Histoire
Note de lecture

Livre : la Révolution culturelle en Chine à cœur ouvert

Durant la Révolution culturelle, les gardes rouges furent encouragés à débarrasser le pays des "Quatre vieilleries" : les "vieilles idées", la "vieille culture", les "vieilles coutumes" et les "vieilles habitudes". Écoles et bureaux du gouvernement furent fermés et leurs employés forcés de subir des "séances de lutte" où ils étaient brutalisés en public, affublés d'immenses bonnets d'âne et exhibés à travers les villes et les villages avec autour du coup des pancartes les accusant de comportement contre-révolutionnaire. (Source : Pinterest)
Durant la Révolution culturelle, les gardes rouges furent encouragés à débarrasser le pays des "Quatre vieilleries" : les "vieilles idées", la "vieille culture", les "vieilles coutumes" et les "vieilles habitudes". Écoles et bureaux du gouvernement furent fermés et leurs employés forcés de subir des "séances de lutte" où ils étaient brutalisés en public, affublés d'immenses bonnets d'âne et exhibés à travers les villes et les villages avec autour du coup des pancartes les accusant de comportement contre-révolutionnaire. (Source : Pinterest)
Le Parti communiste chinois n’a jamais établi de bilan officiel de la sinistre Révolution culturelle et de ses indicibles tourments qui, pendant dix ans (1966-1976), ont touché des centaines de millions de Chinois. Une tragédie qui reste néanmoins gravée dans les mémoires et que relate par le menu le journaliste Yang Jisheng dans un livre intitulé Renverser ciel et terre, la tragédie de la Révolution culturelle, publié aux Éditions du Seuil en septembre 2020.
L’édition originale en chinois de ce livre est interdite en Chine continentale. Les autorités préfèrent en rester au jugement très partiel et sommaire de ce désastre épouvantable. Officiellement, le lancement de la Révolution culturelle est attribué à « un groupe de contre-révolutionnaires », exonérant ainsi son mentor, Mao Zedong.

Hystérie collective organisée par Mao

En 1981, le Parti communiste chinois avait déclaré que la Révolution culturelle était « responsable du revers le plus grave et des pertes les plus lourdes subies par le Parti, le pays et le peuple depuis la fondation de la République populaire de Chine ». Il en est resté là depuis, préférant cacher sous le tapis cet épisode terrible de l’histoire de la Chine communiste contemporaine. Après sa mort en 1976, le PCC avait décrété que Mao avait eu « raison à 70 % et tort à 30 % ».
Ce livre vient donc opportunément rétablir la vérité sur ces heures sombres qui ont coûté la vie à des millions de Chinois et lors de laquelle des dizaines de millions d’autres ont été persécutés par les gardes rouges, de jeunes fanatiques dont s’est servi Mao Zedong pour organiser une hystérie collective dans l’espoir de reprendre un pouvoir qui lui échappait. Mais ce qu’il avait déclenché devait rapidement échapper à son contrôle.
« L’histoire officielle de la Révolution culturelle préserve la pensée Mao Zedong et le PCC, et par là même légitime totalement la bureaucratie, sa mainmise sur le pouvoir politique et ses intérêts, écrit Yang Jisheng dans son avant-propos. L’histoire officielle de la Révolution culturelle fait une grande place aux persécutions de cadres. En réalité, le nombre de gens ordinaires persécutés est cent fois supérieur. »
De même que l’écrivain britannique George Orwell a expliqué qu’il écrivait son œuvre « parce qu’il y a un mensonge que je veux dénoncer », Yang Jisheng a consacré plusieurs années de sa vie à rédiger cette somme de savoir pour « dévoiler les mensonges, rétablir la vérité », affirme-t-il.

Pan d’histoire gravée dans la chair de presque tous les Chinois

« À partir de 1966, dix ans durant, quasiment tous les Chinois ont été, à des titres et degrés divers, entraînés dans la Grande Révolution culturelle ; tous ont un pan de cette histoire gravé dans leur chair et dans leurs os. Leur vie, leur destin et leur âme en ont été fortement marqués. Son impact politique, économique et social sur la Chine a été encore plus profond », insiste l’auteur dans ce livre dont l’édition française, pourtant raccourcie, fait déjà plus de 900 pages !
Recruté en janvier 1968 par l’agence officielle Chine nouvelle (Xinhua), le journaliste Yang Jisheng est également l’auteur d’un autre livre-fleuve, une enquête minutieuse traduite en français et publiée en 2012 aux Éditions du Seuil, Stèles, La Grande Famine en Chine, 1958-1961, dans lequel il décrit avec minutie cette autre aventure funeste du maoïsme qui fit plusieurs dizaines de millions de morts. « 36 millions de morts de faim, qu’est-ce que cela représente ? Cela équivaut à 450 fois le nombre de morts le 9 août 1945 sous la bombe atomique de Nagasaki », y écrit-il.
« La Grande Famine a été de loin beaucoup plus meurtrière que la Seconde Guerre mondiale, poursuit Yang Jisheng. Quelques dizaines de millions d’hommes ont disparu, comme cela, sans un bruit, sans un soupir, dans l’indifférence ou l’hébétude. » Le père de l’auteur est lui-même mort de faim pendant cette période qui est, elle aussi, restée largement passée sous silence par le Parti. « C’est une tragédie sans précédent dans l’histoire de l’humanité que, dans des conditions climatiques normales, en l’absence de guerre et d’épidémie, des dizaines de millions d’hommes soient morts de faim et qu’il y ait eu du cannibalisme à grande échelle. »
Yang Jisheng relève dans ce premier ouvrage que « le Parti contrôle de façon très serrée toute la politique, l’économie, la culture, la pensée, la vie même de la société. La force coercitive de la dictature s’étend jusqu’au moindre village reculé, jusque sur chaque membre de chaque foyer, jusque dans la tête et les tripes de chacun. »
Ces deux livres sont traduits avec grand talent par Louis Vincenolles, un nom de plume qui cache l’identité d’un grand expert de la Chine. Ce dernier a passé plusieurs années de sa vie à ces éditions françaises bienvenues qui contribuent à lever le voile sur un lourd héritage que le PCC préfèrerait oublier.
Par Pierre-Antoine Donnet

Contexte

Yang Jisheng, Renverser ciel et terre, la tragédie de la Révolution culturelle, Chine, 1966-1976, Seuil, 2020, 913 pages, 33 euros.

Couverture du livre "Renverser ciel et terre, la tragédie de la Révolution culturelle, Chine, 1966-1976" par Yang Jisheng (Seuil, 2020). (Source : Cultura)
Couverture du livre "Renverser ciel et terre, la tragédie de la Révolution culturelle, Chine, 1966-1976" par Yang Jisheng (Seuil, 2020). (Source : Cultura)

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).