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Chine : les nuages s’accumulent pour Xi Jinping à l’approche du XXème Congrès du Parti

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Climatechangenews)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Climatechangenews)
Tandis que Pékin a annoncé la tenue du XXe Congrès du Parti Communiste chinois le 16 octobre, des nuages noirs s’accumulent sur la route du président Xi Jinping, à la fois économiques, sociaux mais aussi politiques et stratégiques. Sans toutefois remettre en cause sa réélection pour un troisième mandat à la tête du pays.
Dernière calamité en date, une des pires canicules jamais enregistrée touche une bonne partie de la Chine depuis la fin août au point de menacer les récoltes de l’automne et de susciter une grave pénurie en eau dans de nombreuses villes du pays. Cette vague de sécheresse s’ajoute aux difficultés économiques que rencontre le pays depuis l’an dernier et qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Selon le journal anglo-saxon New Scientist, la vague de chaleur extrême qui frappe la Chine, « la plus sévère jamais enregistrée sur la planète », affecte durement la production d’énergie, la distribution d’eau et la production agricole.
Conjuguées à la chaleur extrême, les faibles pluies ont entraîné une baisse dramatique du niveau des cours d’eau, avec 66 d’entre eux complètement asséchés. Dans certaines parties du bassin du Yangzi, les niveaux d’eau sont les plus bas depuis le début des relevés en 1985, selon ce journal. Dans cette vallée, 2,2 millions d’hectares de récoltes sont touchées. La surface du lac Poyang dans le Jiangxi, la plus importante réserve d’eau douce du pays, est à l’heure actuelle diminuée de 67 % par rapport à la moyenne des dix dernières années.
La capacité de production d’hydroélectricité nationale a fortement diminué. Le Sichuan, qui tire 80 % de son électricité des barrages, a été particulièrement touché, avec une chute de la production hydroélectrique de 50 %. Dans cette seule province, 47 000 hectares de cultures ont été perdues. Dans certains endroits du pays, les réserves d’eau locales se sont épuisées et l’eau potable a dû être acheminée par camion.
Les pouvoirs publics chinois invitent désormais les particuliers, les centres commerciaux et les aéroports à réduire drastiquement la climatisation. Des milliers d’usines ont dû cesser leurs activités en raison des pénuries d’électricité, selon le New Scientist. Mais la crise est tellement aigüe que les autorités ont décidé de la remise en service de centrales à charbon extrêmement polluantes dans un pays où les ravages de la pollution sont partout visibles.

Croissance trop faible, demande apathique

En parallèle, conséquence d’une gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 par les autorités chinoises, la croissance économique donne des signes très inquiétants de fort ralentissement. La prévision officielle d’une croissance du PIB de 5,5 % en 2022 ne sera, selon toutes probabilités, pas atteinte. Loin de là même, certains experts prédisant un taux autour de 3%.
Alors qu’au cours des quarante dernières années, la croissance annuelle moyenne de la Chine était voisine de 10 %, le rythme est tombé au-dessous de 5 % au dernier trimestre 2022. La croissance chinoise était de 0,4 % au deuxième trimestre cette année, comparé à la même période de 2021.
Signe que Pékin est inquiet, le 15 août dernier, la Banque Centrale chinoise a abaissé les taux directeurs pour relancer une demande apathique. La baisse est de 5 points de base pour les prêts à long terme qui passent à 3,65 % contre 3,7 %, tandis qu’elle est de 15 points de base pour les prêts à cinq ans qui passent à 4,3 % contre 4,45 %.
Mais les risques sont toujours là. Nombreuses sont les villes chinoises, y compris celles où se trouvent des centres de fabrication névralgiques, qui ont continué à imposer des mesures draconiennes de verrouillage. C’était toujours le cas ce lundi 5 septembre dans la ville méridionale de Shenzhen où des mesures de confinement ont été à nouveau instaurées.
Celui qui a véritablement sonné l’alarme à l’intérieur du pays a été le fondateur du géant des télécommunications Huawei, Ren Zhengfei. Dans un document confidentiel qui a fuité, Ren souligne que cette chute de l’économie nationale « sera ressentie par tous » en Chine. « La décennie à venir sera une période historique de douleurs tandis que l’économie globale décline, a confié le patron de Huawei, selon ce document interne du Parti. Dans le passé, nous avons fait nôtre l’idéal d la globalisation et nous avions comme aspiration de servir toute l’humanité. Quel est notre idéal aujourd’hui ? Survivre et gagner un peu d’argent où nous le pouvons. De ce point de vue, il nous faut ajuster la structure du marché et réfléchir à ce qui peut être fait et à ce qui doit être abandonné. »
Sitôt connus, ces propos de Ren Zhengfei sont immédiatement devenus viraux sur les réseaux sociaux chinois, suscitant des réactions de panique de plus de 100 millions d’internautes avant d’être censurés et retirés, souligne le quotidien japonais Nikkei Asia.

Investisseurs étrangers sur le départ

Le désastre économique suscité par la gestion de la pandémie a également entraîné de nombreux départs d’investisseurs occidentaux en Chine. Beaucoup d’entre eux se livrent actuellement à une réévaluation de l’opportunité d’investir dans ce pays. Selon l’enquête réalisée chaque année par le US-China Business Council, le confinement de centaines de millions de Chinois et les restrictions apportées aux voyages en Chine sont devenus un défi grave pour le fonctionnement des usines étrangères dans le pays. Sur les 117 multinationales interrogées dans le cadre de cette enquête, un peu plus de la moitié ont répondu être désormais « moins optimistes » quant à l’avenir de leurs affaires réalisées en Chine.
Dernier exemple d’investisseur déçu : le PDG du géant automobile français Stellantis. Dans l’hebdomadaire Le Point, confie les déconvenues du constructeur en Chine et la fin du rêve chinois. « Depuis quatre ou cinq ans, il y a une politisation dans la manière de mener des affaires en Chine qui est allée crescendo. J’ai senti un changement de comportement de mes partenaires d’affaires », déplore Carlos Tavares. Le PDG vient d’en faire l’amère expérience avec la coentreprise entre Stellantis et le chinois Guangzhou Automobile Group (GAC). Lassé de perdre de l’argent dans cette société commune à 50-50 fondée en 2010 et qui fabrique et distribue des Jeep dans le pays (Cherokee, Renegade, Compass), le patron de Stellantis a tenté une manœuvre. Comme les nouvelles règles chinoises l’y autorisaient, il a demandé à prendre le contrôle de la société en montant à 75 % du capital.
Il espérait ainsi redresser les comptes de l’activité en appliquant ses méthodes, qui font de Stellantis l’un des constructeurs automobiles les plus rentables de la planète. « Nous voulions remettre cette coentreprise sur le terrain de la rentabilité, souligne celui qui confiait au Point en 2021. Il est impensable qu’une entreprise comme la nôtre ne soit pas performante en Chine. » Mais l’affaire tourne mal. « Notre partenaire chinois était chargé de déposer un dossier auprès de l’État central à Pékin afin de changer la structure actionnariale. Il ne l’a pas fait, par volonté propre ou encouragé par l’État », poursuit Carlos Tavares, qui évoque une « rupture du contrat et de la confiance ».
La lutte contre le Covid-19 semble sans fin en Chine. Chaque jour ou presque, on apprend le confinement d’une nouvelle ville. Depuis le week-end dernier, ce sont plusieurs dizaines de millions de personnes qui sont à nouveau confinées dans le pays et, au total, quelque 100 millions de Chinois sont encore confinés, malgré le faible nombre de contaminations enregistrées.

Menace d’une crise financière systémique

Par ailleurs, la grave crise que traverse le secteur immobilier chinois depuis un an ne cesse elle aussi de se creuser. Sans aide de l’État, ce serait un tiers des principaux promoteurs immobiliers qui pourraient faire défaut d’ici la fin de l’année. Croulant sous des montagnes de dettes, une trentaine d’entre eux ont dû interrompre les chantiers. Résultat : 40 % des acheteurs n’ont toujours pas reçu les clefs de leur appartement.
Mais ces dernières semaines, il est devenu patent que ces propriétaires ne veulent plus se laisser faire. Après avoir usé de tous les recours, nombre d’entre eux n’hésitent plus à manifester dans les rues. Un million ont même cessé de rembourser leur emprunt. S’ajoute à cela, des banques locales qui font faillite, provoquant la colère des épargnants.
Cette crise immobilière n’est en réalité que la partie émergée d’un iceberg qui illustre un endettement colossal de la Chine. Celui-ci fait surgir la menace d’une crise financière systémique en Chine qui, si elle devait éclater, pourrait avoir un effet domino sur les économies mondiales, la Chine étant la deuxième économie de la planète après l’économie américaine.

Taïwan : intimidation contre-productive ?

D’autre part, sur le front géostratégique, le pouvoir chinois a bien dû constater que les menaces d’intervention armée à Taïwan et les nombreuses opérations d’intimidation dirigées contre l’île ne produisent pas l’effet escompté. Le contraire même puisqu’en réaction, le sentiment des Taïwanais est plus que jamais favorable à une indépendance de leur île.
Le New York Times faisait ainsi état le 19 janvier de la montée régulière dans la population de l’île d’un sentiment d’être taïwanais et non pas chinois. Si plus de 90 % des habitants trouvent leurs origines en Chine, plus que jamais ils se sentent taïwanais, épousant une identité culturelle différente de celle du continent chinois. Ce sentiment s’est notablement approfondi depuis le début de l’année avec la multiplication des missions aériennes et navales de l’Armée populaire de libération (APL) à proximité des côtes de Taïwan ainsi qu’avec la montée de l’autoritarisme en Chine continentale. En janvier dernier, 60 % des 23 millions d’habitants de l’île s’identifiaient comme taïwanais et non chinois, soit trois fois plus qu’en 1992, selon les résultats d’un sondage de l’Election Study Center de l’université Chenchi de Taipei cité par le quotidien américain. Aujourd’hui, seuls 2 % des personnes interrogées s’identifient comme chinoises, contre 25 % il y a trente ans.
Autre conséquence : le budget militaire de Taïwan pour 2023 atteint la somme record de 523,4 milliards de NTD (17,3 milliards de dollars), soit une hausse de 14,9 % comparé à celui de 2021. Ce budget doit encore être adopté par le parlement taïwanais. Selon le ministère de la Défense à Taipei, 446 avions chinois, pour la plupart des avions de chasse, sont entrés dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan en août, soit plus que les 380 passages chinoise recensés pour toute l’année 2020.
De leur côté, les États-Unis ont annoncé le 2 septembre une vente d’armes record à Taïwan pour un montant d’1,1 milliard de dollars. Depuis 2010, les Américains ont vendu à l’île pour plus de 35 milliards de dollars d’armes. Ces ventes sont « essentielles pour la sécurité de Taïwan et nous continuerons à œuvrer avec l’industrie de défense à soutenir cet objectif », a expliqué un porte-parole du département d’État.
Comme à l’accoutumée, Pékin a exigé que Washington « révoque immédiatement » ces ventes d’armes, « de crainte qu’elles n’affectent davantage les relations avec les États-Unis ainsi que la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan », a déclaré un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Ces propos reflètent une rhétorique fréquemment utilisée par le pouvoir chinois.

« Liaisons dangereuses » avec la Russie : la menace des sanctions occidentales

Autre dossier brûlant encore : les Nouvelles Routes de la Soie. Ce projet pharaonique annoncé par Xi Jinping en 2013, un an après son accession au pouvoir, prévoit la construction d’innombrables ports, aéroports, voies ferrées et autres projets d’infrastructures dans les pays émergents. La faillite du Sri Lanka qui croule sous les crénaces, en particulier auprès de banques chinoises, vient illustrer le côté sombre de ce projet qui a plongé de nombreux pays dans le tristement célèbre « piège de la dette ». Incapables de rembourser ces dettes, ces pays se retrouvent dans l’obligation de céder à la Chine des baux emphytéotiques de 99 ans sur les infrastructures financées par Pékin, ce qui revient pour eux à des abandons de souveraineté.
En réaction à ces faillites en cascade, l’Union européenne et les États-Unis ont annoncé leur propre programme d’aides au développement concurrents à destination des pays africains et en Asie du Sud-Est. Le programme européen s’élève pour le moment à 600 milliards de dollars. Ces programmes n’arrivent-ils pas trop tard face au programme chinois qui a déjà séduit plus de 150 pays ? « La sinomania conduit nos acteurs politiques à prendre des décisions hâtives », explique Terence Wood, un chercheur du Development Policy Center, un think tank australien, cité par l’Asia Nikkei. Pour ce chercheur, ces initiatives sont comprises par certains pays partenaires de la Chine comme le produit d’une réaction politique à ce qui est perçu comme une menace chinoise plutôt qu’un véritable plan d’aide désintéressé.
Un autre article de la revue japonaise publié le 22 août est venu mettre en lumière les conséquences gigantesques pour l’économie chinoise de sanctions occidentales potentielles contre la Chine s’il était avéré qu’elle s’engageait trop loin dans son aide à la Russie en pleine invasion de l’Ukraine. Selon une étude du Conseil d’État chinois réalisée en avril dernier et dont le texte a fuité au Japon, ces sanctions auraient un effet « dramatique pour la Chine » qui « retournerait à une économie planifiée coupée du monde. Il y aurait alors un sérieux risque de crise alimentaire », du fait des dégâts que causeraient ces sanctions avec l’interruption des importations de produits alimentaires essentiels.
L’arrêt des importations de soja en particulier engendrerait une crise pour les chaînes alimentaires chinoises très dépendantes du soja, tandis que la réduction ou l’arrêt des exportations entraîneraient des conséquences graves en termes de recettes financières, poursuit ce document de Pékin. La Chine importe 30 % des besoins en soja des États-Unis. La production chinoise en soja représente moins de 20 % des besoins du pays, selon le journal. Le soja est essentiel pour la production d’huiles alimentaires ainsi que pour l’alimentation des porcs qui représentent 60 % des viandes consommées par les Chinois.
Une crise alimentaire pourrait à son tour engendrer une instabilité sociale qui constituerait une menace directe pour le Parti communiste chinois, estime le Nikkei Asia. « La hausse des prix du porc est de nature politique car, par effet de contagion, elle affecterait aussi les prix du bœuf et des volailles » et rappellerait une crise alimentaire que la Chine a vécue en 1989, explique un employé non identifié d’une société de courtage chinoise cité par le journal.
Cette année-là, le massacre de la place Tiananmen avait entraîné une très forte hausse des prix en Chine estimée à entre 20 et 30 %. Cette crise avait conduit les autorités à imposer aux entreprises de production de viande de réduire leurs prix, dont la hausse avait atteint plus de 40 % en un mois après le 4 juin 1989.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).