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Du coronavirus au climat : comment Trump et Xi se sont étrillés à l'ONU

Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Donald Trump dans leur discours enregistrés et diffusés lors de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU), le 22 septembre 2020. (Source : Asia Nikkei)
Le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Donald Trump dans leur discours enregistrés et diffusés lors de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU), le 22 septembre 2020. (Source : Asia Nikkei)
Illustration de l’état exécrable de leurs relations tombées au plus bas depuis 1979, les États-Unis et la Chine se sont étrillés à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, au début de cette semaine. Pékin en a profité pour tenter de donner l’image d’un pays responsable sur la scène internationale à propos du climat.
La tribune annuelle des Nations unies n’a pas failli à ce qui est désormais la règle : les deux premières puissances économiques du monde ont saisi cette occasion pour échanger des noms d’oiseau et des accusations. Dans un message préenregistré, Donald Trump a donné le ton : « Nous avons mené une bataille féroce contre l’ennemi invisible : le virus chinois. Nous devons tenir pour responsable le pays qui a déchaîné cette peste sur le monde. » Sur la question cruciale de l’environnement, sujet à propos duquel il est régulièrement accusé d’inaction, le président américain a décoché des flèches acérées en direction de Pékin. La Chine, a-t-il accusé, déverse « des millions et des millions de tonnes » de déchets dans les océans, se livre à la surpêche et pollue l’atmosphère de la planète.
Le président chinois Xi Jinping n’a pas été beaucoup plus tendre dans son allocution, prenant pour cible l’Amérique sans la nommer explicitement. Il a appelé la communauté internationale à éviter la « stigmatisation ». « Nous devons suivre les enseignements de la science et donner tout son rôle à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin d’apporter une réponse internationale commune à la pandémie, a déclaré le président chinois. Toute tentative visant à politiser la question ou la stigmatisation doit être rejetée. »
Les attaques les plus virulentes contre les États-Unis sont venues de l’ambassadeur chinois aux Nations Unies, Zhang Jun, pour qui Donald Trump a « abusé » de la tribune de l’ONU pour lancer « des accusations sans fondement ». « Le tapage que font les États-Unis est incompatible avec l’atmosphère générale de l’Assemblée des Nations Unies, a-t-il accusé. Alors que la communauté internationale a besoin d’une Amérique forte, celle-ci fragilise l’ONU, l’OMS et les organisations de l’ONU, sabotant ainsi l’efficacité de l’ONU. » Tandis que la Chine observe « une attitude ouverte, transparente et responsable » face à la pandémie de Covid-19, la gestion de la crise par les États-Unis, où le bilan de la pandémie dépasse désormais les 200 000 morts, est « un échec total ».

Neutralité carbone : l’annonce de Xi

La grande nouveauté est venue de Pékin, avec l’annonce surprise par Xi Jinping de l’intention de la Chine de parvenir à la neutralité carbone en 2060. Un pari très ambitieux et sans précédent pour le pays qui est de loin le premier émetteur de gaz à effet de serre du monde. Pékin, a affirmé le numéro un chinois, s’engage en outre à atteindre un pic de ses rejets de CO2 « avant 2030 », et non plus « autour » de 2030, comme l’indiquait son dernier plan climat.
Cet engagement chinois a immédiatement été salué par la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen : « Il s’agit d’une étape importante dans notre combat global contre les changements climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris. Nous allons travailler avec la Chine sur cet objectif. Mais beaucoup de travail doit encore être fait », a-t-elle souligné dans un tweet ce mercredi 23 septembre.

On voudrait bien croire l’engagement de Xi Jinping, mais la réalité sur le terrain incite à une bonne dose de scepticisme. Bien que signataire de l’Accord de Paris de 2015 sur le réchauffement climatique, la Chine continue en effet de construire des centrales à charbon sur son sol ainsi que dans des pays émergents. Le pays détient à lui seul, avec près de 1 000 gigawatts (GW) installés, près de la moitié des capacités des centrales à charbon mondiales, suivi par les États-Unis (259 GW) et l’Inde (221 GW). Selon l’ONG américaine Global Energy Monitor, la Chine a construit suffisamment de nouvelles centrales à charbon entre janvier 2018 et juin 2019 pour annuler tous les efforts accomplis ces dernières années dans le reste du monde pour réduire l’énergie au charbon. Les émissions chinoises de CO2 ont été multipliées par 4,5 entre 1990 et 2017.
Fait sans précédent, au premier semestre 2020, conséquence pour partie de la situation sanitaire, les capacités mondiales des centrales à charbon ont même très légèrement décliné, avec l’amorce d’un ralentissement des ouvertures de centrales électriques brûlant du charbon, à l’exception notable de la Chine. Le recul est presque négligeable, mais c’est néanmoins la première fois que les fermetures (21 GW) excèdent les ouvertures (18 GW). Mais cette année, c’est à nouveau la Chine qui est championne des mises en service, avec plus de 11 GW supplémentaires.

Mer de Chine du Sud : le retournement de Duterte

Sur un autre terrain, celui des revendications territoriales de la Chine en mer de Chine du Sud, l’Assemblée générale de l’ONU a apporté une mauvaise nouvelle pour Pékin, avec le discours très remarqué du président philippin Rodrigo Duterte. Ce dernier a ouvertement demandé le respect du jugement de 2016 rendu par la Cour d’arbitrage de La Haye (PCA). Ce jugement donne droit à Manille sur une partie de cette zone très disputée et déclare qu’il n’existe pas de base légale aux revendications chinoises.
« Cette décision fait maintenant partie intégrante de la loi internationale, allant au-delà d’un compromis et au-delà [de la volonté] d’un pays de la diluer, de la diminuer ou de l’abandonner », a lancé le président des Philippines qui était, jusque-là, très accommodant à l’égard du géant chinois. « Nous rejetons avec force toute tentative de la saboter » et « nous saluons le nombre toujours plus grand de pays qui sont venus appuyer [cette décision] » qui marque « le triomphe de la raison sur l’imprudence, de la loi sur le désordre, de l’amitié sur l’ambition », a poursuivit Duterte, sans citer explicitement la Chine.
La Chine rejette le jugement de la Cour d’arbitrage et proclame sa souveraineté sur quelque 3,5 millions de km2 de territoire, soit la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud. Pékin fonde ses revendications sur le fameux « tracé en neuf traits » qui longe les côtes des Philippines, du Vietnam, de la Malaisie, de l’Indonésie et de Brunei. Le 13 juillet dernier, dans ce qui a constitué un virage sur l’aile des États-Unis à ce sujet, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a condamné les revendications chinoises : « Nous le disons clairement : les revendications de Pékin sur les ressources offshore dans la plus grande partie de la mer de Chine méridionale sont complètement illégales, de même que sa campagne d’intimidation pour les contrôler. »
Autre fait nouveau notable et largement passé inaperçu, le 30 août dernier, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont conjointement transmis une note aux Nations Unies dans laquelle ces trois pays se déclarent « préoccupés par la situation en mer de Chine méridionale, qui est susceptible d’engendrer une insécurité et une instabilité dans la région ». Berlin, Paris et Londres rappellent la nécessité de garantir « la liberté et les droits de navigation et de survol en mer de Chine méridionale » et soulignent « leur attachement à la sentence arbitrale rendue le 12 juillet 2016 » en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Voilà qui a de quoi susciter quelque émoi à Pékin.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).