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En Birmanie, des hélicoptères Panther d'Airbus sous embargo défilent dans une parade de la marine

L'AS565 Panther d'Airbus Helicopters. (Source : Mer et marine)
L'AS565 Panther d'Airbus Helicopters. (Source : Mer et marine)
Ils sont interdits par un embargo international strict depuis quarante ans, imposé par les Européens et les Américains, entre autres. Qu’allaient-ils donc faire dans cette galère ? La présence avérée de Panthers d’Airbus Helicopters dans une parade de la marine birmane le 9 octobre dernier est un soufflet à la France et à l’Union européenne. À l’évidence, elles prennent des sanctions qu’elles n’ont pas les moyens de faire appliquer.
*L’AS565 Panther d’Eurocopter (aujourd’hui Airbus Helicopters) est la version militaire de l’hélicoptère bimoteur polyvalent de poids moyen AS365 Dauphin d’Eurocopter. Le Panther est utilisé pour un large éventail de rôles militaires, notamment l’assaut, l’appui-feu, la lutte anti-sous-marine, la lutte anti-surface, la recherche et le sauvetage, et l’évacuation médicale.
La parade navale du 9 octobre, dans un des bras du delta de l’Irrawaddy au sud de Rangoun, était présidée par le chef de la junte, le général Min Aung Lhaing, pour l’inauguration d’une nouveau corps de garde-côtes. Elle a été survolée par une demi-escadrille d’hélicoptères Panther*, la version « marine » du « civil Dauphin ». Sous embargo strict, ce type de matériel inclue les hélicoptères « civils », de seconde et troisième main, ainsi que les services de maintenance ou la formation des équipages birmans.
Selon les observateurs consultés par Asialyst, la parade du 9 octobre est la première apparition connue de ce type d’hélicoptères sous couleurs de l’armée dans le ciel birman. Sur un extrait vidéo de la parade filmée par Mizzima TV English et partagé sur Facebook, tout connaisseur des appareils à ailes tournantes reconnaît le Panther. En particulier, le carénage du rotor arrière : un brevet mondial déposé par la SNIAS, la Société nationale aérospatiale, ancêtre de l’actuelle Airbus Helicopters, le certifie.
Une expertise de cette video établit que Mizzima TV English s’est contentée de reprendre telles quelles les images de Myanmar TV, principale chaîne télévisée de la junte, qui, elle-même, n’a procédé à aucun trucage ni montage.

L’embarras d’Airbus Helicopters

*Traduction du message envoyé en anglais : « Airbus can confirm it has not, and will not, provide any products or services to Myanmar that are prohibited under international embargo and subject to export control restrictions. »
Après avoir transmis la vidéo par courriel aux chargés de communication d’Airbus helicopters, à leur siège de Marignane, Asialyst a reçu le communiqué suivant : « Airbus est en mesure de confirmer qu’il n’a pas fourni et ne fournira pas de produits ou de services au Myanmar qui soient interdits par un embargo international et soumis à des restrictions en matière de contrôle des exportations. »*
À ce démenti formel manque un élément essentiel : son périmètre. Airbus Helicopters est une entreprise multinationale classique, en ce sens qu’outre les usines qu’elle possède en propre, pour la plupart en France et en Allemagne, une nuée mondialisée de sous-traitants fournit, en amont, la plupart des composants des hélicoptères du groupe, construits et/ou assemblés dans les usines Airbus Helicopters.
Pour ce qui est du Panther/Dauphin, une filiale brésilienne possédée à 51% par Airbus, Helibras, assemble, construit et commercialise ce modèle pour l’Amérique latine. Appuyée sur les filiales mexicaines, qui produisent nombre de pièces détachées pour divers centres de production du groupe. Il en va grosso modo de même en Inde, où Airbus est en partenariat avec HAI (Hindustan Aircraft Industries).

Ombre chinoise

Aucun constructeur ambitieux ne peut demeurer absent de Chine, le deuxième marché mondial pour les hélicoptères, après les États-Unis. Pour concrétiser son appétence pour le marché chinois, Airbus Helicopter a dû, comme tant d’autres industriels étrangers, en passer par les pratiques spécifiques à une installation industrielle en Chine. Ce qui a consisté, dans un premier temps, voici 17 ans, à céder la licence du panther/dauphin à l’industrie aéronautique chinoise, contrôlée par l’Armée populaire de libération (APL).
Figurent probablement dans la version française du contrat de licence des clauses restreignant les exportations du licencié à l’accord préalable du « licencieur ». Mais il n’est pas certain que la version chinoise du même contrat comporte des clauses ayant exactement le même sens.
Fin septembre 2018, l’état-major d’Airbus au complet s’est rendu en Chine pour tenir son comité stratégique annuel et célébrer la nouvelle chaîne d’assemblage d’Airbus Helicopters de Qingdao, dans le nord-est du pays.
Dédiée au H135, un hélicoptère léger bimoteur, le site – le premier d’un hélicoptériste occidental en Chine – ne démarrera en fait que début janvier. Il devrait fabriquer 18 appareils par an. La chaîne repose sur l’engagement chinois d’acquérir un minimum de 100 H135 sur les sept prochaines années, pour un total 700 millions d’euros. Mais les cinq premiers appareils seront fabriqués en Allemagne.
Cette usine d’assemblage sera la troisième du groupe dans le pays, après ceux d’Airbus commercial aircraft à Tianjin et Harbin. De quoi renforcer la place d’Airbus en Chine, devenue son premier débouché pour les avions commerciaux comme pour les hélicoptères.
*Lire Les Echos du 30 septembre 2018.
Pour s’imposer en Chine face à Bell, Leonardo ou le Chinois Avic, Airbus Helicopters multiplie les partenariats. « Dans les années 1980, nous avions commencé par céder aux Chinois la licence de fabrication du Dauphin, rappelle Bruno Even, le PDG d’Airbus Helicopters. En 2014, nous avons franchi une étape majeure avec un accord avec Avic pour développer et produire le H175. Qingdao est une étape supplémentaire. »*

Embargo de papier

Présenter des hélicoptères, un matériel censé être sous embargo strict depuis plus de quarante ans, donc ne pas voler sous les couleurs de la marine birmane, est aussi un soufflet à la France et à l’Union européenne : à l’évidence, elles prennent des sanctions qu’elles n’ont pas les moyens de faire appliquer.
Les Panthers de la marine birmane volaient le 9 octobre, sans armes. Un simple rappel des vrais rapports de force dans la région ?
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.