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Sommet de Biden pour la démocratie : ce que traduit la colère de la Chine

Le président américain Joe Biden lors du sommet virtuel pour la démocratie, qui a réuni plus de 100 chefs d'État et de gouvernement, les 9 au 10 décembre 2021. (Source : Japan Times)
Le président américain Joe Biden lors du sommet virtuel pour la démocratie, qui a réuni plus de 100 chefs d'État et de gouvernement, les 9 au 10 décembre 2021. (Source : Japan Times)
Un « sommet pour la démocratie » virtuel de deux jours organisé par le président américain Joe Biden s’est achevé ce vendredi 10 décembre. Taïwan a été invité, pas la Chine. Furieuse, elle a monté une campagne médiatique pour vanter l’efficacité de son propre modèle de démocratie, contrairement à celui des États-Unis qu’elle juge « obsolète ».
« La démocratie est confrontée à des défis compliqués et alarmants », avait déclaré le locataire de la Maison Blanche dans un discours ce jeudi 9 décembre au début de ce sommet qui a réuni des représentants de quelque 110 pays. Les tendances actuelles dans le monde « semblent s’orienter vers une mauvaise direction », la démocratie ayant plus que jamais besoin de « champions ». « Nous sommes aujourd’hui à un point d’inflexion. Allons-nous permettre à cette tendance de continuer au détriment des droits humains et de la démocratie ? La démocratie n’est pas le fruit du hasard. Nous devons la renouveler à chaque génération. De mon point de vue, voici le véritable défi de notre époque. »
« Ne vous y trompez pas. Nous sommes aujourd’hui à un moment crucial qui est celui de la démocratie, a renchéri la sous-secrétaire d’Etat américaine Uzra Zeya. Les pays dans pratiquement toutes les régions du monde ont connu jusqu’à un certain point un recul de la démocratie. »
Ce sommet, organisé en distanciel du fait de la pandémie, a également rassemblé de nombreuses organisations philanthropiques privées, des ONG ainsi que des institutions politiques. L’organisation de ce sommet avait été une promesse de campagne de Joe Biden avant son élection et son investiture à la Maison Blanche en janvier dernier.
Ni la Chine, ni la Russie n’avaient été invitées à ce sommet qui a eu lien sur fond de tensions croissantes entre Washington et Pékin, principalement autour de la question de Taïwan qui, elle, a participé à cet événement.
Furieux, le gouvernement chinois n’a pas mâché ses mots. Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a ainsi estimé que l’invitation faite aux autorités taïwanaises « illustre l’intention [des États-Unis] de se servir de ce soi-disant sommet pour servir ses objectifs géopolitiques, opprimer d’autres pays et diviser le monde. »

« Grâce à ce sommet, Taïwan pourra partager son expérience de réussite démocratique »

La liste des invités à ce sommet n’avait pas fait consensus, le mot est faible. La Chine avait dès mercredi 8 décembre exprimé sa « ferme opposition » à l’invitation de Taïwan au sommet virtuel. « Taïwan n’a pas d’autre statut en droit international que celui de partie intégrante de la Chine », avait ainsi déclaré lancé un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.
Taipei, au contraire, avait immédiatement remercié Joe Biden. « Grâce à ce sommet, Taïwan pourra partager son expérience de réussite démocratique », s’était réjoui Xavier Chang, porte-parole du bureau de la présidence taïwanaise. Les États-Unis ne reconnaissent pas l’île autonome de Taïwan comme pays indépendant, mais l’érigent volontiers en modèle démocratique face à la Chine.
Quelques heures avant l’ouverture de ce sommet, Pékin a cependant remporté une victoire importante avec la reconnaissance par le Nicaragua de la République populaire de Chine et la rupture concomitante de ses relations diplomatiques avec Taïwan.
« Le gouvernement de la République du Nicaragua annonce qu’il reconnaît que dans le monde il n’existe qu’une seule Chine », a déclaré le ministre des Affaires étrangère de ce pays, Denis Moncada. La République populaire de Chine est le seul gouvernement légitime qui représente toute la Chine et Taïwan constitue une partie inaliénable du territoire chinois. Le gouvernement de la République du Nicaragua rompt aujourd’hui ses relations diplomatiques avec Taïwan et cesse tout contact officiel » avec ce pays. Désormais, Taïwan n’est plus reconnu que par treize États, dont le Belize, le Guatemala, le Honduras et le Paraguay en Amérique Latine ainsi que le Vatican en Europe.
De son côté, le régime communiste chinois s’est félicité de cette initiative. Managua « a fait le bon choix qui est en ligne avec la tendance de l’Histoire et recueille le soutien des peuples des deux pays », a ainsi réagi la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying.

« Nouvelles lignes de division »

Joe Biden ne l’avait pas caché dès son arrivée à la Maison Blanche en janvier : le combat entre les démocraties et les « autocraties », incarnées à ses yeux par la Chine et la Russie, est au cœur de sa politique étrangère. Sans surprise, les principaux rivaux de Washington, Pékin et Moscou en tête, ne figuraient donc pas dans la liste des invités de ce « sommet pour la démocratie ». « Les États-Unis préfèrent créer de nouvelles lignes de division, diviser les pays entre les bons selon eux, et les mauvais selon eux », avait lui aussi déploré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, mercredi dernier.
La Turquie, alliée de Washington au sein de l’OTAN, mais dont le président Recep Tayyip Erdogan a par le passé été qualifié « d’autocrate » par Joe Biden, ne figurait pas non plus au nombre des pays participants. Au Moyen-Orient, seuls Israël et l’Irak avaient été conviés à cette réunion. Les alliés arabes traditionnels des Américains que sont l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Qatar et les Émirats arabes unis brillaient par leur absence. Joe Biden avait aussi invité le Brésil, pourtant dirigé par le président d’extrême droite très controversé Jair Bolsonaro.
En Europe, la Pologne était représentée, malgré les tensions récurrentes avec Bruxelles au sujet du respect de l’État de droit, mais la Hongrie du premier ministre Viktor Orban ne l’était pas. Côté africain, la République démocratique du Congo, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Niger faisaient partie des pays invités.

« Écouter, apprendre, s’engager »

Le sommet s’est déroulé autour de trois thèmes : la défense contre l’autoritarisme, la lutte contre la corruption et la promotion des droits de l’homme. Pour atténuer les risques d’antagonisme, le Département d’État américain avait néanmoins présenté l’opération avec une vision positive : « Écouter, apprendre, s’engager ».
La société civile et le monde de l’entreprise étaient d’ailleurs sollicités pour apporter leurs contributions. Il s’agissait d’encourager des initiatives fédératrices plutôt qu’antagonistes, à l’instar du conseil sur le commerce et la technologie qui réunit Européens et Américains pour réparer les affronts de la guerre commerciale menée par l’administration Trump contre Bruxelles.
Le président français Emmanuel Macron s’est exprimé à l’occasion de ce sommet. « Vous avez choisi de nous rassembler à l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme. Je tiens à cette célébration annuelle car elle témoigne de notre engagement inébranlable en faveur des droits et des libertés, qui est plus nécessaire que jamais. Vous nous avez rassemblés pour évoquer le seul modèle politique qui permette de défendre ces droits et libertés : la démocratie. Ce modèle a fait ses preuves ces derniers mois, ces dernières années, ces dernières décennies, ces derniers siècles. Ces derniers mois en particulier parce que nous traversions l’une des pires pandémies, une véritable tempête mondiale. Ce modèle nous a permis tout à la fois de protéger nos citoyens et de préserver les droits et libertés. »

Pékin : « Les États-Unis sont loin d’être un phare de la démocratie »

Avant même la tenue de ce sommet, la Chine avait vanté sa propre conception de la démocratie, lançant du même coup une campagne pour discréditer ce qu’elle appelle la « démocratie à l’américaine ». Pékin avait ainsi mis en avant le modèle de gouvernement à parti unique de la Chine, le qualifiant de « démocratie socialiste aux caractéristiques chinoises » et de « démocratie globale ».
Dimanche 5 décembre, le ministère chinois des Affaires étrangères avait publié un rapport sur l’état de la démocratie aux États-Unis. L’agence de presse publique Xinhua avait accompagné la publication d’une série de caricatures qui se moquaient du système américain. Le Global Times avait écrit que le rapport « met en lumière les déficiences et les abus de la démocratie aux États-Unis », ainsi que le « préjudice causé par l’exportation d’une telle démocratie ». « Les États-Unis sont loin d’être un « phare de la démocratie » et n’ont rien qui mérite d’être exhibé étant donné la société américaine chaotique », avait voulu souligner le quotidien anglophone à tendance nationaliste, émanation du Quotidien du Peuple, lui-même l’organe du Parti communiste chinois.
« Pourquoi la Chine pique-t-elle une crise sur le sommet de Biden sur la démocratie ? » interroge la revue américaine Foreign Policy. Pour Mareike Ohlberg, chercheur de l’Asia Program, c’est « parce qu’en 2018, Xi avait dit lors d’une réunion du PCC qu’il était convaincu que l’Est se lève et que l’Ouest était entré dans une période de déclin et que les États-Unis perdait ainsi de leur influence géopolitique, laissant ainsi le champ libre à la Chine pour s’introduire dans le vide laissé par l’Amérique. Et ce sommet vient apporter une contradiction à cette idée. »
Que restera-t-il de ce sommet ? Difficile de se prononcer. Mais il constituera néanmoins un jalon dans les efforts entrepris par le président américain pour rallier à la cause des États-Unis un certain nombre de pays qui hésitent à prendre parti dans l’antagonisme croissant entre Pékin et Washington.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).