite en six mois de Gérald Darmanin en Nouvelle-Calédonie. Le ministre était accompagné de la secrétaire d’État chargé de la citoyenneté Sonia Backès et de Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer. Si les trois parties en lice — État, indépendantistes et loyalistes — se sont retrouvées le 1er juin pour assister à la « restitution » des travaux engagés depuis 20 ans, l’éventualité d’un dialogue à trois s’est arrêtée là. Il s’agissait donc d’écouter les conclusions de deux études accomplies par diverses parties, dont une, l’audit de décolonisation, a été faite par le cabinet de conseil Roland Berger et l’autre portait sur le bilan de l’Accord de Nouméa. La satisfaction était notable des deux côtés, même si les indépendantistes ont noté le manque de progrès sur la question de la restitution des terres kanak. En revanche, les transferts de compétence sont sans doute l’élément le plus achevé de ces deux décennies. Côté économique, on note la corrélation encore marquée entre les transferts de l’État et la croissance du PIB calédonien. Le fameux « rééquilibrage » économique entre les provinces a coûté 315 milliards de Francs CFP, soit 2,6 milliards d’euros, mais les inégalités entre provinces restent patentes. L’attention portée à la culture kanak et à sa transmission dès les plus jeunes classes figure dans le bilan de l’Accord, mais il faut néanmoins ajouter que les principes d’une citoyenneté locale restent mal définis.
L’audit de décolonisation rappelle les textes de deux résolutions onusiennes de 1960 sur le terme de « décolonisation ». Notamment le texte 1541 du 15 décembre 1960 qui « énonce les options qui permettent à un territoire non autonome d’atteindre un statut de pleine autonomie. Ces options comprennent l’intégration à un autre État, l’association libre à un autre État, l’indépendance ou tout autre statut politique librement décidé par le peuple concerné. » Il est bon de se souvenir que « la Nouvelle-Calédonie a figuré sur la liste des territoires non autonomes établie par les Nations Unies de 1946 à 1947, avant d’en être retirée. Le 2 décembre 1986, l’Assemblée générale de l’ONU a réinscrit la Nouvelle-Calédonie sur cette liste, adoptant la résolution 41/41/A affirmant « le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance ». Le rapport note que toutes les compétences « obligatoires » ont été transférées. Le cadre dans lequel se sont déroulés les trois référendums est aussi rappelé par les observateurs onusiens. Et de conclure : « Après le triple refus de l’accès à la pleine souveraineté, un dialogue renouvelé associant l’État et toutes les parties prenantes politiques apparaît pertinent pour élaborer un nouveau statut pour le territoire, librement décidé et en accord avec le droit des Calédoniens à disposer d’eux-mêmes, conformément à la résolution 2625 de l’ONU. » En 1999, une loi organique a donné à la Nouvelle-Calédonie la responsabilité de définir son développement économique, l’État représentant 20 % des dépenses totales du pays et son rôle étant défini comme « structurant », selon le rapport. La Nouvelle-Calédonie a aussi la responsabilité de gérer sa ressource minière et ses ressources marines.
*« Au moment où l’État identifie l’Indo-Pacifique comme un axe stratégique, les acteurs de Nouvelle-Calédonie de toutes sensibilités expriment leur regret de ne pas être associés à ces réflexions. Ils expriment le souhait de pouvoir contribuer demain à la définition et à la mise en œuvre d’une stratégie Indo-Pacifique, co-construite avec les ressortissants français de la zone. »
Au plan des relations extérieures, la Nouvelle-Calédonie a acquis le droit de définir des axes de développement et des relations avec d’autres pays en accord avec l’État. Ainsi, la participation aux organisations régionales et « l’adhésion à des organismes internationaux en tant que membre, membre associé ou observateur » ont lieu avec l’accord de l’État. Le rapport note les avancées accomplies dans ce domaine : convention de coopération entre la France et le Vanuatu en 2002 ; la Nouvelle-Calédonie membre du Forum des Îles du Pacifique depuis 2016 ; siège sans voix délibérative au comité régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2016 ; membre associé de l’UNESCO depuis 2017 ; délégués à la coopération régionale nommés dans plusieurs pays de la zone, et enfin participation de la Nouvelle-Calédonie au dialogue initié entre le Japon et les dirigeants du Pacifique en 2018-2019. « Les Affaires étrangères, souligne le rapport, sont aujourd’hui une compétence partagée entre l’État et la Nouvelle-Calédonie » à laquelle les instances locales aimeraient contribuer davantage dans le cadre de la politique indo-pacifique de la France*.
Pour ce qui est des tâches à accomplir après cette visite, il faut tendre vers une simplification des trois listes électorales existantes. L’État maintient que les élections provinciales auront bien lieu en 2024. Il semblerait qu’un consensus se développe sur la manière d’amender ces listes. Pour commencer, 11 000 votants natifs doivent être réintégrés dans la liste électorale. Pour les autres, un compromis devra être trouvé entre les personnes présentes sur le territoire depuis trois à cinq ans pour les loyalistes, contre sept à dix ans pour les indépendantistes. Le Conseil constitutionnel sera saisi rapidement sur les modalités d’un accord, a indiqué le ministre.
Quant à la pleine souveraineté, deux générations ont été évoquées par les loyalistes au grand dam des indépendantistes qui pensent en termes d’années, soit environ dix ans. Enfin, il est envisagé que les trois parties pourraient se rencontrer à Paris en août.

Désir d’indépendance

Dans le même temps, ce sont les indépendantistes qui, le mois dernier, emportaient les élections territoriales en Polynésie française. L’ancien député à l’Assemblée nationale Moetai Brotherson a cependant pris la présidence du gouvernement aux autonomistes, qui ont sans doute payé le prix de leur désunion. Avec un docteur en langue polynésienne à la tête du ministère de l’Éducation, le groupe indépendantiste insiste dès le départ sur l’affirmation de la différence polynésienne et entend aboutir à une indépendance qui pourrait sortir d’un référendum à négocier avec l’État.
Le gouvernement français se trouve donc dans une position instable quant à sa présence océanienne, pôle majeur de son axe indo-pacifique. Car cet axe dont tout le monde parle n’est pas le même pour tout le monde. L’axe français tend à être horizontal, comprenant l’Océanie et l’île de la Réunion et ses voisins, alors que l’axe anglo-saxon tend à être vertical, de l’Australie au Japon en passant par un ancrage en Asie du Sud-Est grâce à l’ASEAN. Le discours américain autour d’une « architecture » indo-pacifique démontre la prise de conscience que tenir la Chine à l’écart de cet espace requiert une série d’axes interconnectés. Si cette vision a tardé à faire surface, elle avance à grands pas depuis le sommet avec les îles du Pacifique organisé par Washington fin septembre 2022. Depuis cette rencontre, les États-Unis ont annoncé leur intention de nommer des diplomates dans certaines îles où ils n’étaient que peu présents. Ils ont aussi récemment signé un accord sécuritaire avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ont entamé des discussions avec les Philippines sur leur place autour du Quad, dont l’axe vertical conduit de Canberra à Tokyo. Car à la différence de l’Inde, aussi membre du Quad, les États-Unis ont de longue date des bases et une coopération militaires avec les Philippines, ancienne colonie américaine.

Réseautage

Washington est donc en bonne position pour créer un espace constitué de multiples axes entre l’Ouest américain et l’Est africain : horizontaux en passant par l’Océanie et certaines bases dans l’océan Indien, verticaux de l’Australie au Japon, et diagonaux comme par exemple les axes qui rayonnent à travers l’ASEAN, que Washington semble maintenant vouloir connecter aux axes verticaux et horizontaux. Il ne s’agit pas de répliquer l’OTAN, qui implique la défense collective des acteurs entre eux, mais certainement de développer un réseau très vaste pour barrer les « Nouvelles routes de la soie » chinoises dans tous les espaces où elles tentent de s’enraciner.
Pour la France, le défi est également de développer cette notion de réseau en passant par des liens à renforcer avec l’Inde ; avec les nations de l’ASEAN, telle l’Indonésie, acheteur de Rafales et où le président de la République s’était rendu pour le G20 de novembre dernier ; avec le Japon, la Corée du Sud et d’autres. Cette dernière organisait fin mai son premier sommet avec le Forum des îles du Pacifique où le chef du gouvernement calédonien, Louis Mapou, a pu s’entretenir avec les responsables sud-coréens. En effet, il existe déjà un lien important grâce au nickel puisque le Coréen Posco est actionnaire à 49 % d’une usine de nickel construite avec les actionnaires calédoniens de la SMSP en Corée même. Lors de la réunion, il a aussi été question d’établir une ligne aérienne entre Séoul et Nouméa bien que la question épineuse de la rentabilité d’une telle entreprise reste en suspens. Mais le message d’une connexion plus ténue avec les États du Pacifique est bien passé en Corée.
La France a donc tout intérêt à ancrer les îles du Pacifique à sa propre architecture, au moment où celles-ci affirment leur désir d’indépendance. Une chose est claire : la position française, si elle s’affaiblissait dans la zone, serait rapidement relayée par les membres du Quad (Inde, Japon, Australie, États-Unis) et d’Aukus (États-Unis, Australie, Royaume-Uni), car aucun d’entre eux ne laisserait la Chine prendre pied dans cet espace, et en particulier en Nouvelle-Calédonie. La vision américaine, si elle reste à réaliser, a évolué rapidement dans les douze derniers mois.
Pour jouer sa carte dans le système indo-pacifique, la France jouit de nombreux atouts mais la concurrence sera rude. Elle l’est déjà avec l’Indonésie dans le domaine minier puisque le nickel calédonien est plus cher. Comme l’a dit le ministre lors de sa visite, la Nouvelle-Calédonie est le seul pays minier qui ne parvient pas à vivre de sa ressource. Concurrence aussi dans les marchés de la défense comme l’a violemment démontré l’affaire des sous-marins australiens. Mais le gouvernement français a pris conscience de la centralité de la diplomatie asiatique en relation à la position mondiale de la France. Le conflit ukrainien ne devrait pas faire perdre de vue l’image d’une diplomatie qui se veut planétaire.
Par Sandrine Teyssonneyre, à Nouméa

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A propos de l'auteur
Diplômée de la School of International and Public Affairs de Columbia University, Sandrine Teyssonneyre a 25 ans de carrière dans la finance, la diplomatie multilatérale, le conseil et l’enseignement des relations internationales. Entre autres livres, elle est l’auteur de "The United Nations and Business : A Partnership Recovered. Elle a conseillé des agences de l’ONU et des entreprises sur leur expansion pérenne dans les pays émergents et en développement.