Politique
Analyse

La Birmanie sombre dans l'indifférence

Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte birmane, et le Premier ministre cambodgien Hun Sen, à Naypidaw, le 7 janvier 2022. (Source : SCMP)
Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte birmane, et le Premier ministre cambodgien Hun Sen, à Naypidaw, le 7 janvier 2022. (Source : SCMP)
La visite à Naypidaw, les 7 et 8 janvier derniers, du chef de gouvernement cambodgien Hun Sen, nouveau président de l’ASEAN, n’a fait apparaitre aucune évolution dans le tout répressif, l’unique « politique » des généraux putschistes birmans.

Une visite sans importance

Confinant au grotesque, une scène diffusée en direct le 8 janvier par Myanmar TV montre sur une estrade, quasiment en tenue de bonze, le général Min Aung Hlaing implorant le Premier ministre Hun Sen de l’accepter comme « frère en méditation » (« godbrother »). Montrer aux populations birmanes que leur nouveau président putschiste a aussi une facette mystique, cela ne suffira pas à gommer son image de boucher, qui a ordonné aux forces armées de « tirer pour tuer » les manifestants désarmés dans tout le pays.
La visite du chef du gouvernement cambodgien a en outre ruiné le peu d’influence que l’ASEAN tentait de préserver dans la crise birmane. Le nouveau président de l’association régionale, sans avoir recherché le moindre consensus avec ses 9 homologues, a fait, de sa propre initiative, un geste valant pour les généraux putschistes légitimation de leur pouvoir aux bases aussi fragiles que discutables.

Massacre dans l’État Kayah

Le 24 décembre, deux semaines avant la venue en Birmanie de Hun Sen, la Tatmadaw, l’armée birmane fidèle aux généraux putschistes, a fait preuve de son traditionnel mépris pour la vie de civils désarmés. 40 personnes, toutes civiles et sans arme, ont été brûlées vives dans leurs véhicules, ou abattus en tentant de s’enfuir.
Les condamnations de la communauté internationale ont été unanimes et suivies comme d’habitude d’aucun effet. Pas même celui de retarder la visite officielle du premier chef de gouvernement à se rendre à l’invitation des généraux putschistes. Cette tuerie fut d’autant plus médiatisée que, parmi les victimes, figurent deux employés – birmans – d’une ONG internationale, Save the Children.
Au programme des écoles d’officier de l’armée birmane, de larges développements sont consacrés aux différentes manière de « terroriser l’ennemi » : brûler les villages, tirs à l’arme automatique indiscriminés dans les rues des villes et villages, incendier les véhicules et leurs passagers, etc. Au vu des conséquences – inexistantes – du massacre de Noël, l’état-major de la Tatmadaw n’hésitera pas à récidiver.

Une armée « coloniale » en guerre contre 55 millions de colonisés

Le massacre de civils par dizaines n’est en rien une pratique nouvelle de l’armée birmane. Depuis 1962 (et même avant), la Tatmadaw est en guerre contre telle ou telle minorité dans les provinces périphériques du pays.
La nouveauté en 2021 : l’ensemble de la population, celle des grandes villes et des plaines, de l’ethnie majoritaire Bamar et de confession bouddhiste, est traitée comme le furent et le sont toujours, depuis l’indépendance de la Birmanie, les minorités.
La plus maltraitée d’entre toutes, les musulmans Rohingyas. En 2017, après des décennies de harcèlement, le général Minh Ang Hlaing, alors Commandant en chef, décide d’une sorte de « solution finale ». En moins de 3 mois, 750 000 personnes fuirent leurs foyers dans l’État d’Arakan, pour gagner dans des conditions hasardeuses le Bangladesh. Des dizaines de milliers de morts recensés, des centaines de milliers de femmes et d’enfants violés.
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.