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"Zéro Covid" en Chine : le chaos au quotidien

Test PCR pour des résidents confinés à Pékin, le 30 novembre 2022. (Source : LA Times)
Test PCR pour des résidents confinés à Pékin, le 30 novembre 2022. (Source : LA Times)
L’exaspération des citoyens chinois face à la politique du « zéro Covid » décrétée par le gouvernement se comprend mieux à travers les témoignages directs et les rumeurs publiées brièvement sur les réseaux sociaux avant d’être effacées par la censure. Florilège de ce que vivent et se racontent les Pékinois.
Tous les noms dans cet article sont fictifs, mais les personnages et les récits sont réels.
Madame Wang* a ouvert un restaurant au début de l’année 2021, à un moment où l’épidémie de Covid-19 semblait éradiquée en Chine. Ce restaurant était situé dans un immeuble de bureau d’un quartier central de Pékin, et Madame Wang y accueillait une clientèle d’affaires et de membres de la fonction publique. Au cours des derniers mois, l’immeuble a été mis plusieurs fois en quarantaine, parfois pour 4-5 jours, parfois davantage. Les clients se sont faits rares. Les fonctionnaires en particulier ont été encouragés par leurs employeurs à réserver leurs déplacements aux seuls trajets domicile-bureau (c’est la politique dite du « deux points, un trait »). Madame Wang avait huit salariés, qu’elle était contrainte de payer, même pendant les périodes de confinement, sans recevoir la moindre aide gouvernementale. Elle a pris la décision de fermer son restaurant il y a quinze jours.
Monsieur Zhou est chauffeur de taxi et réside dans une banlieue de Pékin. Son immeuble a subi trois périodes de quarantaine depuis le début du mois de novembre, ce qui l’a empêché de travailler plus d’une quinzaine de jours. Il a pris la décision de dormir dans son taxi pour pouvoir travailler. Son immeuble étant mal approvisionné en nourriture, il apportait les compléments nécessaires à sa femme le soir en jetant des colis au-dessus du grillage entourant sa résidence. Il travaillait dans la nuit du 27 novembre lorsqu’il a découvert aux abords du troisième périphérique (qui est le plus proche du centre de Pékin) une foule de jeunes étudiants clamant des slogans. Il a compris qu’il s’agissait d’une manifestation contre la politique « zéro Covid » du gouvernement. « J’aurais voulu les rejoindre, mais ce n’était pas possible, car j’aurais pris le risque d’être arrêté et je n’aurais plus été en mesure de nourrir ma famille. »
Madame Liu est cadre d’entreprise et membre du Parti communiste chinois. Elle habite avec son mari, son fils et ses beaux-parents dans un quartier résidentiel de Pékin. À l’occasion de l’un des innombrables tests PCR auxquels les membres de la famille doivent se soumettre, son mari est testé légèrement positif tandis que les autres membres de la famille sont testés négatifs. Dans la nuit du 19 novembre, toute la famille est invitée à quitter le domicile familial. La suite des événements a été vécue comme un enfer par Madame Liu et sa famille. Ils ont été enfermés dans un bus non chauffé par une température glaciale pendant huit heures d’affilée, sans possibilité de sortir du bus, même pour aller aux toilettes (un seau était à disposition dans le bus), et sans savoir où ils seraient transférés. Par la suite, ils ont été répartis dans trois centres de quarantaines différents et ont vécu une semaine de quarantaine dans des conditions d’hygiène et de logement très sommaires avant d’être libérés.
Madame Liu a décidé de porter plainte car elle estime que le traitement subi par sa famille ne reposait sur aucune base légale. Elle s’est jurée de ne plus jamais accepter un transfert hors du domicile que sur la base d’une document écrit, nominatif, établi par une autorité compétente. Plus généralement, se multiplient sur les réseaux sociaux les interrogations sur la base légale des interventions musclées des « Dabai » ou « Grands blancs » en mandarin, ces agents en tenue blanche chargés d’exécuter les consignes des autorités. Une résistance légale est en train de s’organiser.

Bénéficiaires et profiteurs

La politique du « zéro Covid » n’est pas une catastrophe économique pour tout le monde. Si beaucoup de petites entreprises de la restauration et du loisir ferment, il se crée aussi de nouvelles entreprises, très profitables, qui sont associés à la mise en œuvre de cette politique.
Les « Dabai », des travailleurs non qualifiés, sont rémunérés à hauteur d’1,5 fois le salaire minimum de la ville où ils opèrent (au moins 300 yuans par jour à Pékin, pour un salaire minimum de 200 yuans). Ils sont donc motivés et désireux de poursuivre leur travail.
L’activité de désinfection et nettoyage des immeubles est extrêmement florissante. Idem pour la réalisation de tests PCR, avec des soupçons d’abus et de fraude qui parcourent les réseaux sociaux. Des internautes ont par exemple identifié un réseau entier de sociétés différentes, possédées en réalité par le même gérant (un certain Zhang Shanshan), qui s’est implanté dans 35 villes du pays. Ils ont observé une coïncidence troublante entre la date de ces implantations et la découverte de nouveaux cas de Covid-19 dans la même ville, justifiant une campagne massive de tests PCR. Vraies ou fausses, ces rumeurs entretiennent l’idée que la politique « zéro Covid » profite à différents réseaux d’entrepreneurs avec la complicité probable de certains responsables locaux.
Depuis la multiplication des manifestations des derniers jours, les signes d’un assouplissement des contraintes se sont multipliés. Le confinement de Canton a été levé. Les personnes contaminées ne sont plus mises à l’écart et doivent désormais rester à domicile. Les tests PCR périodiques ne sont plus obligatoires. L’expression « zéro Covid » n’est plus systématiquement employée dans les conférences de presse. Le gouvernement semble avoir pris la mesure de l’exaspération populaire et commence à envisager une politique plus flexible. Et pour calmer la colère, les responsables locaux seront sanctionnés, comme d’habitude.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.