Culture
Entretien

Retour réussi pour la 28e édition du Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul

Scène du film "Yanagawa" de Zhang Lu, lauréat du Cyclo d'or du 28ème Festival international des cinémas d'Asie à Vesoul, le 8 février 2022. (Source : Twitter)
Scène du film "Yanagawa" de Zhang Lu, lauréat du Cyclo d'or du 28ème Festival international des cinémas d'Asie à Vesoul, le 8 février 2022. (Source : Twitter)
Le 28e Festival International des Cinémas d’Asie (Fica) de Vesoul s’est achevé ce mardi 8 février sur un succès public et un palmarès tourné vers les cinémas de l’Asie de l’Est. Le Cyclo d’or revient au Chinois Zhang Lu avec Yanagawa, un récit d’amour et d’amitié entre deux frères partis au Japon retrouver un amour de jeunesse. Le Grand prix du Jury et le Prix du Jury de la critique pour Along the sea du Japonais Akio Fujimoto, qui conte l’histoire de trois jeunes immigrées vietnamiennes au Japon. Quant au Prix du Jury et au Prix du jury NETPAC, il a été attribué à Aloners de la Sud-Coréenne Hong Sung-eun, qui met en scène une jeune femme hésitant entre isolement et contact pour sortir de son malaise. Finalement, le Fica Vesoul, quatrième festival de France et le plus ancien consacré aux cinémas d’Asie, a repris son cours après une interruption d’un an due à la pandémie, avec 84 films présentés, dont près de la moitié n’avaient jamais été montrés en France. Le public a été nombreux, au grand soulagement des organisateurs, malgré l’absence de plusieurs invités d’Asie de l’Est. Un des moments les plus émouvants de la semaine a été la présence d’une délégation afghane venue en force pour témoigner. Entretien avec Martine et Jean Marc Therouanne, les fondateurs et directeurs du Festival.

Contexte

Une zone périurbaine comme tant d’autres en France, à la lisière de Vesoul dans le nord-est de la France. Le cinéma Majestic avec ses cinq salles se dresse au milieu des parkings. Le décor, particulièrement en hiver, ne fait pas rêver mais il permet de profiter confortablement des multiples voyages extraordinaires, découvertes et émotions que provoque sa programmation hors pair comme à l’accoutumée, concoctée par Martine et Jean Marc Therouanne, les fondateurs, grands voyageurs ancrés profondément dans leur région.

Depuis 1995, la Fica Vesoul, quatrième festival de cinéma de France et le plus ancien de ceux qui sont dédiés aux cinémas d’Asie – avec une définition large de la zone qui va d’Israël à la Sibérie, de l’Iran au Japon en passant par l’Asie centrale, l’Inde, la Chine, la Corée et l’Asie du Sud – est un rendez-vous précieux pour les amoureux de l’Asie, aussi bien celle d’hier que celle d’aujourd’hui.

Beaucoup de grands réalisateurs asiatiques y ont fait leur armes en France et, avec une fidélité toute asiatique, reviennent quand ils sont invités. Ainsi, l’Afghan Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008, qui s’est déplacé pour présenter dans le cadre du « Regard sur les cinémas des routes de la soie », le film qu’il a réalisé en 2012 sur son propre roman, Syngue Sabour (Pierre de patience). Devant une salle pleine et attentive, Atiq Rahimi a exprimé avec grande simplicité son désarroi : « On fait des films, on écrit des livres pour dénoncer, attirer l’attention du monde entier sur la barbarie, la terreur d’un régime dans l’espoir de ne plus jamais le voir. On se bat d’une manière ou d’une autre pour remettre en question beaucoup de dogmes. On prend des risques, on espère, on a des illusions. Mais on voit que malgré tout, on revient au point de départ. On se pose des questions. Pourquoi en est-on arrivé là ?Je vous avoue que je n’ai pas encore une réponse. Peut-être est-ce la fatalité de l’histoire dans ce pays ? La question est : comment sortir de cette fatalité historique? »

Cette année, le festival a présenté en plus des films en compétition, une superbe sélection de films rares issus d’Asie centrale, une rétrospective autour de l’influence de l’histoire sur la vie quotidienne, un hommage au Japonais Koji Fukada et au Chinois Xie Fei. Une journée spéciale a été consacrée au cinéma.

La prochaine édition de la Fica Vesoul aura lieu en 2023, du 28 février au 7 mars.

Le réalisateur cambodgien Kavich Neang ("White Building") entouré de Jean-Marc et Marie Therouanne, fondateurs du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul, le 8 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)
Le réalisateur cambodgien Kavich Neang ("White Building") entouré de Jean-Marc et Marie Therouanne, fondateurs du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul, le 8 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)
comment avez-vous traversé la période du Covid-19, en particulier dans vos relations avec l’Asie ?
Martine Therouanne (M.T.) : En 2020, nous avons été l’un des derniers festivals à avoir pu se tenir. Le seul impact, à ce moment-là, a été l’absence des Chinois, dont le président de jury, le Tibétain Pema Tseden. En 2021, nous avons dû tout annuler au dernier moment alors que notre programmation était prête. S’est posée la question de projeter le festival en ligne mais nous nous sommes heurtés à un « niet » total des producteurs asiatiques pour des raisons de protection des droits. Cette année, malgré le drame terrible de la disparition du pilier technique du festival, Marc Haaz, nous avons pu aller jusqu’au bout. L’équipe a repris le flambeau pour lui et cela a sous-tendu notre énergie. Parmi les films récents sélectionnés en compétition, nous avons fait le choix d’en garder un certain nombre de la sélection 2021 car nous ne trouvions pas juste qu’il y ait une génération sacrifiée. D’emblée, nous avons su que les Chinois ne viendraient pas. Trois semaines de quarantaine au retour à leurs frais, c’était trop. Le Taïwanais aussi. Nous attendions la Sud-Coréenne Hong Sung-eun pour Aloners et le Japonais Koji Fukada pour sa rétrospective. Nous leur avions même acheté des billets, mais ils ont dû déclarer forfait.
Déjà, le Festival de Pusan en Corée du Sud, où nous avons pu nous rendre cette année, avait eu un goût réellement amer. Pour y aller, nous avons passé des jours à faire des demandes car le Festival avait obtenu qu’on ait une dispense de quarantaine. Sur place, les contrôles étaient extrêmement stricts et nous n’avons pu rencontrer personne. Le public, jeune, était bien là avec un siège occupé sur deux, mais presque aucun réalisateur n’avaient fait le déplacement car la plupart n’avait pas les bons vaccins. Sans compter ce fameux couvre-feu à 22h qui nous obligeait à rentrer seuls dans notre chambre à manger des sandwiches. Quand nous sommes revenus en France, nous avons eu un moment de flottement. Nous craignions un événement à l’opposé de ce que nous avons toujours souhaité pour Vesoul : un festival basé sur les rencontres et la convivialité. Heureusement, ce n’est pas ce qui s’est passé.
Vous avez consacré une journée au cinéma afghan cette année et avez invité des réalisateurs. Quelle est la genèse de cette initiative ?
M.T. : Nous avons toujours eu une tendresse particulière pour l’Afghanistan où je suis allée en 1970 en mini-jupe… En tant que membres du NETPAC, The Network for the Promotion of Asian Cinéma, qui regroupe des producteurs, des réalisateurs et des organisateurs de festivals depuis 29 ans, nous avons entendu l’appel de trois réalisateurs afghans Atiq Rahimi, Mohsen Makhmalbaf et Siddiq Barmak le 29 juillet dernier, demandant aux festivals s’ils pouvaient organiser chacun une journée du cinéma afghan. Nous avons immédiatement dit oui évidemment. Nous avons pensé faire venir la jeune réalisatrice Sharhbanoo Sadat, qui a deux films L’orphelinat et Wolf and sheep. Car elle avait réussi à quitter l’Afghanistan pour se réfugier en Allemagne. Mais les Allemands sont beaucoup plus stricts que nous avec leurs réfugiés. Ils les obligent à apprendre la langue de façon très encadrée et ils n’ont pas le droit de quitter le pays plus de dix jours. Atiq Rahimi qui est un ami (nous avons passé ses premiers films documentaire avant qu’il soit connu et reçoive le prix Goncourt en 2008) a bien sûr dit oui tout de suite. Mohsen makhmalbaf aussi et ils nous ont sollicités pour faire venir deux jeunes Afghans exilés en Iran depuis cet été.
L'écrivain et réalisateur afghan Atiq Rahimi, en marge du Festival international des cinémas d'Asie à Vesoul, le 5 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)
L'écrivain et réalisateur afghan Atiq Rahimi, en marge du Festival international des cinémas d'Asie à Vesoul, le 5 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)
Pourquoi avoir choisi le thème de « l’Histoire en toile de fond » ?
Jean-Marc Therouanne : J’ai été très marqué par les récents appels à faire du passé « table rase » et au déboulonnage des statues. Cela m’a fait réagir. Il faut toujours réintroduire le contexte. Nos préjugés d’aujourd’hui seront dans cinquante ans aussi obsolètes que ceux de nos prédécesseurs. Se sentir coupable ne sert à rien. Il faut comprendre pourquoi à un moment ça s’est passé, comment la grande histoire peut interférer sur la vie des gens au quotidien. Et c’est la même chose en Asie. L’historien Marc Bloch disait : « Les gens ressemblent plus à leur temps qu’à leur père » et on sait que le droit entérine avec un retard l’évolution d’une société. Mon intention n’était pas de présenter des films historiques – je l’ai déjà fait – mais des films où les gens sont bouleversés par des événements extérieurs, qu’ils soient politiques – L’orphelinat de l’Afghane Sharhbanoo Sadat -, écologiques – Taklub (L’ouragan) du Philipin Brillante Ma Mendoza ou Fukushima, le couvercle du soleil de la Japonaise Sato Futoshi – de guerre – La Terre éphémère, sur le confit en Abkhazie, du Géorgien George Ovashvili.
Sous quel angle avez vous-choisi de traiter des « Routes de la soie » ?
J.-M. T.: Nous avions été invités pour être jury au festival « Golden tulip » de Douchanbé en novembre 2019 au Tadjikistan. Une universitaire tadjik a eu l’idée d’allier un volet cinéma itinérant à une exposition de l’Unesco sur l’Asie centrale montrant les liens culturels entre les cinq ex-républiques soviétiques, l’Afghanistan et l’Iran. On nous a confié l’organisation d’une rétrospective de films venus des sept pays d’Asie centrale – Afghanistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan. Il se trouve que nous avions présenté plus de 160 films d’Asie centrale à Vesoul depuis la première édition de la Fica et noué de nombreux liens dans les milieux du cinéma de ces pays. La moitié sont des films kazakhs car le pays a une volonté d’exporter son cinéma. L’esprit de ma sélection a été de présenter des films venus de ces pays-là, des films très rares et je suis fier d’avoir pu montrer trois films ouzbeks Je me souviens de toi, Les amoureux et Tachkent, ville du pain, qui sont des hymnes en noir et blanc de l’époque soviétique. J’ai bien sûr inclus des films plus contemporains, notamment afghans, comme Synghe Sabour, Pierre de patience de Atiq Rahimi et aussi un film avec Depardieu, Mon rêve ouzbek, réalisé par Arnaud Frilley.
Avez-vous une idée de ce que vous ferez l’année prochaine ?
J.-M. T. : Je voudrais rendre hommage au réalisateur sud-coréen vétéran Bae Chang-ho. Ma première approche du cinéma coréen, c’est avec le rêve au début des années 1990. Et comme thématique, j’aimerais bien faire « mystère et boules d’opium » pour mettre un peu d’humour dans le festival et présenter le cinéma policier qui existe dans tout le cinéma asiatique.
Propos recueillis par Anne Garrigue

Le palmarès du 28ème Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul 2022

L'actrice iranienne Leila Hatami, lauréate du Cyclo d'or d'honneur pour l'ensemble de sa carrière au 28ème Festival international des cinémas d'Asie (FICA) de Vesoul, le 8 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)
L'actrice iranienne Leila Hatami, lauréate du Cyclo d'or d'honneur pour l'ensemble de sa carrière au 28ème Festival international des cinémas d'Asie (FICA) de Vesoul, le 8 février 2022. (Copyright : Jean-François Maillot)

CYCLO D’OR D’HONNEUR :
Leila Hatami, actrice (Iran), pour l’ensemble de sa carrière, et Kôji Fukada, réalisateur (Japon), pour l’ensemble de son œuvre.

CYCLO D’OR :
Yanagawa de Zhang Lu (Chine). « De belles images fortes, basées sur une histoire percutante parfaitement racontée, nous mènent à la découverte de la relation fraternelle et l’amour », selon Leila Hatami.

GRAND PRIX DU JURY INTERNATIONAL :
Along the Sea de Fujimoto Akio (Japon). Leïla Hatami :« Exposant une nature calme, reposante d’une part, dure et sans pitié par ailleurs, le film nous met face aux grands problèmes socio-économiques auxquels sont confrontés les personnages, proches géographiquement des pays développés mais qui subissent des conditions de vie totalement à l’opposé. »

PRIX DU JURY INTERNATIONAL :
Aloners de Hong Sung-eun (Corée du Sud).

MENTION SPECIALE :
The Falls de Chung Mong-hong (Taïwan). Leïla Hatami :« Par son excellente interprétation féminine, le film met en scène la fragilité humaine face aux défis qui nous dépassent et qui nous bousculent. »

Gensan Punch de Brillante Ma Mendoza (Philippines). Leïla Hatami :« Avec une extraordinaire maîtrise de la caméra et l’incarnation parfaite d’une histoire réelle, le réalisateur nous montre le rôle important de la famille et de l’amitié en rappelant les bonnes manières même dans des débats loin de la haine. »

2000 songs of Farida de Yolkin Tuychiev (Ouzbékistan). Leïla Hatami : « Nous a rappelé la nature humaine avant qu’elle ne soit contrôlée par la modernité. En utilisant, avec maestria, de très belles images, le réalisateur a remarquablement mis en lumière la profondeur des ressentiments et le poids du patriarcat. »

PRIX DU JURY NETPAC (NETWORK FOR THE PROMOTION OF ASIAN CINEMA) :
Aloners de Hong Sung-eun (Corée du Sud), pour des solutions artistiques pionnières à la nature de l’interaction humaine dans le contexte de la complexité technologique moderne et sa rencontre avec les problématiques universelles d’une manière élégante et subtile.

PRIX MARC HAAZ :
L’orphelinat de Shahrbanoo Sadat (Afghanistan). À travers les yeux d’un jeune orphelin, ses rêveries, sa liberté d’esprit et son optimisme, nous partageons l’existence difficile des Afghans, les moments tragiques qu’ils traversent pendant l’occupation soviétique.

PRIX DU JURY DE LA CRITIQUE :
Along the Sea de Fujimoto Akio (Japon), pour sa façon si juste de filmer une histoire universelle en rapport avec une forme d’esclavage moderne, dans le Japon d’aujourd’hui où il place sa caméra au plus près de ses héroïnes et ose des plans-séquence audacieux qui nous impliquent profondément dans le cheminement douloureux de ces trois personnages.

PRIX DU JURY INALCO (INSTITUT DES LANGUES ET CIVILISATIONS ORIENTALES) :
Along the Sea de FujimotoAkio (Japon). Un film éclairant de façon particulièrement significative les réalités contemporaines en Asie. Il montre avec respect le parcours de femmes migrantes au Japon.

COUP DE COEUR INALCO:
The Coffin Painter de Da Fei (Chine), pour la beauté de ses images et le brio avec lequel il a su nous transporter aux confins de la Chine contemporaine pour nous raconter une histoire tendre et universelle.

PRIX DU PUBLIC DU FILM DE FICTION :
ex-aequo
No choice de Reza Dormishian (Iran).
No man’s land de Mostofa Sarwar Farooki (Bangladesh).

PRIX DU JURY LYCEENS :
The Falls de Chung Mong-hong (Taïwan).

PRIX DU PUBLIC DU FILM DOCUMENTAIRE :
Indian space dream de Sue Sudbury (Inde/Angleterre).

PRIX DU JURY JEUNES :
1er février de Leila Macaire et Mo Mo (France-Myanmar).

Projection à l’auditorium de l’Inalco courant 2022.

La 29e édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul aura lieu du 28 février au 7 mars 2023.

Renseignements :
FICA – Festival international des Cinémas d’Asie, 25, rue du docteur Doillon 70 000 VESOUL – France
Tel. : + 33 (0)3 84 76 55 82 – Contact Presse :06 84 84 87 46
e-mail: [email protected]site web : cinemas-asie.com

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A propos de l'auteur
Ecrivain-journaliste résidant à Paris depuis 2014, Anne Garrigue a vécu et travaillé près de vingt ans en Asie de l’Est et du Sud-Est (Japon, Corée du Sud, Chine et Singapour). Elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Japonaises, la révolution douce (Philippe Picquier), Japon, la fin d’une économie (Gallimard, Folio) , L’Asie en nous (Philippe Picquier), Chine, au pays des marchands lettrés (Philippe Picquier), 50 ans, 50 entrepreneurs français en Chine (Pearson) , Les nouveaux éclaireurs de la Chine : hybridité culturelle et globalisation ( Manitoba/Les Belles Lettres). Elle a dirigé les magazines « Corée-affaires », puis « Connexions », publiés par les Chambres de commerce française en Corée et en Chine.