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La Chine autorise trois enfants par famille pour lutter contre la baisse de la natalité

Le bureau politique du Parti communiste chinois a autorisé les familles à avoir trois enfants, le 31 mai 2021. (Source : WSJ)
Le bureau politique du Parti communiste chinois a autorisé les familles à avoir trois enfants, le 31 mai 2021. (Source : WSJ)
Le Parti communiste chinois a annoncé lundi 31 mai que désormais les couples chinois seraient autorisés à donner naissance à trois enfants. Cette décision longuement attendue vise à faire face à une baisse inquiétante de la natalité. Le pays le plus peuplé du monde est confronté à une chute – peut-être irréversible – du nombres des naissances.
« La politique de la natalité sera encore améliorée. Cette politique qui permet à un couple d’avoir trois enfants sera introduite avec des mesures d’accompagnement, a précisé le Politburo du PCC dans un communiqué pour justifier le passage à trois enfants par famille. Cela va améliorer la structure de la population de la Chine. »
En octobre 2015, la Chine avait déjà remplacé la politique de l’enfant unique par une politique de deux enfants par couple, mais de nombreux chercheurs spécialisés dans les études démographiques avaient prédit que ce changement n’aurait des conséquences que très marginales sans d’autres mesures plus ambitieuses. Parmi elles, retarder l’âge de départ à la retraite et inciter les jeunes Chinois à se marier. Des améliorations avaient également été décidées pour les soins aux enfants, les congés de maternité et les assurances pour accompagner l’accouchement. Le communiqué a reconnu qu’il faudrait prendre encore d’autres mesures radicales pour faire face au vieillissement rapide de la population chinoise.

Taux de fécondité proche du seuil de stabilité démographique

Le dernier recensement réalisé en 2020 et diffusé le mois dernier fait apparaître la plus basse croissance de la population depuis des décennies. La population chinoise a néanmoins progressé pour atteindre 1,412 milliards d’âmes contre 1,4 milliard un an auparavant.
Selon le Bureau Nationale des Statistiques (BNS), les femmes chinoises ont donné naissance à 12 millions d’enfants en 2020. Des chiffres en baisse comparé aux 14,65 millions de naissances enregistrées en 2019, soit un déclin de 18 % en glissement annuel pour atteindre un plus bas record en six décennies. Le taux de fécondité par femme est tombé à 1,3 alors qu’un taux de 1,2 est nécessaire pour maintenir une population stable. Le désir d’enfants des femmes chinoises est, lui, tombé à 1,8, selon le BNS.
Les autorités chinoises avaient plusieurs fois reporté les résultats très attendus de ce recensement national, comme c’est de coutume en Chie tous les dix ans. Confrontés à ce retard, les experts, alarmés, avaient anticipé l’hypothèse d’une crise démographique profonde, aux lourdes implications sociales, économiques et géopolitiques pour la Chine renaissante du président Xi Jinping, déjà vieille avant d’être riche.

Image contradictoire

La population chinoise a continué de progresser en 2020, affirmait le South China Morning Post le 29 avril. Le quotidien hongkongais citait le BNS, qui avait nié un premier recul depuis 60 ans. Ce démenti, donc infirmé par les résultats annoncés plus tard, était une réplique à un article explosif du Financial Times du 27 avril. Selon le quotidien britannique, la population chinoise a déjà commencé à se réduire comme peau de chagrin, une première depuis la grande famine causée par le Grand Bond en avant de l’ère maoïste, qui avait coûté la vie à 40 millions de Chinois.
Le déclin démographique est bien réel puisque « la sévérité de la crise démographique en Chine dépasse l’imagination, et les perspectives économiques sont bien plus sombres que l’ont prédit les économistes », jugeait au printemps dernier Yi Fuxian, chercheur à l’université du Wisconsin à Madison. Pour le démographe, la population est en recul depuis 2018 : elle est déjà sous la barre de 1,28 milliard d’habitants, bien loin du 1,4 milliard mis en avant par le pouvoir et relayé par les organisations internationales. Ce que le BNS a donc contesté.
Avec ce recul démographique, « l’usine du monde » s’expose à de lourds défis qui menacent le « rêve chinois » de renaissance du président Xi, soulignait en avril Le Figaro. Les pays développés ont généralement atteint le stade du grand âge lorsqu’ils avaient des revenus élevés tournant autour de 30 000 dollars par habitant. En Chine, il n’est que de 10 000 dollars, soit quatre fois moins qu’en France, pour faire face à une hausse à venir des maladies du grand âge, dans un système où l’État-providence reste rudimentaire. »
Le repli démographique est avant tout lourd d’enjeux géopolitiques à l’heure où Pékin affirme ses ambitions mondiales sous la houlette de Xi Jingping, champion d’un nationalisme décomplexé. Ces statistiques de déclin sont en contradiction avec l’image d’une Chine en pleine ascension projetée par le pouvoir, et qui use de la taille de son marché pour séduire les investisseurs, et parfois intimider les chancelleries.

Le vrai défi : la structure plus que la taille de la population chinoise

Tout le monde n’est cependant pas d’accord sur la signification de ce déclin démographique. À l’instar de Gideon Rachman, qui réagissait le 3 mai dans le Financial Times à la polémique sur l’état de la démographie chinoise. Pour le journaliste britannique, ce qui était vrai pour les grandes puissances jusqu’au XXème siècle ne l’est plus au XXIème siècle. La guerre devient de plus en plus technologique, fondée sur des drones sans pilote, et ne nécessite plus autant de troupes conventionnelles qu’auparavant, ce qui donnait un avantage stratégique aux pays ayant connu un boom démographique.
La Chine est en train – si ce n’est déjà fait – de céder sa couronne de nation la plus peuplée au monde au profit de l’Inde. D’ici la fin du siècle, le pays de Narendra Modi devrait effet compter, selon les projections de l’ONU, près d’1,5 milliards d’habitants. « Mais l’économie indienne représente seulement 20 % de l’économie chinoise, argumente Gideon Rachman. Donc le fossé de richesse et de puissance ne sera pas comblé rapidement. »
Finalement, la Chine connaît la même trajectoire démographique que les puissances d’Asie du Nord-Est : le Japon a atteint son pic démographique en 2010 avec 128,5 millions d’âmes. Depuis, sa population est en baisse continue et pourrait atteindre les 75 millions d’ici la fin du siècle, toujours selon des experts onusiens. Les tendances sont similaires en Corée du Sud.
Par ailleurs, poursuit Gideon Rachman, « c’est la structure plus que la taille de la population chinoise qui sera le vrai défi ». D’ici 2040, autour de 30 % du pays aura plus de 60 ans. Davantage de personnes âgées devront être soutenues par une population active plus petite, ce qui ralentira la croissance économique, reconnaît le journaliste. « La Chine n’atteindra sans doute jamais les niveaux de revenus par habitant aux États-Unis. Mais même si la richesse du Chinois moyen représente la moitié de celle de l’Américain moyen, l’économie de la Chine dépassera quand même en taille celle de l’Amérique », souligne-t-il.

Pas de boom des naissances

Il n’empêche, le vieillissement accéléré de la Chine angoisse notoirement la banque centrale à Pékin, remarque le South China Morning Post. Comment le système des retraites pourra-t-il supporter ce déclin ? Se faisant l’écho de l’institution financière chinoise, le très officiel Global Times tire lui aussi la sonnette d’alarme : il est urgent de supprimer la politique de limitation des naissances et d’encourager pleinement les Chinois à faire des enfants ! La fin de la politique de l’enfant unique en 2015 n’a en effet pas permis de provoquer un boom des naissances.
Le cœur de la crise est la volonté des jeunes Chinoises de ne pas avoir d’enfant. « Avec ses fausses données démographiques, la Chine a trompé les pays étrangers et les investisseurs, faisant passer un vieux chat malade pour un lion plein de vigueur, insiste Yi Fuxian. La plupart des jeunes, filles ou garçons, ne veulent qu’un seul enfant, ou pas du tout », relève le démographe. Une révolution illustrée par l’augmentation de l’âge du mariage en une décennie, passé de 23 à 28 ans entre 2010 et 2020, et marqué par un télescopage entre les rites traditionnels et l’envolée des coûts de la vie. « En Chine, acheter un appartement et une voiture est une condition préalable au mariage. Mais les prix immobiliers et la pression sociale découragent les jeunes », analyse encore Yi Fuxian. Or dans une société encore traditionnelle comme la Chine, le concubinage est mal vu.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).