Environnement
Analyse

Neutralité carbone, dilemme du charbon, méthane : quel bilan pour l'Asie à la COP26 ?

Le ministre indien de l'Environnement Bupender Yadav salue le président de la COP26 Alok Sharma, à Glasgow le 8 novembre 2021. (Source : Twitter / @AlokSharma_RDG)
Le ministre indien de l'Environnement Bupender Yadav salue le président de la COP26 Alok Sharma, à Glasgow le 8 novembre 2021. (Source : Twitter / @AlokSharma_RDG)
La COP26 a été foisonnante et riche d’initiatives nouvelles, même si son bilan global reste en deçà de ce qu’on pouvait espérer sur bon nombre de sujets. Pour l’Asie, elle marque un tournant majeur dans les intentions, qui doivent se traduire désormais dans les faits. Les contributions nationales à l’horizon 2030 restent très insuffisantes, mais les principaux pays asiatiques ont pris des engagements de neutralité carbone sur le long terme, et ils ont activement contribué à une série de déclarations conjointes, sur le charbon et le méthane en particulier. La COP26 a été aussi l’occasion pour la Chine et les États-Unis de souligner une volonté de coopération sur le changement climatique qui tranche avec les vives tensions bilatérales des deux dernières années.
Globalement, l’Asie commence à se mettre en ordre de bataille dans la lutte contre le changement climatique, même si certains pays restent à la traîne, comme l’Australie ou Singapour, et même si la question du charbon demeure l’obstacle essentiel. Le basculement le plus important concerne les objectifs de long terme.

L’Asie s’engage sur la neutralité carbone entre 2050 et 2070

Parmi les grands acquis de la COP26 figure la multiplication des engagements pour la neutralité carbone. C’est un changement fondamental dans les politiques menées jusqu’à présent. Car l’Asie en développement avait pris jusqu’à présent des engagements en données « relatives », généralement sous forme d’intensité carbone par unité de PIB, qui restaient compatibles avec une progression rapide de leurs émissions. La Chine par exemple avait pris dès 2009 l’engagement de réduire de 40 à 45% ses émissions par unité de PIB entre 2005 et 2020. Elle a tenu cet engagement, ce qui n’a pas empêché ses émissions de CO2 de progresser de 84% sur cette période, la croissance chinoise ayant plus que compensé ses efforts en matière d’efficacité carbone.
Parmi les pays développés d’Asie, certains comme Singapour avaient également adopté une politique d’amélioration relative. Elle s’est traduite par une progression de ses émissions en valeur absolue de 35% sur la période 2005-2020. Singapour est un pays riche mais qui conserve à l’ONU son statut de pays en développement quand ça l’arrange. D’autres comme le Japon ou l’Australie avaient pris des engagements limités qu’ils n’ont pas tenus. Le Japon est tout de même parvenu à réduire un peu ses émissions de GES, tandis que celles de l’Australie progressaient de 30% sur la période 2005-2018 (dernière année disponible pour l’ensemble des GES). La nouvelle norme est maintenant celle de la neutralité carbone à un horizon qui varie entre 2050 et 2070, avec pour quelques pays, dont surtout la Chine, une date limite pour un pic d’émissions.
La Chine avait lancé le mouvement vers la neutralité carbone dès septembre 2020 lors d’un discours de Xi Jinping devant l’Assemblée générale de l’ONU. La Corée et le Japon s’y étaient également engagées en octobre 2020. Les autres annonces sont très récentes. Elles ont été faites juste avant ou pendant la COP26. Narendra Modi a créé la surprise lors de son discours à Glasgow en annonçant un engagement de neutralité carbone pour l’Inde à l’horizon 2070, qui a pris de court toute la classe politique indienne, jusque-là fermement décidée à résister aux pressions internationales sur le sujet.
D’autres dirigeants asiatiques sont allés plus loin que Modi. Le Vietnam, naguère très peu mobilisé, s’est engagé sur l’horizon de 2050, qui est celui des pays développés, de même que la Malaisie et le Sri Lanka, alors que le Népal va jusqu’à évoquer l’horizon de 2045 (qui est celui de l’Allemagne). L’Indonésie s’est alignée sur l’horizon chinois (2060) et la Thaïlande a fait des déclarations contradictoires portant sur 2065, puis 2050.
L’Australie a fini par rejoindre le consensus des pays développés sur l’horizon 2050, tandis que Singapour s’aligne sur la Chine avec un pic en 2030 et une neutralité carbone en 2060. Parmi les quelques pays à l’écart de ce mouvement, citons les Philippines. Le pays de Rodrigo Duterte a attendu avril 2021 pour présenter une première contribution nationale (NDC ou « Nationally Determined Contribution » dans le jargon de l’ONU), dans laquelle 97% des efforts de limitation des émissions reposeraient sur l’assistance internationale. D’autres pays comme le Pakistan ou le Bangladesh n’ont pas encore pris d’engagement mais poursuivent un débat interne sur le sujet.
Au total, les engagements de long terme des pays asiatiques sur le climat ont été bouleversés par la COP26. Mais pas ceux concernant la décennie 2020-2030.

L’écart entre les engagements de moyen et long terme devient abyssal

Les experts des Nations Unies soulignent que les engagements nationaux n’ont été améliorés qu’à la marge à l’horizon 2030 par rapport à ceux pris lors de la COP21 à Paris. Selon leurs calculs, la trajectoire de hausse des températures pour 2100 continue à se situer autour de 2,7 degrés supplémentaires, soit presque deux fois la cible de 1,5 degrés fixée en 2015.
Cette analyse des experts de l’ONU concerne tout particulièrement l’Asie. L’un des indicateurs importants est la date du pic des émissions par pays. Les pays développés d’Asie ont connu des pics d’émissions très récents (entre 2012 et 2018, avec même un horizon 2030 pour Singapour), qui tranchent avec la situation de l’Union européenne, dont le recul des émissions a été lent, mais continu depuis 1990.
Parmi les pays en développement, seule la Chine s’est engagée sur un pic avant 2030, mais elle n’a pas fondamentalement changé son plan d’action sur la décennie 2020. L’annonce de Modi pour l’Inde reste vague (on ne sait pas si elle porte sur la totalité des gaz à effet de serre) et n’est assortie d’aucun plan d’action à ce stade. La situation du Vietnam illustre parfaitement les contradictions asiatiques : l’horizon 2030 du pays, décrit dans sa contribution nationale, n’a pas été modifié depuis 2015 et reste compatible avec une nouvelle hausse importante des émissions (plus de 50%) alors que la neutralité carbone est désormais visée à peine vingt ans plus tard. La déclaration de Glasgow demande aux pays membres du traité d’améliorer leurs plans d’action pour la COP27 qui se tiendra fin 2022 à Charm-el-Cheikh en Egypte. Il y a manifestement du pain sur la planche pour les pays asiatiques s’ils veulent commencer à rendre crédibles leurs nouveaux objectifs de long terme.

Le dilemme du charbon

La tension entre objectifs et réalités est particulièrement forte pour le charbon. Lors de la COP26, 46 pays ont signé conjointement une déclaration pour une « transition globale du charbon vers les énergies propres ». Cette déclaration prévoit notamment la fin du recours aux centrales à charbon dans les années 2030 pour les pays développés, et les années 2040 pour les autres pays, ainsi qu’un arrêt des permis pour la construction de nouvelles centrales à charbon.
Onze pays asiatiques ont signé cette déclaration, mais pas la Chine, l’Inde ou le Japon. Par ailleurs, l’Indonésie et les Philippines ne soutiennent que partiellement le texte, en refusant notamment de s’engager sur l’arrêt de la construction de nouvelles centrales. Le Vietnam surprend de nouveau : bien que le pays dépende encore à 50% du charbon dans sa consommation d’énergies primaires, il a signé sans réserve la déclaration conjointe. Singapour l’a signée aussi, avec d’autant plus d’enthousiasme que la cité-État n’a aucune centrale à charbon sur son territoire. L’Australie s’est distinguée par ses réticences sur tous les enjeux liés aux énergies fossiles, si bien qu’elle a reçu de la part des ONG le prix du « fossile colossal » et du « pire pays de la conférence » par le Climate Action Network.
Un autre épisode de la COP26 est venu illustrer les difficultés des grands pays asiatiques avec la sortie du charbon. Pour garder vivant l’objectif d’une hausse des températures limitée à 1,5 degrés, la présidence britannique de la COP26 a pris l’initiative de proposer un « pacte de Glasgow pour le climat » qui n’est pas formellement un document de la COP elle-même, mais qui ajoutait une touche de volontarisme politique à l’ensemble de la négociation. Les Britanniques proposaient d’inclure dans le pacte de Glasgow l’objectif « d’accélérer l’élimination progressive du charbon et des subventions aux énergies fossiles ». Mais à la dernière minute, le ministre indien de l’environnement, appuyé notamment par la Chine, obtient une formulation beaucoup moins contraignante : « accélérer les efforts en vue d’une diminution de la place du charbon et d’une élimination des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Jennifer Morgan, la directrice de Greenpeace International, résume l’analyse des participants à la COP26 de la façon suivante : « Ils ont changé quelques mots mais ils ne peuvent pas changer le signal. L’ère du charbon touche à sa fin. »

Mobilisation décevante sur le méthane

La COP26 a été également l’occasion d’une mobilisation pour réduire les émissions de méthane, le second gaz à effet de serre le plus nocif après le CO2, représentant environ 20% des émissions globales de GES. À l’initiative des États-Unis et de l’Union européenne, plus de cent pays ont signé « l’engagement mondial pour le méthane » qui ambitionne de réduire d’au moins 30% les émissions de méthane entre 2020 et 2030. L’Asie-Pacifique représente une part des émissions globales de méthane qui est nettement inférieure à sa part dans les émissions de CO2 (37% contre 50%). Pour autant, la mobilisation asiatique sur ce thème est restée décevante. Onze pays d’Asie-Pacifique seulement ont signé l’engagement pour le méthane. Parmi les grands absents, se trouvent la Chine, l’Inde et la Thaïlande.

Financement : le geste du Japon

La volonté collective d’accélérer les efforts de lutte contre le changement climatique s’est traduite à Glasgow par des débats très vifs sur les questions financières. Les pays en développement et les pays vulnérables ont souligné l’incapacité des pays développés à tenir leurs engagements d’aide financière, et notamment la barre des 100 milliards de dollars d’aide par an qui avait été fixé dès la conférence de Stockholm en 2009.
Comme le souligne auprès de Carbon Brief un des représentants du Forum des pays vulnérables au climat, « si vous prenez le Covid-19, des milliards et des milliards de dollars ont été dépensés en très peu de temps pour faire face à la crise. Pensez-vous que le Covid-19 soit plus important que le changement climatique ? »
Sur ce sujet, l’annonce nouvelle la plus significative est venue du Japon. Dans son discours devant la COP26, le nouveau premier ministre japonais Fumio Kishida a pris l’engagement d’ajouter 10 milliards de dollars à l’aide financière promise par son pays, ce qui porte à 70 milliards l’aide globale du Japon aux pays en développement pour les cinq prochaines années. Cette annonce permettrait, avec des financements complémentaires de la Banque Mondiale, d’atteindre dès 2022 la barre des 100 milliards de dollars d’aide aux pays en développement.

La surprise sino-américaine

La dernière surprise de la COP26 est la coopération entre la Chine et les États-Unis sur le climat. Les deux pays avaient déjà signé en avril 2021, à l’instigation du représentant américain pour le climat John Kerry, une déclaration commune sur la crise climatique, et organisé une rencontre bilatérale sur le sujet à Tianjin en septembre. Le représentant de la Chine pour le climat, Xie Zhenhua, a commenté la nouvelle déclaration en indiquant que les deux pays avaient plus de points d’accords que de divergences sur la question du climat et allaient mettre en place un groupe de travail bilatéral pour renforcer leur action commune durant la décennie en cours.
L’un des points concrets de cette déclaration conjointe est l’accent mis sur le méthane. Pékin n’a pas voulu signer l’engagement mondial concernant le méthane (sans doute parce que les experts chinois n’avaient pas la certitude de pouvoir le tenir) mais la Chine s’engage dans la déclaration avec les États-Unis sur la mise en place prochaine d’un plan d’action national sur le méthane qui aura un caractère « global et ambitieux » et une nouvelle réunion bilatérale sur le sujet est prévue dès le premier semestre 2022. Le changement climatique se confirme donc comme le principal domaine de coopération qui échappe au climat général de défiance et de rivalité dominant les relations entre les deux pays. Une exception indispensable et bienvenue.
Globalement, la COP26 est sans doute celle de la pleine prise de conscience des enjeux climatiques par les pays asiatiques. La nécessité d’une action de chaque pays en vue de la neutralité carbone n’est plus contestée, et le retrait progressif des énergies fossiles est désormais perçu comme une vraie contrainte. La décennie 2020 va être celle d’une modification des trajectoires, et les pays en développement d’Asie devront mettre au point des plans d’action pour atteindre un pic carbone et engager l’inversion des tendances. Rendez-vous à Charm el-Cheikh fin 2022 pour voir dans quelle mesure les intentions vont se traduire en actes.
Par Hubert Testard

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.