Politique
Analyse

Birmanie : statu quo à l'ONU alors que les attentats anti-junte et les exactions de l'armée augmentent

Des rebelles birmans anti-junte s'entraînent au camp de Victoria, quartier général du groupe ethnique armé du Chin National Front (CNF) dans l'ouest de la Birmanie, près de la frontière indienne, le 8 juillet 2021. (Source : CNN)
Des rebelles birmans anti-junte s'entraînent au camp de Victoria, quartier général du groupe ethnique armé du Chin National Front (CNF) dans l'ouest de la Birmanie, près de la frontière indienne, le 8 juillet 2021. (Source : CNN)
La déclaration de « guerre défensive » lancée contre la junte par le président du Gouvernement d’Union nationale (NUG) s’est traduite par un net accroissement du nombre établi d’attentats et escarmouches contre l’armée birmane, ses informateurs et ses installations de télécommunications. Parallèlement, ont augmenté les exactions répertoriées des militaires, les meurtres de civils, les villages brûlés.

Armée versus population birmane

D’emblée, les différents porte-parole du gouvernement d’Union Nationale – dont les membres sont soit hors de Birmanie, soit dans des « zones libérées » – ont exposé les motivations de cette initiative, a priori mal accueillie tant par le camp occidental que par la Chine et la Russie. Un communiqué du gouvernement britannique avait au même moment que la publication de celui du gouvernement chinois, en des termes quasiment identiques, condamné « une démarche de nature à éloigner encore davantage l’ouverture de l’indispensable dialogue entre les deux parties en conflit ». Entretenant ainsi la fiction d’un dialogue possible entre deux blocs que tout oppose depuis le coup d’État du 1er février.
D’un côté, l’armée birmane, la Tatmadaw, les familles de militaires, des officiers, leurs diverses catégories d’obligés civils, sans oublier certains vénérables bouddhistes, connus pour leurs goûts du luxe et du bling bling. Entre un et deux millions de personnes, qui bénéficiaient d’avantages matériels et pécuniaires non négligeables par rapport à une population proche du seuil de pauvreté, dans les faubourgs des villes, les campagnes et les « zones ethniques » – les deux tiers du territoire à la périphérie – dans tous les sens du terme. Avantages évaporés depuis le coup d’État et la paralysie du pays qu’il a provoquée. unz situation encore aggravée depuis juillet par une nouvelle vague de contamination au Covid-19, une catastrophe humanitaire amplifiée par l’incompétence et la corruption de la junte.

L’inconnue des désertions

Depuis la recrudescence médiatisée des actions de la résistance, celles-ci sont regroupées sous le label aux contours assez flou de People’s Defence Force ou PDF. Le comportement de l’armée birmane, dans toutes les zones du pays où elle opère, est, avec un haut degré de violences indiscriminées, parfaitement comparable aux modus operandi des différentes armées européennes (française en Algérie, britannique en Malaisie ou portugaise en Angola) qui tentaient par tous moyens militaires d’empêcher l’accès à l’indépendance de populations colonisées. 53 millions de birmans, toutes origines confondues, semblent avoir pris conscience qu’ils étaient colonisés par une armée qui leur est devenue étrangère et hostile, et dont il convient de se débarrasser par tous les moyens.
Se pose avec plus d’acuité encore la question cruciale des désertions au sein de la Tatmadaw. Il s’agit d’un secret que personne ne détient. En effet, l’état-major de l’armée birmane n’a pas d’autres moyens de connaître le nombre de déserteurs que de se fonder sur les déclarations des chefs de corps. Or ceux-ci n’ont aucun intérêt à avouer un effritement de leurs effectifs. Non seulement ils seront sanctionnés pour les avoir laissés échapper, mais leurs dotations en vivres – fort déficientes au demeurant – seraient encore diminuées. Quant à la solde… Les déserteurs, qu’ils soient hommes de troupes ou officiers, policiers ou garde-frontière, les représailles sur les proches les dissuadent de toute publicité.
Les PDF et armées ethniques qui recueillent des déserteurs risquent des bombardements et raids aériens ciblés accrus s’il leur prenait la fantaisie de se vanter d’en accueillir dans leurs rangs. Faciliter les désertions est la priorité affichées du NUG, qui fait l’unanimité parmi ses millions de supporters à l’intérieur et à l’extérieur de la Birmanie.

Statu Quo à l’ONU

Le poste du représentant de la Birmanie à l’ONU est actuellement occupé par l’ambassadeur Kyaw Moe Tun, un diplomate expérimenté nommé par le gouvernement civil renversé par le putsch du 1er février. Son cas vient de faire l’objet d’une – rare – négociation ayant abouti à un consensus entre Pékin et Washington.
Les deux superpuissances rivales se sont mises d’accord le 13 septembre, juste avant l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, pour maintenir jusqu’en novembre le statu quo en vigueur depuis le ralliement, en avril dernier, de l’ambassadeur Kyaw Moe Tun au Gouvernement d’Union nationale.
À la tribune du grand amphithéâtre new-yorkais de l’ONU, le représentant birman avait, en levant trois doigts en signe de ralliement aux opposants anti-putsch, adjuré les États membres de l’ONU ne pas reconnaître le régime mis en place dans le sang par les généraux putschistes. Et d’aider par tous moyens, y compris militaires, le peuple birman à renverser le régime que le général Min Aung Hlaing met en place.
À la suite de cette intervention mondialement télévisée, l’ambassadeur a fait l’objet d’une tentative d’assassinat par des « mercenaires » recrutés par un homme d’affaires richissime proche des généraux putschistes. Kyaw Moe Tun bénéficie depuis d’une protection du FBI.
Le maintien du statu quo est un vrai revers essuyé par la junte, qui n’obtient pas la reconnaissance internationale à la quelle elle aspire depuis le 1 er février. Pour le gouvernement d’Union Nationale, il s’agit d’une demi-victoire provisoire. La junte n’est pas reconnue, mais le chemin vers la reconnaissance internationale du NUG est toujours aussi long et semé d’embûches.
En novembre se réunira le comité d’accréditation de l’ONU, composé de 9 membres dont la Chine et les États-Unis. Il statuera, ou renverra à une date ultérieure la décision d’attribuer le siège de la Birmanie au représentant de la junte, ou de déclarer le siège vacant, à moins que l’ambassadeur Kyaw Moe Tun n’obtienne de conserver sa position actuelle. Dans toute ses ambigüités. Il a dû s’engager à ne pas prendre la parole devant l’Assemblée générale de l’ONU durant la session en cours. Et à ne participer, pendant toute la session, à aucune commission ou groupe de travail.
Par Francis Christophe

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.