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Les États-Unis font un pas de plus vers Taïwan

Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo. (Source : Asia Nikkei)
Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo. (Source : Asia Nikkei)
Ce samedi 9 janvier, le secrétaire d’État Mike Pompeo a annoncé la suppression des restrictions sur les contacts entre membres de l’administration américaine et les responsables de « l’île rebelle » que Pékin entend rattacher au continent par tous les moyens, y compris par la force si nécessaire.
« Le gouvernement des États-Unis avait pris ces mesures [de restrictions des contacts] unilatéralement, dans ce qui était une tentative pour apaiser le régime communiste à Pékin, a expliqué le chef de la diplomatie américaine dans une déclaration. Aujourd’hui, j’annonce que je retire toutes ces restrictions que nous nous étions imposées à nous-mêmes. » Désormais, ces restrictions sont « nulles et non avenues », Taïwan étant « une démocratie vivante et un partenaire digne de confiance des États-Unis ».

Visites sans précédents

Le 1er janvier 1979, lorsque les Américains avaient établi des relations diplomatiques avec la Chine continentale, Washington avait en même temps coupé les ponts avec Taïwan, tout en s’engageant, dans une loi adoptée par le Congrès, le Taiwan Relations Act, à continuer à lui livrer des armes pour lui permettre d’assurer sa défense. Depuis cette date, l’administration américaine respectait l’interdiction de tout contact officiel avec l’ancienne Formose. Washington avait néanmoins ouvert un bureau de représentation non officiel à Taipei, comme l’ont fait la plupart des pays occidentaux, où travaillent plusieurs centaines de fonctionnaires américains sans statut diplomatique.
Mais parallèlement à la profonde détérioration de ses relations avec Pékin depuis 2018, Washington s’est progressivement rapproché de Taipei avec de multiples ventes d’armes sophistiquées et, plus récemment, plusieurs visites de membres du gouvernement dans l’île, pour le plus grand plaisir des dirigeants taïwanais.
La dernière en date sera cette semaine la visite à Taïwan de l’ambassadrice américaine aux Nations Unies. Kelly Craft rencontrera à partir de mercredi des dirigeants taïwanais de haut rang. Une visite que Pékin a immédiatement condamnée sitôt l’annonce connue, la Chine accusant les États-Unis de « jouer avec le feu ». Des chasseurs de l’armée de l’air chinoise s’étaient approchés tout près des côtes de Taïwan en août et septembre derniers lorsque le secrétaire américain à la Santé Alex Azar et le sous-secrétaire d’État à la Croissance économique et l’Énergie Keith Krach s’étaient successivement rendus à Taïwan, deux visites sans précédent depuis 1979.
« Le gouvernement des États-Unis entretient des relations avec ses partenaires non officiels à travers le monde et Taïwan ne fait pas exception. La déclaration d’aujourd’hui reconnaît que la relation entre les États-Unis et Taïwan n’a pas besoin et ne devrait pas être enchaînée par des restrictions que nous nous sommes nous-mêmes imposées », a encore déclaré Mike Pompeo.

Politique américaine « d’une seule Chine » remise en cause ?

Cette annonce intervient à quelques jours de l’investiture, le 20 janvier, du président élu Joe Biden et ressemble à s’y méprendre à un dernier coup de pied de l’âne destiné à gêner la nouvelle administration américaine. Mais même s’il sera relativement facile au successeur de Mike Pompeo, Anthony Blinken, de les annuler, sans attendre, un conseiller de Joe Biden a réagi, déclarant qu’une fois que ce dernier prendra les rênes à la Maison Blanche, il continuerait à soutenir « une résolution pacifique des problèmes entre les deux rives du détroit [de Taïwan] en accord avec les aspirations et les intérêts du peuple de Taïwan ».
En attendant de connaître la politique qui suivra Joe Biden à l’égard de l’épineux problème de Taïwan, le gouvernement de l’île s’est félicité de l’annonce américaine. « Des décennies de discriminations ont été effacées. Un jour extraordinaire pour nos relations bilatérales. Je chérirai toutes les opportunités à venir », s’est exclamé le représentant non officiel de Taïwan à Washington, Hsiao Bi-khim, dans un tweet.

Le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu a, quant à lui, exprimé sa « gratitude » à Mike Pompeo. « La coopération plus étroite entre Taïwan et les États-Unis est fermement basée sur nos valeurs communes, nos intérêts communs et notre foi inébranlable dans la liberté et la démocratie », a-t-il tweeté.
En novembre déjà, le secrétaire d’État avait paru remettre en question la politique américaine « d’une seule Chine » en déclarant, dans une interview radiodiffusée, que Taïwan « n’a jamais fait partie de la Chine », suscitant aussitôt la colère de Pékin. Le ministère chinois des Affaires étrangères avait mis en garde Washington : toute conduite qui « sabote les intérêts fondamentaux de la Chine et s’ingère dans ses affaires intérieures trouvera une contre-attaque résolue ».
Ce lundi 11 janvier, la Chine a fermement condamné l’initiative américaine, affirmant que personne ne pourra empêcher la « réunification ». « Le peuple chinois est totalement résolu à défendre notre souveraineté et notre intégrité territoriale et nous ne permettrons à personne d’interrompre le processus de la réunification de la Chine », a avertit Zhao Lijian, l’un des porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Le quotidien officiel de langue anglaise Global Times a quant à lui estimé que la Chine devait envoyer « une sévère mise en garde » à Taïwan. « Ceux dans l’île de Taïwan ne doivent pas prendre pour acquis le fait qu’ils pourraient rechercher la sécession avec l’aide d’une tentative folle et désespérée d’une administration abandonnée par les Américains », a ajouté ce journal proche des milieux nationalistes à Pékin.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).