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Nouvelle-Calédonie : le troisième référendum ramène à la case départ

Le drapeau français et le drapeau de la Nouvelle-Calédonie à Nouméa, le 4 décembre 2021. (Source : La Croix)
Le drapeau français et le drapeau de la Nouvelle-Calédonie à Nouméa, le 4 décembre 2021. (Source : La Croix)
L’impeccable organisation juridique et logistique de la troisième consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie n’occulte pas la profonde division des parties en présence, l’impasse financière dans laquelle se trouve le pays et le brouillard qui s’est installé. De fait, un « dialogue » vieux de quarante ans n’a toujours rien produit de tangible.
Le déclenchement d’une pré-alerte cyclonique dimanche matin 12 décembre semblait le confirmer : il ne fallait pas voter une troisième fois pour répondre à la même question. Si les loyalistes insistaient depuis le lendemain du second scrutin sur la nécessité d’entamer les discussions sur un statut définitif, les indépendantistes demandaient d’abord une troisième consultation dès avril 2021, pour la dénoncer ensuite comme « un vote de Blancs », une fois la décision prise de la boycotter. Le refus d’un dernier recours en Conseil d’État quatre jours avant le vote fermait toute autre issue. Lorsque l’on s’interroge sur ce qui a bien pu produire un tel blocage, il ne suffit pas de pointer du doigt la crise sanitaire et le deuil qui s’ensuit. L’imbroglio est le fruit même de l’ambiguïté de l’Accord de Nouméa et des compromis, voire des compromissions, que le texte contient. Il est probable, de surcroît, que le fiasco diplomatique engendré par la formation de l’alliance Aukus (Australie, États-Unis, Royaume-Uni) en septembre ait confirmé les menaces d’ingérence et conduit le gouvernement d’Emmanuel Macron à vouloir agir rapidement. Pour autant, on ne doute pas que la question de la présence française dans cette zone du Pacifique ait été discutée avec « les alliés », américain notamment, depuis lors.

Les résultats

Seuls 81 000 Calédoniens sur un peu plus de 184 000 inscrits sur la liste référendaire ont participé au scrutin, 96,5 % se prononçant contre la pleine souveraineté. Le taux d’abstention record se situe à 56 %. Le paradoxe de la situation fait que même en terre indépendantiste, le « non » est largement majoritaire, alors que 2 747 « oui » ont été enregistrés sur tout le territoire. Signe de lassitude, le « non » recule néanmoins de 5 783 voix. Très fortement sécurisé et observé par le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, depuis sa septaine, le vote s’est déroulé sans incidents.
Quelques jours avant le scrutin, le président du Congrès Roch Wamytan (FLNKS) et deux collègues s’étaient envolés pour New York afin de faire entendre leur cause auprès du Comité de décolonisation, alors que la présidente loyaliste de la province Sud était entendue virtuellement. Depuis Paris, Roch Wamytan déclarait ne pas reconnaître les résultats de ce « vote bidon », opposant l’organisation juridique du vote à son caractère politiquement caduque.
Depuis les jardins du Haut-Commissariat, le ministre menait des conversations « informelles » avec ceux qui voulaient bien l’entendre. Il finissait par accepter, ce mardi 14 décembre, la demande indépendantiste de repousser au lendemain des élections législatives toute discussion sur le futur statut. D’ici là, on devrait d’abord faire face aux « urgences ». Il avait déclaré la veille à la télévision Nouvelle-Calédonie la 1ère (NC la 1ère) que le pays courrait des risques financiers et qu’une nouvelle crise sanitaire pourrait encore frapper. À croire que la politique de la peur dominera cette phase de « bilan de l’Accord de Nouméa ». Le ministre se rendra également à l’ONU début 2022 pour entendre le Comité de décolonisation sur les modalités acceptables de sortie. Car c’est bien sur cela qu’il faudra finir par s’entendre.

Le coût des ambiguïtés

Outre le caractère non démocratique du corps référendaire, se pose la question de savoir si la Nouvelle-Calédonie est encore un territoire colonial. L’obligation internationale de décoloniser est issue de l’histoire des années 1960. La résolution des Nations Unies 1514 du 14 décembre 1960 énonce que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme » et que le « processus de libération est irrésistible et irréversible ». Il faut donc « mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagne ». Sur la base de ces définitions, les réformes des 40 dernières années ont déjà mis fin au statut colonial de la Nouvelle-Calédonie.
*Le franc CFP (Change Franc Pacifique, anciennement Colonies françaises du Pacifique), appelé aussi « franc Pacifique », ou encore simplement « franc » dans l’usage courant, est, avec l’euro, une des deux monnaies officiellement utilisées au sein de la République française. Il a cours dans les collectivités d’outre-mer françaises de l’océan Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
La fin de « l’exploitation économique » était prise en compte par le transfert à la province Nord du massif minier du Koniambo et la création de l’usine KNS afin de rééquilibrer les richesses et la croissance économique entre les populations. Au bout de 23 ans, il en ressort une usine dont l’endettement met sa pérennité en doute, l’investisseur suisse Glencore se donnant jusqu’à juin 2022 pour rester ou partir. Dans la période, le prix de la tonne de nickel a oscillé entre 50 000 et moins de 10 000 dollars. Cette année, la Nouvelle-Calédonie a emprunté 50 milliards de francs CFP*, soit en un an ce qu’elle emprunte typiquement en dix ans, la rendant plus dépendante que jamais.
Le texte de l’Accord de Nouméa a conduit à l’évocation d’une souveraineté qui n’en est pas une, d’une citoyenneté arbitraire qui ne constitue pas la base d’une nationalité, d’une auto-détermination qui semble introuvable sans une grande puissance associée, et d’un « destin commun » qui s’effondre sur le boycott indépendantiste et auquel les cours de langues kanak obligatoires, pour tous les lycéens, n’auront rien changé. Enfin, si pour certains la nationalité française est instrumentale (« on est trop petits pour survivre seuls »), pour d’autres, elle est identitaire. Si l’on en est là, c’est aussi parce que chaque mot voulait dire son contraire.

« Il faut imaginer Sisyphe heureux »

Dans leur rapport de 2018, « Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », les juristes Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien avaient proposé quatre options de sortie de l’Accord. Les trois référendums écartent deux d’entre elles : la « pleine souveraineté » et « l’État-associé », grand favori du discours indépendantiste, sur le modèle des Îles Cook (adossées à la Nouvelle-Zélande), de la Micronésie (adossée aux États-Unis) ou encore du Liechtenstein (adossé à la Suisse).
La troisième option, « l’autonomie étendue », s’assimile à ce que les Anglo-américains appellent « self-government ». Dans ce cas, le nombre de compétences gérées localement serait renégocié, mais la puissance délégatrice resterait la France. Deux problèmes se posent : combien de compétences peuvent encore être transférées au pays et est-il capable de les assumer ? De plus, cette forme de décentralisation poussée représenterait, selon les auteurs, une forme de fédéralisme par rapport à la centralité du pouvoir en France. Il s’ensuivrait une nécessaire révision de la Constitution. Reste la quatrième option, « l’autonomie pérenne », soit la permanence de l’état de fait des deux dernières décennies, la question étant de savoir si celle-ci serait acceptable au titre de la sortie de l’Accord de Nouméa.
Dernière option à considérer : une réintégration « inexorable » au sein de la République, comme le souhaitent certains loyalistes, notamment Harold Martin lors d’entretiens radiodiffusés. Si la résolution 1541 du 15 décembre 1960 laisse ouverte la possibilité de l’intégration du territoire « autonome » à un État indépendant, en l’occurrence la France, l’Accord de Nouméa implique un processus allant d’un statu quo ante à un autre statut. L’idée wilsonienne de la « liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes » implique que le statut ultérieur constitue un progrès par rapport au statu quo ante, ce qui reste à prouver.
Lorsqu’elles reprendront, les négociations butteront sur des dilemmes bien connus. D’abord, la renégociation des instances politiques locales, de la clé de répartition financière entre les provinces, et donc la question des inégalités entre communautés. Ensuite, les critères de la citoyenneté calédonienne, si elle perdure, et son interaction avec la citoyenneté française. Enfin et surtout, le corps électoral qui votera le statut « définitif ». Le précédent créé par l’Accord de Nouméa rend douteuse l’acceptation du principe « d’un électeur-une voix » sur une liste électorale unique. Pourtant, comment qualifier un vote de démocratique hors du suffrage universel ? Dans tous les cas, les restrictions du corps électoral devront sortir de la Constitution française.
En attendant de gravir la prochaine montagne, ce sont les eaux du déluge qui se sont abattues sur un pays où les transformations intervenues depuis 1998 ressemblent aux villages Potemkine de Catherine II de Russie. Dans le même temps, les illusions semblent se briser sur l’iceberg d’une certaine démagogie, dont la partie cachée est, comme toujours, la plus grande.
Par Sandrine Teyssonneyre, à Nouméa

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A propos de l'auteur
Diplômée de la School of International and Public Affairs de Columbia University, Sandrine Teyssonneyre a 25 ans de carrière dans la finance, la diplomatie multilatérale, le conseil et l’enseignement des relations internationales. Entre autres livres, elle est l’auteur de "The United Nations and Business : A Partnership Recovered. Elle a conseillé des agences de l’ONU et des entreprises sur leur expansion pérenne dans les pays émergents et en développement.