Société
Analyse

Le monde sort de la pandémie, sauf la Chine qui continue de s’enfoncer

Des vidéos postées sur les réseaux sociaux le 23 novembre 2022 chinois montrent des ouvriers se heurtant aux policiers anti-émeutes en combinaison anti-Covid lors de manifestations à l'usine de fabrication d'iPhone de Foxconn à Zhengzhou, dans la province centrale du Hunan. (Source : NYT)
Des vidéos postées sur les réseaux sociaux le 23 novembre 2022 chinois montrent des ouvriers se heurtant aux policiers anti-émeutes en combinaison anti-Covid lors de manifestations à l'usine de fabrication d'iPhone de Foxconn à Zhengzhou, dans la province centrale du Hunan. (Source : NYT)
Le sort s’acharne. Tandis que le monde sort peu à peu de la pandémie, la Chine connaît ces derniers jours une flambée épidémique jamais vue depuis l’apparition du Covid-19. Une résurgence qui cause des décès et suscite de nouvelles vagues de mécontentements d’une population excédée par un système de surveillance implacable et des quarantaines devenues insupportables.
Ce jeudi 24 novembre, un total de 31 444 de cas de Covid-19 est répertorié dans l’ensemble de la Chine. Près de la moitié se trouvent dans les seules villes de Canton dans le Sud et Chongqing dans le Sud-Ouest. Ces nouveaux chiffres sont supérieurs au 29 390 infections enregistrées à la mi-avril, lorsque Shanghai, la troisième ville la plus peuplée du monde, était sous confinement et qu’une partie de sa population n’arrivait plus à se nourrir ni à se soigner.
Mardi 22 novembre, Pékin avait rapporté un nombre record de cas de Covid-19 en près de trois ans. La capitale chinoise de 22 millions d’habitants, qui avait enregistré 621 nouveaux cas locaux dimanche 20 novembre, en a comptabilisé 1 438 mardi. Trois résidents âgés de Pékin, avec des pathologies préexistantes, sont décédés du Covid-19 ce week-end, les premiers morts enregistrés liés au virus depuis mai. La capitale connaît ces derniers jours une flambée épidémique jamais vue depuis le début de la pandémie fin 2019, lorsque des premiers cas avaient été détectés dans la ville chinoise de Wuhan.
Mercredi 23 novembre, l’augmentation s’est poursuivi à Pékin avec près de 1 500 nouveaux cas positifs, en grande majorité asymptomatiques. Conséquence : écoles, restaurants, parcs et commerces de nouveau fermés et la peur pour les Pékinois d’être placés en quarantaine. La population urbaine chinoise est aujourd’hui épuisée mentalement par ces restrictions draconiennes, pour beaucoup vagues et changeantes, dont la durée n’est jamais annoncée à l’avance. À la date de mardi, plus d’un quart de la population chinoise avait été placé sous une forme ou une autre de confinement.
Le constat est là : la Chine est désormais la seule grande économie au monde qui tente encore d’enrayer la propagation du virus dans le pays, en fermant des villes entières et en plaçant les contacts des patients infectés en stricte quarantaine. Or le taux de vaccination dans le pays est plutôt bas. Seul 69 % des séniors ont reçu trois doses de vaccins, la plupart des vaccins chinois Sinovac et Sinopharm dont l’efficacité prouvée ne dépasse pas 52 %. Selon d’autres statistiques, à mi-août, seuls 85 % des habitants de plus de 60 ans avaient reçu deux doses d’un de ces deux vaccins chinois. Aucun des vaccins à ARN – réputés plus efficaces – n’a encore été approuvé par les autorités locales. Le chemin vers la réouverture sera « long et semé d’embûches », estiment les analystes de la banque japonaise Nomura.
Manifestations violentes
Une véritable crise a éclaté dans la ville de Zhengzhou, dans la province centrale du Hunan. Les autorités ont ordonné le confinement de plusieurs quartiers : les habitants du centre-ville ne sont plus autorisés à quitter la zone sans un test négatif et le tampon des autorités locales. Il leur est conseillé de ne pas quitter leur domicile « sauf si nécessaire ». Ces restrictions qui doivent durer cinq jours à compter de ce vendredi 25 novembre à minuit concernent plus de 6 millions de personnes, soit la moitié de la population de la ville.
Cet ordre n’a pas été donné par hasard et ne répond pas seulement à des questions sanitaires. Car la ville est le théâtre de violentes protestations qui ont démarré en début de semaine dans le vaste complexe d’usines d’iPhone qui appartient au géant taïwanais de la technologie Foxconn. L’usine est soumise à des restrictions anti-Covid depuis plus d’un mois en raison de la multiplication des cas dans les dortoirs de ses ouvriers à qui la direction avait promis des compensations financières jamais versées.
La firme a présenté ses excuses jeudi et promis de verser ces compensations. « Notre équipe a examiné la question et a découvert qu’une erreur technique s’était produite, indique un communiqué de Foxconn cité par l’AFP. Nous nous excusons pour une erreur de saisie dans le système informatique et garantissons que la rémunération réelle est la même que celle convenue. »
Mercredi, des scènes rares de manifestations violentes et même d’affrontements avec la police ont été relayées sur les réseaux sociaux chinois. Des scènes rapidement censurées comme le veut la coutume en Chine communiste. Sur les images, une foule de travailleurs défilant dans une rue. Certains font face à des personnes en combinaisons blanches de protection intégrale et à la police anti-émeute. Une séquence montre un homme ensanglanté gisant à terre. Hors-champ, on entend un témoin de la scène : « Ils frappent des gens, ils frappent des gens. Ont-ils une conscience ? » Une autre vidéo montre des cabines servant aux tests de dépistage Covid détruites et un véhicule renversé. Sur d’autres images, on aperçoit des centaines de personnes vêtues de combinaisons blanches, debout sur une route près des dortoirs de l’usine. La personne qui filme depuis un immeuble adjacent déclare : « Ça recommence. C’est depuis la nuit dernière et jusqu’à ce matin. »

Excuses

Propriété du sous-traitant taïwanais Foxconn et soumise à de fortes restrictions anti-Covid, l’usine est en fait un immense site industriel, surnommé « iPhone city ». Il emploie généralement quelque 200 000 personnes, dont la plupart résident sur place dans des dortoirs. Confrontée depuis octobre dernier à une hausse de cas de coronavirus, l’usine est confinée.
Un autre extrait vidéo montre apparemment des agents de sécurité donnant des coups de pied à une personne qui semble être un ouvrier allongé sur une route. Un extrait vidéo de la même manifestation nocturne, pris sous un autre angle, montre des travailleurs en train de déclencher des extincteurs en direction de policiers situés hors du champ de la caméra. Et sur une vidéo diffusée en direct, de nuit, des dizaines d’ouvriers crient : « Défendons nos droits ! » devant des rangées de policiers et un véhicule de police aux gyrophares allumés. Puis l’auteur de la vidéo s’alarme : « Ils chargent ! » et « Bombes lacrymogènes ! »
Le mois dernier, des images avaient montré des dizaines d’ouvriers de l’usine paniqués fuyant le site à pied, certains dénonçant le chaos et la désorganisation régnant sur place. Jeudi, Zhengzhou a encore enregistré 675 nouvelles infections au Covid, dont la grande majorité était asymptomatique.
Apple avait admis début novembre que le confinement du site avait « temporairement affecté » la production de l’usine. Un coup dur avant la période de ventes des fêtes de fin d’année. Les conséquences sur la fabrication d’iPhone, alors que le site de Zhengzhou produirait jusqu’au 80 % des smartphones de la marque, sont difficiles à estimer. Les plus pessimistes parmi les experts de ce secteur cités par Le Figaro redoutent une chute de 30 % de la production de l’usine.
Début novembre, Apple expliquait s’attendre « à ce que les expéditions d’iPhone 14 Pro et d’iPhone 14 Pro Max soient inférieures aux prévisions », avec des délais plus longs que prévu pour les livraisons. Foxconn a aussi annoncé son intention de renforcer ses capacités de production en Inde. Au cours des deux prochaines années, il pourrait y quadrupler ses effectifs et atteindre 70 000 salariés. Ce qui répond à la volonté de Tim Cook, patron d’Apple, de réduire la dépendance du groupe à la Chine.

« Sur la même planète » que le Qatar ?

Les images télévisées des spectateurs sans masque à la Coupe du monde de football au Qatar rendent les Chinois furieux d’être toujours soumis aux strictes mesures de la politique « zéro Covid » imposée par Pékin, pendant que le reste du monde cohabite avec le virus.
« Des dizaines de milliers de gens au Qatar ne portent pas de masques. Et ici, nous en sommes encore à paniquer », souligne un internaute sur le réseau social Weibo. « Certains assistent en personne et sans masque aux matchs de la Coupe du monde, d’autres sont confinés chez eux depuis un mois, sur site depuis deux mois, sans pouvoir mettre un pied dehors », écrit un habitant du Guangdong sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. « Qui a volé ma vie ? Je ne me prononcerai pas », ajoute-t-il. Une lettre ouverte demandant si la Chine est « sur la même planète » que le Qatar a été diffusée mardi sur WeChat avant d’être, elle aussi, censurée. Mais les autorités chinoises, qui récemment avaient donné des signes d’assouplissement des restrictions, ont de nouveau fait volte-face. Lundi, la vice-Première ministre Sun Chunlan, chargée de conduire la gestion de la pandémie, a visité la ville de Chongqing et exhorté les autorités de la ville à s’en tenir aux consignes officielles et ainsi venir à bout de la pandémie.
Lors du XXe congrès du Parti communiste chinois qui s’est achevé au début du mois, le président Xi Jinping avait clairement déclaré que la Chine s’en tiendrait à la politique suivie depuis début 2020, estimant que cette politique avait « sauvé des vies ».
Ceux qui ne respectent pas les mesures de restrictions font souvent l’objet de punitions humiliantes de la part des cohortes d’agents vêtus de combinaisons intégrales qui pulvérisent du désinfectant sur des citoyens, comme dans cette vidéo circulant en ligne depuis le 21 novembre, où des personnes sortant d’un camp de quarantaine sont intégralement aspergées.
À Canton, le 17 novembre, deux femmes ont été attachées dans la rue après avoir été accusées d’avoir pris un repas à emporter sans porter de masque. Une vidéo montre les deux femmes, visiblement en détresse, les mains attachées à un poste de contrôle situé près de l’entrée d’un complexe résidentiel. Sur Weibo, l’une des femmes a ensuite raconté l’incident selon le Daily Telegraph : « Ils nous ont mis à terre, alors que nous n’avions pas eu de confrontation physique. Les vêtements de mon amie ont été déchirés. Ils ne nous ont pas permis d’appeler la police. Ils ont été violents avec nous avant même de vérifier notre passe sanitaire. »

« Où s’arrêtera ce jeu ? »

Selon les estimations de la maison de courtage japonaise Nomura citée par Reuters, les villes touchées par des mesures de quarantaine représentent actuellement 19,9 % du PIB chinois, proportion en hausse de 15,6 % comparée à la semaine passée et proche des 15,6 % constatés en avril, lors du pic des contaminations en Chine lorsque Shanghai avait été mise sous quarantaine. Cette nouvelle flambée des contaminations arrive au plus mauvais moment pour l’économie chinoise qui enregistre un ralentissement très marqué avec une croissance du PIB qui ne devrait pas dépasser les 3 % en 2022, loin de l’objectif officiel de 5,5 %.
Ce ralentissement, le plus vertigineux jamais enregistré depuis plusieurs décennies, est la conséquence pour partie des mesures de restrictions qui ont paralysé les chaînes d’approvisionnement, conduit à la fermetures temporaires de milliers d’usines, suscité le départ de très nombreux investisseurs étrangers et provoqué une hausse très nette du chômage, en particulier celui des jeunes qui avoisine actuellement les 20 %, niveau lui aussi record depuis plus de trente ans.
Or la réalité est que la Chine est prise en tenaille. Car une réouverture complète du pays et l’allègement des mesures sanitaires exigent un taux de vaccinations beaucoup plus élevé que celui constaté aujourd’hui, estiment certains experts. Le pays paye en fait des erreurs de la direction chinoise qui, longtemps, s’est contentée d’une vaccination des aînés, pour la plupart résidents dans les campagnes où l’incidence de la pandémie est faible.
« La situation n’est pas aussi rose qu’il n’y paraît », souligne un analyste de Nomura qui s’attend à ce que l’allègement des restrictions n’intervienne pas avant mars 2023, lorsque le renouvellement de la direction chinoise sera achevé après les chamboulements politiques intervenus au sein du Parti lors du XXe congrès d’où Xi Jinping est sorti plus fort que jamais. « La réouverture connaîtra des hauts et des bas car les dirigeants politiques pourraient faire machine arrière en constatant la recrudescence du nombre des infections ainsi que les troubles sociaux, ajoute cet expert. De ce fait, les responsables locaux pourraient bien être encore plus prudents dans leurs décisions, dans l’attente de connaître les intentions réelles de Pékin. En fait, la colère vient des gens ordinaires, et aussi des fonctionnaires locaux », exaspérés de voir leurs ressources et leur temps presque uniquement consacrés au zéro Covid, explique Alfred Wu, professeur associé à l’École de politiques publiques Lee Kuan Yew à Singapour.
Alors, faut-il maintenir cette stratégie ? Pour Huang Yanzhong, expert en santé au Conseil sur les relations internationales, un groupe de réflexion américain, une nouvelle année de « zéro Covid » entraînerait « un dérèglement de l’économie chinoise et pourrait faire que les tensions sociales atteignent un point de rupture, ce qui menacerait la stabilité du régime et pourrait même provoquer une crise de légitimité ». Mais à l’inverse, ouvrir le pays trop vite est aussi risqué, car la Chine pourrait « être confrontée à une vague virale accompagnée d’une mortalité massive, ce qui ferait déborder rapidement son fragile système de santé », prévient-il.
« Alors où s’arrêtera ce jeu ? », s’interroge le magazine américain Foreign Policy dans sa livraison de mercredi. Pour la Chine, « son économie se détériore, du fait des quarantaines. Les ouvriers protestent, coincés depuis des semaines dans les dortoirs de leurs usines, parfois sans être payés. Les analystes disent à nouveau que le niveau actuel des restrictions ne peut pas tenir. Mais la Chine a prouvé à maintes reprises que des situations intolérables peuvent durer bien au-delà des limites de la population », ajoute le journal. Il n’y a aucun « signal que les hauts dirigeants [chinois] sont prêts à abandonner bientôt le zéro Covid », observe Yanzhong Huang, expert en santé publique au Conseil sur les relations internationales, un groupe de réflexion américain, cité par l’AFP. « Le mécanisme d’incitation (à appliquer le zéro Covid) pour les gouvernements locaux n’a pas vraiment changé malgré les nouveaux ajustements », ajoute-t-il, soulignant qu’en cas de nouveau foyer, ce sont toujours les dirigeants aux niveaux inférieurs qui sont pointés du doigt.
Quels que soient les troubles sociaux que suscitera encore la gestion de la pandémie, le régime de Pékin possède un appareil répressif très élaboré et omniprésent, en mesure de tuer dans l’œuf toute forme de protestation qui prendrait de l’ampleur. De ce fait, quels que soient l’exaspération, la colère et les frustrations, ces troubles ne représenteront probablement pas une menace pour le régime en place.
Par Pierre-Antoine Donnet

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).