Politique
Analyse

Birmanie : Chevron se désolidarise de Total face aux accusations de financement de la junte

Le gisement gazier de Yadana, en mer d’Andaman, au large de la Birmanie, est opéré par les compagnies Total et Chevron. Si le site ne représente qu’une infime partie des revenus du groupe français, il a généré 76 millions d’euros de bénéfice avant impôt en 2019. (Source : Bangkok Post)
Le gisement gazier de Yadana, en mer d’Andaman, au large de la Birmanie, est opéré par les compagnies Total et Chevron. Si le site ne représente qu’une infime partie des revenus du groupe français, il a généré 76 millions d’euros de bénéfice avant impôt en 2019. (Source : Bangkok Post)
La présence de Total en Birmanie est menacée. Son partenaire, la compagnie pétrolière américaine Chevron, a fait savoir au Gouvernement d’Union Nationale (GUN), qui regroupe des élus et des personnalités unies contre le putsch du 1er février, qu’elle ne s’opposait pas à des sanctions américaines visant la MOGE (Myanmar Oil and Gas Entreprise), principale perfusion financière des généraux birmans.
Selon une source proche du GUN en contact avec Asialyst, Chevron a pris langue, à la mi-mai, par l’intermédiaire d’une association d’entreprises américaines en Asie du Sud-est, avec des représentants du gouvernement d’union nationale et leur a fait passer le message suivant : « La compagnie Chevron et d’autres entreprises américaines du secteur extractif ont fait savoir au plus haut niveau de l’administration Biden, qu’elles ne s’opposaient pas à ce que des sanctions soient décidées par le gouvernement des États-Unis contre la MOGE. »
Depuis le putsch du 1er février, des porte-paroles de Chevron faisaient savoir que la compagnie, en rachetant le partenaire américain d’origine Unocal, n’était pas vraiment informée de « tous les détails » et ne s’en montrerait pas « indéfiniment solidaire ».

Total dans la tourmente birmane

Le 15 mai, l’ambassadeur de France en Birmanie Christian Lechervy, a posté sur sa page Facebook le lien d’une conférence zoom tenue le 2 mai, dans laquelle son intervention corrobore la forte probabilité de prochaines sanctions contre les revenus gaziers des généraux putschistes. Selon l’ambassadeur français, « un troisième volet de sanctions, visant explicitement les revenus des exportations de gaz, est sur la table ».
Le groupe Total, opérateur du champ gazier offshore de Yadana, préside aussi, via une filiale basée aux Bermudes, le Moatama Gas Transport Company, le gestionnaire du gazoduc, de ses stations de compression et de ses compteurs. Il est par construction, co-architecte des complexes – et peu orthodoxes – circuits financiers connectés à la MOGE. la compagnie française Total (avec 31 %) est chef de file depuis les années 1990 du complexe montage financier, dont la base principale, aux Bermudes, est partenaire de Chevron (28 %), de la société thaïlandaise PTT EP (26 %), et des généraux birmans – contrôlant la Moge (15 %) depuis sa création dans les années 1990.
Une prochaine défection de Chevron du consortium exploitant le gisement Yadana aura des répercussions considérables pour les trois autres membres de la « bande des Quatre » à l’intérieur du consortium. Une secousse susceptible de mettre à bas le complexe échafaudage gazo-financier birmano-bermudien.

L’assemblée générale de Total le 28 mai s’annonce tumultueuse

Dans une dépêche du 24 mai, l’agence Reuters fait état de la volonté du plus grand fond souverain de la planète, le Norges Bank Investment Management (NBIM), doté de 1 300 milliards de dollars de s’opposer à la reconduction de Patrick Pouyanné, l’actuel PDG de Total, à la tête du groupe. NBIM détient 2,4 % du capital de la compagnie pétrolière française. Selon Reuters, d’autres actionnaires, dont Publicis, Carrefour, Thalés et d’autres seraient sur la même longueur d’onde.
Par Francis Christophe

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.