Politique
Analyse

Nouvelle-Calédonie : les négociations piétinent toujours et encore

La Première ministre française Elisabeth Borne et son ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin reçoivent des membres de la délégation du FLNKS sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie à Paris, le 11 avril 2023. (Source : La Provence)
La Première ministre française Elisabeth Borne et son ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin reçoivent des membres de la délégation du FLNKS sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie à Paris, le 11 avril 2023. (Source : La Provence)
Indépendantistes et non-indépendantistes ont clôturé le 16 avril dernier une semaine de discussion à Paris sans jamais se rencontrer, alors que les alliances régionales progressent sous l’égide des États-Unis.
C’est après deux visites sur le territoire du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, et du ministre délégué à l’Outre-mer, Jean-François Carenco, en décembre et mars derniers, qu’indépendantistes et loyalistes calédoniens se sont retrouvés à Paris du 11 au 14 avril, sans parvenir pour autant à s’asseoir à la même table. Afin de ne pas croiser de loyalistes dans le même lieu, les indépendantistes ont même boudé l’inauguration à l’Assemblée nationale d’une salle portant les noms du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et celui de son partenaire Jacques Lafleur, à laquelle d’ailleurs très peu de non-indépendantistes étaient présents. Le même soir, les indépendantistes avaient accepté un « dîner de travail » dans les alentours de Matignon. Pour les non-indépendantistes, les discours et les mesures symboliques ont suffisamment duré et ils s’impatientent de progresser sur les sujets épineux du corps électoral et du futur statut.
Force est de constater, cependant, que très peu de chemin a été parcouru, une fois de plus. Restent à décider des modalités d’accession à la pleine souveraineté, le cas échéant, puisque ce droit est inscrit dans les Accords de Nouméa, celles du gel du corps électoral et celles du futur statut du territoire. Il existe notamment trois listes électorales différentes. Tout citoyen français inscrit sur une liste électorale peut voter aux élections nationales. En revanche, les listes de participation aux élections provinciales et référendaires sont restreintes par des obligations de résidence en Nouvelle-Calédonie variables avant 1998. L’établissement de ces listes a provoqué de grands conflits quand certains natifs du territoire se sont vu refuser le droit de vote. La définition du terme de « citoyen » est à l’origine de ces conflits : est considéré « citoyen néo-calédonien » toute personne de nationalité française résidant en Nouvelle-Calédonie depuis novembre 1998, ou les personnes majeures après cette date dont au moins l’un des deux parents est citoyen néo-calédonien. L’utilisation du terme « citoyen » dans un territoire non souverain ne simplifie pas le problème. La liste référendaire est elle-même caduque puisque les trois référendums prévus ont eu lieu. Ce qui reste donc à définir est la forme définitive que devrait prendre la liste des prochaines élections provinciales.
Le ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer se rendra encore une fois sur place en juin prochain pour tenter d’aboutir à une discussion à trois. Mais avant cela, il ira à New York pour une consultation cruciale avec le Comité de décolonisation des Nations Unies.

Le réveil américain

Les 28 et 29 septembre derniers, le président Joe Biden avait convié les États du Pacifique à un sommet à Washington pour discuter de l’aide que les États-Unis seraient prêts à fournir pour limiter les progrès de l’investissement chinois dans la zone. Parmi les décisions prises par l’administration américaine, la nomination d’un ambassadeur auprès du Forum du Pacifique qui siège à Fidji, puisque les États-Unis ont une présence indirecte dans la zone à travers l’île de Guam, siège d’une importante base militaire américaine, mais aussi à Tonga et aux îles Kiribati, où la compétition avec la Chine est engagée.
Bien qu’elle ne soit pas un État, la Nouvelle-Calédonie, membre du Forum des Îles du Pacifique, avait été conviée à cette rencontre et c’est le président indépendantiste du gouvernement calédonien, Louis Mapou, qui l’avait représentée. La France, comme les États-Unis, est un « partenaire » de cette institution multilatérale régionale. Les États-Unis ont des pactes d’assistance militaire et économique (« compact of free association ») avec la Micronésie, Palau et les îles Marshall — tous membres du Forum du Pacifique. Guam, en tant que territoire « non incorporé » des États-Unis, n’est pas membre du Forum, mais a un statut d’observateur comme les îles Marianne et les Samoa américaines. Les habitants de Guam ne votent pas dans les élections américaines.
On se souviendra qu’en septembre 2021, l’Australie avait fait volte-face dans son projet d’acheter des sous-marins français en choisissant de s’équiper en sous-marins à propulsion nucléaire auprès de Washington. En mars dernier, les trois pays de l’alliance Aukus (Australie, États-Unis, Royaume-Uni) scellaient ce projet à San Diego en Californie avec une discussion tripartite de la marche à suivre. Ce n’est pourtant qu’au début de la décennie prochaine que les premiers sous-marins seraient livrés, alors que la tension avec Pékin ne manquera pas d’être attisée bien plus tôt, comme le démontrent les récents exercices militaires dans le détroit de Taïwan. Cette semaine, la ministre australienne des Affaires étrangères Penny Wong a fait une visite de deux jours en Nouvelle-Calédonie durant laquelle elle s’est exprimée au Congrès. Il n’a pas été question de sous-marins mais bien au contraire de liens d’amitié entre les deux pays.
Le principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes devint le socle des relations internationales lors de la signature du Traité de Versailles mettant fin à la Première Guerre mondiale en 1918-19. La France faisait alors déjà l’objet d’une tentative anglo-américaine d’hâter l’indépendance de la Syrie au détriment des intérêts français au Proche-Orient. Une opposition similaire entre les deux parties se manifesta pendant la Deuxième Guerre mondiale sur le territoire syrien. Depuis le XIXème siècle, Washington considère que le Pacifique doit être sous sa tutelle, position renforcée pendant la Seconde Guerre mondiale. La formation d’Aukus rappelle à ceux qui l’oublieraient que leur présence dans le Pacifique ne peut en rien s’ériger contre les intérêts américains. Le retrait australien du projet d’achat des sous-marins français a servi à rappeler à la France que sa présence en Océanie doit s’inscrire dans la volonté américaine de bloquer toute progression chinoise dans la région. Quant à la volonté des peuples à disposer d’eux-mêmes, elle est une arme que les États-Unis peuvent dégainer si leurs intérêts semblent être mis à l’écart.

Quel jeu ?

Serait-ce avec un clin d’œil vers Washington que Paris nommait en février dernier Jean-Baptiste Jeangène Vilmer ambassadeur au Vanuatu et aux Îles Salomon, diplomate co-auteur d’un tome de plus de 600 pages sur les tactiques d’influence chinoises, qui permettent à l’empire du Milieu de s’ingérer militairement et économiquement sur la surface du globe ? Les deux archipels, qui constituent la deuxième barrière d’îles protégeant le continent australien, sont directement dans la ligne de mire de Pékin et sont considérés comme des avant-postes de la confrontation entre la Chine et l’Occident. Dès son arrivée sur les lieux, l’ambassadeur a initié une série de programmes pour que le soft power français se substitue rapidement aux offres d’aide chinoise, déjà bien assise au Vanuatu en particulier.
La conclusion des événements de ces dernières années est que la présence française dans la région ne saurait servir à équilibrer, mais au contraire devrait renforcer celle des États-Unis et de leurs alliés les plus proches. Reste à déterminer les implications stratégiques que cela pourrait avoir pour les relations sino-françaises, voire sino-européennes, comme l’a démontré la visite officielle du président français en Chine au moment où les représentants calédoniens se trouvaient à Paris.
Autre développement diplomatique : le Japon a ouvert un bureau consulaire à Nouméa, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, bureau placé sous la direction de l’ambassade nippone à Paris. Le Japon est un des membres de l’alliance informelle, le QUAD, qui le lie aux États-Unis, à l’Australie et à l’Inde.
La France, ni membre du QUAD, ni membre d’Aukus, devra prendre garde que sa présence dans le Pacifique ne soit testée par ceux qu’elle considère comme « alliés ». Les visites simultanées du président français en Chine et des partis calédoniens à Paris ne pouvaient mieux illustrer l’imbroglio qui lie le futur calédonien à celui des relations internationales.
Par Sandrine Teyssonneyre, à Nouméa

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Diplômée de la School of International and Public Affairs de Columbia University, Sandrine Teyssonneyre a 25 ans de carrière dans la finance, la diplomatie multilatérale, le conseil et l’enseignement des relations internationales. Entre autres livres, elle est l’auteur de "The United Nations and Business : A Partnership Recovered. Elle a conseillé des agences de l’ONU et des entreprises sur leur expansion pérenne dans les pays émergents et en développement.