Politique
Tribune

Le Pakistan entre chaos terroriste, agitation politique et intimidations

Le Premier ministre Imran Khan lors d'un meeting politique à Karachi, le 9 mars 2022. (Source : WSJ)
Le Premier ministre Imran Khan lors d'un meeting politique à Karachi, le 9 mars 2022. (Source : WSJ)
Ce fragile pays d’Asie du Sud est confronté ces derniers mois à une énième phase de violence terroriste, alimentée par l’organisation État islamique et les talibans pakistanais, visiblement remobilisés par le retour aux affaires à Kaboul de leurs « cousins » afghans le 15 août dernier.
*Rappelons ici d’un mot que le Premier ministre pakistanais Imran Khan avait maintenu sa visite officielle à Moscou alors que le Kremlin venait de donner l’ordre à ses troupes d’envahir l’Ukraine.
Il est rare que le cinquième pays le plus peuplé du globe au XXIème siècle attire la lumière sous un angle favorable. Il est rare qu’il fasse la Une des quotidiens internationaux sur des thématiques positives et se présente sous un jour flatteur aux yeux du monde. En ce crépuscule hivernal marqué notamment du sceau douloureux de la guerre menée ces deux dernières semaines par les troupes russes en Ukraine*, Islamabad ne semble pas précisément déterminée à remettre en cause cette jurisprudence constante autant que consternante. Ce, en s’illustrant dernièrement de diverses manières qui ne participeront aucunement à un quelconque début de restauration de son image extérieure pourtant si sinistrée.
Ainsi, vendredi 4 mars, dans la ville de Peshawar, capitale du Khyber Pakhtunkhwa, un attentat-suicide meurtrier, revendiqué par l’organisation État islamique, ciblait une mosquée chiite du Qissa Khwani Bazaar, faisant une soixantaine de morts et près de 200 blessés. Deux jours après un attentat perpétré là encore par l’EI à Quetta, capitale du Baloutchistan – trois morts et 25 blessés -, l’attentat-suicide frappant une fois encore la cinquième ville du pays, frontalière de l’Afghanistan, était le plus sanglant du genre depuis juillet 2018 et le terrible attentat de Daesh tuant 150 personnes à Mastung, dans le Baloutchistan.
*La 68ème du genre depuis le 1er janvier 2022 recensée par les spécialistes du South Asia Terrorism Portal.
Cette énième attaque terroriste* survenait alors même que l’équipe nationale australienne de cricket effectuait une tournée de test matchs au Pakistan (s’étirant a priori jusque début avril) – la première depuis 24 ans du fait des conditions sécuritaires locales pour le moins incertaines et dégradées. Dans le même temps, 6 000 km vers l’Ouest, dans la capitale française, le Groupe d’action financière (GAFI) décidait de maintenir le Pakistan sur sa « liste grise » de financement du terrorisme et demandait aux autorités pakistanaises de remédier au plus vite aux déficiences de leur système financier.
*Théâtre récurrent des attentats terriblement meurtriers ces dernières années, à l’égard de la communauté chiite mais pas uniquement.
Imputé à la branche régionale de l’EI, l’État islamique-Khorasan (EI-K), l’attentat du 4 mars à Peshawar* démontre s’il en était besoin que ce fragile pays d’Asie du Sud est confronté ces derniers mois à une énième phase de violence terroriste, alimentée par Daesh et les radicaux du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) ou talibans pakistanais, visiblement remobilisés par le retour aux affaires à Kaboul de leurs « cousins » afghans le 15 août dernier.
Cet attentat visait une fois encore une mosquée chiite, attestant si besoin était de l’activité des groupes radicaux sunnites, wahhabites et déobandi et de leur influence se renforçant au « pays des purs », au détriment de la sécurité des autres communautés religieuses – à commencer par les minorités chiites et Ahamadis. Notons à ce propos que les poussées radicales islamistes à l’œuvre au Pakistan ont eu également des incidences très négatives sur la condition féminine, ainsi que la presse pakistanaise et étrangère en témoigna à l’occasion de la récente journée internationale de la femme du 8 mars et de la traditionnelle « Aurat march » à laquelle participèrent de courageuses Pakistanaises.

« Asif Zardari, ton heure est proche »

Dans un registre différent, du côté d’Islamabad cette fois, en ce mardi 8 mars toujours et à l’issue d’une marche de 10 jours, plusieurs dizaines de milliers de militants de l’opposition, des sympathisants du Pakistan Peoples Party (PPP), arrivaient dans la capitale pour manifester – une fois encore – leur opposition au gouvernement d’Imran Khan et de son parti, le Pakistan Tehreek-i-Insaf (PTI), et de presser ce dernier de démissionner. Une nouvelle motion de censure contre le gouvernement devrait être déposée courant mars.
Si les autorités donnèrent leur accord pour cette mobilisation partisane anti-gouvernementale – et potentiellement violente et de nature à nuire à l’ordre public – dans la capitale, des mesures de sécurité draconienne étaient mises en œuvre par les forces de l’ordre. Une noria de conteneurs fut déployée tout autour de D-Chowk (sur Constitution Avenue, Serena Chowk et Kashmir Chowk notamment) afin de sceller le périmètre et limiter dans la mesure du possible la concentration in situ de manifestants de l’opposition. Ce, tandis que des forces de police anti-émeutes et paramilitaires pléthoriques et bien équipées se présentaient en masse aux points névralgiques de la capitale, prêtes à en découdre avec les manifestants et à dissuader ces derniers de trop de hardiesse.
*En poste depuis l’été 2018. Prochain scrutin législatif programmé à l’été 2023. **Ancien chef de l’État (2008-2013), veuf de Benazir Bhutto, et co-président du PPP. ***Dawn, 9 mars 2022.
« Tout en mesure » comme souvent et prompt à souffler sur les braises pour mieux attiser le foyer, le Premier ministre objet du courroux de l’opposition se signala notamment – pour la énième fois, là aussi – en livrant quelques saillies colorées et apurées de tout souci de diplomatie. Le 9 mars, à l’occasion d’un meeting politique à Karachi, le 22e chef du gouvernement* pakistanais livrait en pâture à son audience l’identité de ses prochaines cibles politiques et de ses projets à leur égard. Morceaux choisis repris par la presse pakistanaise : « A présent, ma première cible, présente sur mon radar depuis longtemps, est Asif Ali Zardari »**, accusé, entre autres amabilités, de « recourir à la police et aux voyous pour assassiner des individus » ou encore d’être impliqué dans des affaires de « vol, de corruption et de blanchiment d’argent à l’étranger […]. Asif Zardari ton heure est proche… »***
*Président du parti PML-N, frère aîné de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif.
Shehbaz Sharif, un autre cadre de l’opposition* qualifié de « cireur de chaussure », en fut également pour son compte : « Votre heure est pareillement venue. D’ici trois mois, vous serez derrière les barreaux […]. Je réduirai encore les prix de l’électricité en récupérant l’argent que le fils et le gendre de Shehbaz ont dérobé au Trésor public. » Ambiance… « Est-ce ainsi que s’exprime un Premier ministre ? » s’interrogea peu après ces propos pour le moins irrévérencieux Raja Pervaiz Ashraf, un cadre du PPP. Et de demander plus avant : « Le Premier ministre doit être conscient que… si vous manquez de respect à quelqu’un, personne ne vous respectera. Dans quelle direction orientez-vous donc la politique du Pakistan ? »
Certes, la remobilisation des forces de l’opposition contre le gouvernement Khan est manifeste, à un peu plus d’un an du prochain scrutin législatif, à l’été 2023. Lundi 7 mars, les leaders des trois grandes formations de l’opposition (PPP, PML-N et PDM) se sont réunis pour harmoniser leur approche et presser le gouvernement de démissionner avant le terme de son mandat, brandissant notamment le spectre – crédible – d’une nouvelle mobilisation monstre à Islamabad et dans les autres grands centres urbains et du dépôt prochain d’une nouvelle motion de censure contre Imran Khan et son cabinet.

Financement du terrorisme

*Un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les ministres de ses États membres luttant contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération. **En « compagnie » d’une vingtaine d’autres pays, dont la Syrie, la Birmanie, le Mali ou le Yémen.
Quelques jours plus tôt, dans la plus paisible capitale de l’Hexagone, le GAFI*, depuis son siège parisien, décidait (en fin de semaine dernière) le maintien du Pakistan sur sa liste grise**, enjoignant Islamabad de continuer à œuvrer pour honorer, dès que possible, les engagements pris auprès de l’institution. Notamment au niveau des enquêtes et des poursuites relatives au financement du terrorisme visant les responsables de groupes terroristes désignés par les Nations Unies présents sur le sol pakistanais. Un rappel à l’ordre également effectué récemment à Islamabad par le Fonds monétaire international (FMI).
L’occasion ici de revenir encore en quelques mots sur les accusations de malversations diverses auxquelles faisaient allusion – plus haut dans cette tribune – le Premier ministre Khan en pointant du doigt divers leaders de l’opposition. Ce d’autant plus que le mois dernier, la presse nationale (The News) et internationale (ANI du 22 février) évoquaient des accusations similaires en direction du parti au pouvoir (PTI). Selon ces médias, des membres du Pakistan Tehreek-e-Insaf auraient ainsi réglé leur cotisation annuelle au moyen de cartes de crédit volées. Et l’article de révéler que plus de 70 % des membres du PTI enregistrés en Italie se seraient ainsi acquittés de leur cotisation annuelle de cette manière. Des pratiques qui, si elles s’avéraient fondées, jetteraient quelque discrédit sur le parti au pouvoir.
*Par l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’Office central de répression de la grande délinquance financière.
En France, un mois plus tôt, des médias là encore des plus sérieux (France Info, 18 janvier) évoquaient divers trafics (faux papiers) auxquels se livreraient dans l’Hexagone certains membres de la communauté pakistanaise expatriée, justifiant l’interpellation* et l’emprisonnement d’une douzaine d’individus connus des services de police d’Île-de-France…
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.