Politique
Entretien

Livre : "Confucius aujourd'hui" de Pierre-Antoine Donnet ou les prémices de la démocratie en Asie

(Source : PBS Learning Media)
(Source : PBS Learning Media)
Dans son ouvrage Confucius aujourd’hui, un héritage universaliste, le journaliste Pierre-Antoine Donnet voit dans la figure du grand penseur chinois qui vécut à l’époque de Bouddha et des philosophes grecs, un pont entre l’Extrême-Orient et l’Occident. À ses yeux, Confucius peut être le fil conducteur qui permet de trouver au-delà de ce qui les séparent, les valeurs communes universelles et les conditions d’un échange : plus d’attention au temps long pour l’Occident et plus de démocratie en Asie. Pierre-Antoine Donnet répond aux questions d’Anne Garrigue.

Entretien

Ancien rédacteur en chef central de l’Agence France-Presse dont il fut aussi le correspondant à New York et à Pékin, Pierre-Antoine Donnet est un contributeur régulier d’Asialyst. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l’Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié Le leadership mondial en question, L’affrontement entre la Chine et les États-Unis aux Éditions de l’Aube. Il est aussi l’auteur de Tibet mort ou vif, paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après Chine, le grand prédateur, paru en 2021 aux Éditions de l’Aube, il a dirigé fin 2022 l’ouvrage collectif Le Dossier chinois (Cherche Midi), avant de publier début 2023 Confucius aujourd’hui, un héritage universaliste (L’Aube).

Le journaliste Pierre-Antoine Donnet. (Crédit : DR)
Le journaliste Pierre-Antoine Donnet. (Crédit : DR)
D’où vient l’idée de ce livre ?
Parmi les grands penseurs de cette planète, vécut il y a 2 500 ans Confucius. Je me suis aperçu il y a déjà longtemps que sa pensée avait irrigué une bonne partie de l’Asie de l’Est et qu’elle continuait d’avoir une influence très forte dans cette région du monde, parfois de façon dévoyée.
Quels sont les pays où cette influence confucéenne reste structurante ?
La Chine, qui abrite le lieu de naissance de Confucius, a été marquée par cette pensée tout au long de son histoire. Cette pensée a été combattue par l’école des légistes qui avaient comme théorie de régner par la terreur alors que l’idée maîtresse de Confucius était de transmettre. Bien au-delà du culte des ancêtres, c’est surtout l’idée de transmettre pour les générations futures qui structure sa pensée : transmettre ce qu’on a appris de ses prédécesseurs, de son entourage, de ce qu’on sent. En Chine, le confucianisme a été combattu aussi par les modernistes, les révolutionnaires parce qu’il représentait les idées anciennes, un frein à la libération du peuple chinois. Mao lui même l’a condamné parce qu’il représentait les « vieilleries » contre lesquelles il voulait lutter. Puis, très curieusement, quand Xi Jinping est arrivé au pouvoir, son premier voyage à l’intérieur de la Chine à été pour Qufu, lieu de naissance de Confucius, afin d’aller vénérer sa pensée. La raison en est simple : il avait déjà dans l’idée de se présenter comme le successeur de Confucius, le représentant de la Chine millénaire.
Et sur l’ensemble de l’Asie ?
Le Japon a été imprégné de confucianisme surtout dans les derniers siècles, où le nationalisme s’est greffé sur l’idéologie néo-confucéenne pour forger le sentiment national et consolider l’idée de l’État-nation japonais. On observe aujourd’hui que l’administration fonctionne encore avec des idées confucéennes. De façon plus large, partout où se trouvent des communautés chinoises, il reste vraiment une empreinte du confucianisme, qui se résume souvent au culte des ancêtres. Quand on va dans les quartiers chinois de Bangkok, le confucianisme, c’est simplement l’autel des ancêtres dans les commerces et les arrières-boutiques ou dans les foyers. C’est à peu près pareil aux Philippines et même en Indonésie. C’est encore plus vrai en Corée ainsi qu’au Vietnam.
Si on revient sur la Chine, il y a Confucius, puis les héritiers et ce qu’on a appelé le néo-confucianisme. Comment distinguer dans l’héritage confucéen ce qui relève de Confucius et ce qui a été transformé ensuite ?
L’histoire chinoise s’étend sur plus de 4 000 ans et a connu des apogées, comme l’ère Tang avec un État fort et centralisé et des moments de désastres dramatiques. La pensée confucéenne a été adaptée selon les périodes avec plus ou moins de bonheur. Tout le monde voulait s’en réclamer et cela a donné lieu à de multiples écoles qui parfois s’éloignaient beaucoup de la pensée originelle du maître. J’ai été frappé en étudiant l’héritage, par l’existence très tôt de prémices de la démocratie. Même si le mot n’existait pas à l’époque, le « mandat du ciel », s’il n’était pas rempli pouvait être renversé. Selon Confucius, « si un prince ne remplit pas ses obligations, le peuple a le droit de s’opposer à lui ». Cette idée a été une première non seulement en Chine mais dans toute l’Asie. L’idée de démocratie a fait son chemin par la suite et elle n’est véritablement apparue en tant que telle et de façon concomitante en Chine et au Japon qu’à la fin du XIXème siècle.
Par ailleurs, du fait des préceptes de Confucius, est née très tôt en Chine une administration extrêmement sophistiquée, inconnue de l’Europe à l’époque. La Chine a brillé en grande partie grâce aux examens impériaux nés du confucianisme. Ces examens permettaient d’éviter le népotisme et de créer une véritable méritocratie. Ceux qui réussissaient les examens le faisaient du fait de leur érudition et de leur capacité propre et parmi les critères, l’intégrité morale était au centre des valeurs confucéennes. Toutefois, il ne faut pas oublier que le pouvoir était réservé à une toute petite élite. Très longtemps, 98 % de la population ne savait ni lire ni écrire. Certains ne connaissaient même pas leur nom en caractère chinois.
Si l’on devait résumer les axes de la pensée de Confucius lui-même, que dire ? Et qu’est-ce qui reste encore valable aujourd’hui de façon universelle ?
Je pense que le sens du devoir et l’intégrité morale sont les deux éléments-clés de l’enseignement de Confucius qui restent d’actualité aujourd’hui. Le sens du devoir, c’est faire en sorte que son passage sur terre serve à quelque chose, loin de tout égoïsme ou calcul personnel. C’est donner sa vie pour transmettre mais aussi réaliser un œuvre positive. C’est une leçon contre les despotes partout où ils sont. Et, pour chaque individu, c’est élargir son horizon immédiat pour aider, donner de soi et tracer un sillon qui subsistera après notre mort. Dans le monde actuel, s’entrechoquent partout des égos, des calculs personnels, des plans politiques sans lendemain, des trahisons, des jeux de pouvoir. C’est l’inverse de ce que prône Confucius. La portée contemporaine de la pensée de Confucius, c’est d’être une pensée morale laïque, qui ne se préoccupe pas de religion. Certes, le mot « laïc » n’existait pas à l’époque mais il est juste de l’utiliser car pour lui, clairement, suivre une religion, c’était se fourvoyer, s’égarer, se réfugier dans une solution facile pour ne pas agir.
En Asie, assez récemment, des personnalités politiques se sont réclamées des « valeurs asiatiques ». Quelqu’un comme Lee Kuan Yu par exemple parlait volontiers de confucianisme. Que faut-il en penser ?
Les régimes autoritaires en Asie se sont servi du confucianisme pour imposer le respect de la hiérarchie qu’il prône. Le respect de la hiérarchie, c’est le nerf de la guerre d’un régime autoritaire. Lee Kwan Yu a été un des grands promoteurs des valeurs asiatiques mais pas le plus néfaste car il devait structurer l’État-nation de Singapour. D’autres, comme Mahatir en Malaisie ou les ultra-nationalistes japonais s’en sont servi de façon dévoyée pour nourrir des fantasmes nationalistes et dans le cas de l’ultra-droite nippone pour fonder l’idée de l’État-nation sur celle de la supériorité d’une race. Ils se parent d’un vernis confucéen mais s’en réclament à tort.
Dans votre livre, vous insistez sur l’idée que des prémices de la démocratie existaient déjà chez Confucius et vous appelez de vos vœux une coopération de l’Orient et de l’Occident sur ce thème. Pouvez-vous expliquer votre point de vue ?
Le fait que la pensée confucéenne a traversé les siècles et reste pertinente aujourd’hui, lui permet de jeter un pont entre l’Orient et l’Occident. C’est quelque chose qui m’intéresse particulièrement. Même si Confucius lui-même ne s’adressait à l’époque qu’à un territoire de quelques centaines de kilomètres autour de lui, son message aujourd’hui donne un sens à l’idée que l’Orient et l’Occident peuvent se comprendre, que la nature humaine est la même partout malgré un vernis culturel très différent qui induit bien sûr des modes de vie et de pensée différents.
Vous parlez d’une coopération de l’Occident avec l’Asie du XXIème siècle. Comment voyez-vous cette coopération ?
Il y a eu des expériences pour essayer de forger ensemble des projets de long terme entre Asiatiques et Européens, comme l’ASEM [l’Asia-Europe Meeting, NDLR], mais elles ont échoué. Pourtant, du fait des tensions géostratégiques actuelles, notamment sur Taïwan, on observe depuis quelques années un réveil des gouvernements et des opinions à propos de l’Asie, ses contradictions internes, les dangers qu’elle suscite. Longtemps il y a eu des clichés extraordinairement bêtes sur l’Asie. Parmi les premiers voyageurs occidentaux en Asie, les Jésuites ont été désavoués tout de suite par le Vatican alors que justement ils s’intéressaient à la civilisation dans laquelle ils étaient, apprenaient la langue, s’habillaient comme eux. Ils n’étaient pas de ce fait les propagateurs de la religion comme le Vatican l’entendait. Un véritable intérêt pour l’Asie est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est resté en gestation dans les années 1950 puis a commencé à fermenter avec la montée de la dépendance de l’Occident vis-à-vis de la Chine. Peu à peu, on s’est rendu compte qu’il y avait des abandons de souveraineté industrielle et un risque de se faire dominer. La curiosité pour l’Asie est née de la peur. Mais elle peut aussi générer un réveil pour l’Occident, s’il accepte d’apprendre de l’Asie confucéenne ce qu’elle a de meilleur : le culte du temps long à l’opposé du culte de l’immédiateté qui domine l’Occident aujourd’hui. Les Asiatiques chinois, coréens, vietnamiens, singapouriens, voire malaisiens, ont une façon d’appréhender le monde en se projetant dans un avenir lointain.
En Occident aujourd’hui, c’est le bien-être immédiat qui est visé : profiter de l’instant présent… Les deux visions sont complémentaires. L’Occident doit apprendre le temps long asiatique, tout comme l’Extrême-Orient doit apprendre de l’Occident ce qu’est vraiment la démocratie. L’Asie progresse dans cette direction aujourd’hui alors qu’en Occident, je trouve qu’on a beaucoup négligé encore aujourd’hui ces fondamentaux de l’Asie. Personnellement, j’espère que l’Occident, parce qu’il est contraint de s’intéresser à l’Asie, va commencer un cheminement mental lui permettant de se remettre en question. Sur quoi va-t-il déboucher et dans combien de temps ? Il est très difficile de répondre. Mais en tout cas, il est en marche et c’est une bonne nouvelle.
Propos recueillis par Anne Garrigue

À lire

Pierre-Antoine Donnet, Confucius aujourd’hui, un héritage universaliste, préface de Marie Holzman, Éditions de l’Aube, 2023.

(Source : Éditions de l'Aube)
(Source : Éditions de l'Aube)

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A propos de l'auteur
Ecrivain-journaliste résidant à Paris depuis 2014, Anne Garrigue a vécu et travaillé près de vingt ans en Asie de l’Est et du Sud-Est (Japon, Corée du Sud, Chine et Singapour). Elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Japonaises, la révolution douce (Philippe Picquier), Japon, la fin d’une économie (Gallimard, Folio) , L’Asie en nous (Philippe Picquier), Chine, au pays des marchands lettrés (Philippe Picquier), 50 ans, 50 entrepreneurs français en Chine (Pearson) , Les nouveaux éclaireurs de la Chine : hybridité culturelle et globalisation ( Manitoba/Les Belles Lettres). Elle a dirigé les magazines « Corée-affaires », puis « Connexions », publiés par les Chambres de commerce française en Corée et en Chine.