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La Chine et les États-Unis renouent le dialogue commercial

Le vice-permier ministre chinois Liu He et la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen. (Source : Tintuc)
Le vice-permier ministre chinois Liu He et la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen. (Source : Tintuc)
Ce mercredi 2 juin, la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen et le vice-Premier ministre chinois Liu He se sont entretenus par visioconférence. C’est la deuxième conférence virtuelle en une semaine de responsables économiques et commerciaux depuis l’arrivée à la Maison Blanche du président Joe Biden le 21 janvier dernier.
Cet événement représente à n’en pas douter un signe important de la volonté commune des États-Unis et de la Chine de renouer un dialogue économique et commercial, mais peut-être aussi politique. Pékin le demandait à cor et à cri depuis des mois, mais Washington était jusque-là demeuré sourd à ces appels du pied.
Liu He, un homme de confiance du président Xi Jinping qui avait déjà été le négociateur chinois chargé de discuter les termes d’un accord commercial avec les responsables de l’administration de Donald Trump, a également eu le 26 mai un échange « en toute franchise » avec la représentante américaine pour le commerce Katherine Tai.

Fin de l’acrimonie ?

Depuis le 20 janvier, l’administration américaine n’a eu de cesse de critiquer la Chine, l’accusant de violations des droits de l’homme à Hong Kong, au Xinjiang et au Tibet. Washington s’est efforcé de rallier à sa cause d’autres pays riches dans l’espoir de former un front uni contre Pékin.
L’acrimonie sino-américaine porte tout particulièrement sur les menaces d’invasion chinoise de Taïwan et la perspective d’un conflit armé entre les deux superpuissances. Les États-Unis se sont déclarés à plusieurs reprises déterminés à aider la « province rebelle » à se défendre, sans toutefois dire explicitement si l’armée américaine entrerait ou non en guerre ouverte contre la Chine. Les engagements de Washington envers Pékin sont « solides comme le roc », a insisté l’équipe de Joe Biden.
Que s’est-il passé en une semaine ? « La secrétaire Yellen a discuté des plans de l’administration Biden-Harris, de la forte reprise économique en cours et de l’importance de la coopération dans des domaines qui sont de l’intérêt des États-Unis, tout en continuant de prendre à bras le corps de façon franche les sujets qui fâchent », a expliqué le Département du Trésor dans un communiqué qui, pour le reste, est laconique.

Accord commercial de « phase 1 » proche du terme

Lors de leur rencontre virtuelle ce mercredi, Liu He et Janet Yellen ont échangé très largement sur la situation macroéconomique de même qu’à propos de la coopération bilatérale et multilatérale, a expliqué Xinhua. « Les deux parties sont arrivées à la conclusion que les relations économiques sino-américaines sont très importantes », a ajouté l’agence officielle chinoise. Liu et Yellen « ont étudié de façon franche des questions d’un intérêt commun et exprimé leur volonté de maintenir la communication ouverte. »
Aucun détail n’a été précisé sur les autres questions qui ont fait l’objet de discussions. Mais la formulation volontairement ambigüe employée par l’agence chinoise laisse à penser que les deux responsables chinois et américain ont également pu discuter de questions politiques.
La semaine dernière, Katherine Tai était restée plus franche en expliquant que les États-Unis étaient encore confrontés à « des défis considérables » dans le cadre de ses relations commerciales et économiques turbulentes avec la Chine.
L’administration Biden passe en revue actuellement sa politique commerciale avec la Chine à l’approche du terme, fin 2021, d’un accord commercial dit de « Phase 1 » conclu l’an dernier. Pékin et Washington avaient signé cet accord en janvier 2020. Il prévoit l’achat par la Chine de produits agricoles, manufacturés et énergétiques d’un montant de 200 milliards de dollars pendant la période entre 2020 et 2021 comparé à une base de référence établie en 2017. Cet objectif est dans les faits loin d’être respecté par Pékin.

Gouffre idéologique

La signature de cet accord avait néanmoins permis d’éviter à la dernière minute une guerre commerciale que Donald Trump menaçait de lancer contre la Chine, accusée pêle-mêle de pratiques déloyales et de protectionnisme. Il n’avait cependant pas débouché, loin s’en faut, sur la levée de toutes les taxes sur les importations américaines en provenance de la Chine qui étaient restées en place et qui portaient sur des milliards de dollars.
Depuis le 20 janvier, Pékin et Washington n’ont plus jamais parlé de politique. Tout juste les deux pays se sont-ils accordés de reprendre langue dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique. Une volonté qui s’est concrétisée avec la participation du président chinois Xi Jinping à une visioconférence sur le climat organisée par Joe Biden le 22 avril dernier.
L’étendue des antagonismes politiques et le gouffre idéologique séparant la Chine et les États-Unis étaient apparus en pleine lumière lors du sommet d’Anchorage en Alaska, les 18 et 19 avril derniers. Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken et le chef de la commission des affaires étrangères du Parti communiste chinois Yang Jiechi en étaient venus à presque échanger des insultes devant les caméras de la presse internationale médusée. Ce fiasco avait également réuni le conseiller américain pour la Sécurité nationale Jake Sullivan et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi.
Les entretiens de cette semaine signalent-ils un tournant majeur ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Mais une page est peut-être bien en train d’être tournée.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).