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Joe Biden plus dur encore à l’égard de la Chine que Donald Trump ?

Joe Biden lors de son discours d'investiture comme 46ème président des États-Unis, devant le Capitole à Washington le 20 janvier 2021. (Source : CNN)
Joe Biden lors de son discours d'investiture comme 46ème président des États-Unis, devant le Capitole à Washington le 20 janvier 2021. (Source : CNN)
Donald Trump parti de la Maison Blanche après une transition chaotique, Joe Biden a été investi 46ème président des États-Unis ce mercredi 20 janvier. Si la Chine espérait un apaisement dans ses relations exécrables avec les États-Unis à la faveur de l’arrivée au pouvoir du démocrate, le réveil n’en sera probablement que plus rude. Plusieurs membres de la nouvelle administration ont d’ores et déjà clairement indiqué que Washington adopterait une posture « agressive » envers Pékin. De son côté, en guise d’avertissement, la Chine a sanctionné 28 dignitaires de l’administration Trump, une heure après la prestation de serment de Joe Biden.
Il en va ainsi du probable nouveau secrétaire d’État Anthony Blinken. Lors d’une audition ce mardi 19 janvier devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat en vue de sa confirmation à la tête de la diplomatie américaine, il a repris à son compte la déclaration de son prédécesseur Mike Pompeo. Le même jour, le ministre de Donlad Trump a accusé la Chine de mener un « génocide » contre la minorité ouïghoure dans la région dite « autonome » du Xinjiang. « Ce serait là aussi mon jugement », a affirmé Blinken.
Faire face à la Chine est « parfaitement dans nos capacités », a soutenu l’ancien numéro deux de la diplomatie américaine de Barack Obama. Comment ? En se plaçant « en position de force », en adoptant « une position unie avec nos alliés démocratiques » et grâce une participation des États-Unis dans les institutions internationales. Dans un rare coup de chapeau à Donald Trump, Anthony Blinken a ajouté : « Je suis d’avis que le président Trump avait raison en adoptant une approche plus ferme à l’égard de la Chine », cela « même si je ne suis pas d’accord avec nombre de ses méthodes » sur ce dossier.
Le prochain chef de la diplomatie américaine, âgé de 58 ans, a souligné qu’il travaillerait pour « revitaliser » le lien transatlantique afin de constituer un front uni face à la Chine, la Russie et l’Iran. Il a toutefois préféré rester prudent au sujet des liens avec Taïwan, se contentant de saluer une démocratie vivante et de rappeler les accords qui sont en usage avec « l’île rebelle ». À savoir le Taiwan Relations Act qui, depuis 1979, impose aux États-Unis de lui livrer les armes nécessaires pour assurer sa défense.

« Position agressive »

Lors de son grand oral devant le Sénat ce mardi, la nouvelle secrétaire au Trésor, Janet Yellen, na pas été plus tendre envers Pékin. Les États-Unis, a-t-elle promis, vont déployer un large arsenal d’outils pour contrer les pratiques « abusives », « injustes » et « illégales » de Pékin. Pour l’ancienne présidente de la Fed, la Banque centrale américaine, la Chine « vole la propriété intellectuelle et s’engage dans des pratiques qui lui donnent un avantage technologique injuste. Nous nous préparons à utiliser une gamme complète d’outils pour y répondre. » Il y aura cependant un changement de stratégie, a confirmé Janet Yellen, puisque Washington n’entend plus faire cavalier seul dans cette offensive.
Quant à la nouvelle directrice du renseignement américain (Director of National Intelligence, DNI), Avril Haines a, elle aussi, soutenu que les États-Unis devraient adopter « une position agressive » face à la Chine. L’ancienne directrice adjointe de la CIA a souligné mardi devant la Commission du Sénat chargée du renseignement qu’il était impératif pour Washington de réparer la confiance au sein de la communauté américaine du renseignement afin d’être en mesure de se concentrer sur le dossier chinois. « Notre approche face à la Chine doit évoluer et se mesurer avec la réalité d’une Chine qui prend de l’assurance et fait preuve d’agressivité. »
« Le DNI ne doit jamais s’effacer ni cesser d’employer le langage de la vérité, même et surtout lorsque cela est difficile, a encore insisté Avril Haines. Le DNI doit insister sur le fait qu’en matière de renseignement, il n’y a pas de place pour la politique, jamais. »
Joe Biden, lui, compte bien faire de la Chine l’une de ses priorités. Le 10 novembre, il n’avait pas mâché ses mots sur le président Xi Jinping : « C’est un type qui n’a pas le moindre ossement de démocratie dans son squelette. C’est un voyou. »
Le nouveau locataire de la Maison Blanche devrait selon toutes probabilités davantage respecter la Chine sur la forme mais il pourrait bien s’avérer plus ferme sur le fond. Joe Biden s’annonce coriace pour Pékin, que ce soit sur les droits de l’homme ou sur les différends commerciaux et technologiques.

Pékin sanctionne l’administration Trump

La Chine a imposé ce mercredi des sanctions pour violation de sa « souveraineté » à près de 30 responsables du gouvernement de Donald Trump, dont son secrétaire d’État Mike Pompeo, qui ne pourront notamment plus entrer sur son territoire, au moment même de l’investiture de Joe Biden. « Ces dernières années, des hommes politiques antichinois aux États-Unis ont, par intérêt politique égoïste et par leurs préjugés et leur haine contre la Chine, sans aucune considération pour les intérêts des peuples chinois et américain, planifié, promu et pris de folles mesures », a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. Ces actions ont constitué de « graves ingérences dans les affaires intérieures chinoises, sapé les intérêts de la Chine, offensé le peuple chinois et gravement perturbé les relations sino-américaines », a-t-il poursuivi.
Outre Mike Pompeo, sont, entre autres, cités par la diplomatie chinoise Peter Navarro, conseiller au commerce de Donald Trump, Robert O’Brien, qui fut un de ses conseillers à la sécurité nationale, Alex Azar, le secrétaire à la Santé sortant, ainsi que John Bolton et Stephen Bannon, qui ont eux aussi conseillé le milliardaire républicain. Toutes ces personnalités et les membres de leurs familles se verront interdire l’accès au territoire chinois, y compris à Hong Kong et à Macao, a souligné le ministère chinois des Affaires étrangères.
La nouvelle équipe au pouvoir à Washington n’a pas tardé à réagir à l’annonce de Pékin. « Imposer ces sanctions au jour de l’investiture semble une tentative de jouer sur les divisions partisanes, a déclaré dans un communiqué à Reuters Emily Horne, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison blanche. Les Américains des deux partis doivent critiquer cette mesure contre-productive et cynique. Le président Biden est impatient de travailler avec les chefs de file des deux partis pour placer l’Amérique en position de supplanter la Chine. »
Premier geste symbolique du nouveau président, la représentante de Taïwan aux États-Unis Hsiao Bi-khim avait été officiellement invitée à la cérémonie d’investiture de Joe Biden. Ce que Taipei a présenté ce jeudi comme une première depuis que Washington a choisi en 1979 de reconnaître Pékin.

Éviter le découplage économique

Sous Donald Trump, la relation sino-américaine est tombée au plus bas depuis 1979, lorsque Washington et Pékin établirent des relations diplomatiques. À tel point que la Chine a mis en garde les États-Unis contre une « nouvelle guerre froide » entre les deux premières puissances économiques mondiales.
Comme pour illustrer les craintes et les interrogations de Pékin à l’égard du nouveau président américain, Xi Jinping a attendu plus de trois semaines avant de formuler, le 25 novembre, des félicitations à Joe Biden et à la vice-présidente Kamala Harris pour leur élection. Le président chinois avait pourtant félicité Donald Trump dès le lendemain de sa victoire sur Hillary Clinton.
En attendant, les voix se multiplient en Chine pour, envers et contre tout, appeler Joe Biden à restaurer une relation de confiance entre Washington et Pékin. « Les politiques [de Joe Biden] se fonderont sur le retour au multilatéralisme, sur le retour dans les institutions internationales », a souligné mardi Chen Wenling, cheffe économiste au China Centre for International Economic Exchange, un think tank contrôlé par le gouvernement chinois. Il y aura une amélioration partielle des relations sino-américaines et la coopération sera possible dans des domaines tels que l’énergie, l’environnement, la gouvernance globale et la coordination sur les politiques internationales ». Chen Wenling espère ainsi qu’une telle tendance permettra aux deux économies d’éviter un découplage total. Rêve ou réalité ?
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).