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Hong Kong d'abord, Taïwan ensuite ?

En juin 2019, des Taïwanais manifestent leur soutien au mouvement pro-démocratie contre la loi d'extradition à Hong Hong. (Source : New Statesman)
En juin 2019, des Taïwanais manifestent leur soutien au mouvement pro-démocratie contre la loi d'extradition à Hong Hong. (Source : New Statesman)
Là où la nouvelle loi de sécurité nationale à Hong Kong peut inquiéter à Taïwan, c’est qu’elle révèle que la Chine est désormais sur le pied de guerre et que la victoire idéologique du Parti doit primer sur toute autre considération d’intérêt économique ou de respect international.
Un air de dystopie post-apocalyptique semble flotter sur le finistère méridional du monde chinois. Le 1er juillet 2020 marquera-t-il dans les livres d’histoire la fin de Hong Kong as we knew it ? La fin de Hong Kong au sens propre où le terme « Kong » est lié à l’appellation cantonaise du lieu et le début de « Xianggang », c’est-à-dire de la manière d’énoncer le lieu en mandarin ?
Avec la nouvelle loi de sécurité nationale, Hong Kong semble être devenue 27 ans avant la fin de la période de transition dans la « rétrocession » du territoire à la République populaire de Chine une province chinoise dont le caractère « spécial » de sa régulation administrative est réduit à sa plus simple expression : purement financière et capitalistique. Et encore celle-ci même semble en danger: les entreprises étrangères déplacent leurs centres névralgiques vers Singapour ou Séoul.
Par toute la violence dont l’arbitraire légal d’État est possible, la loi de sécurité nationale ferme de facto la parenthèse ouverte par la « révolte des parapluies » de 2014, et dont l’acmé fut les manifestations regroupant 2 millions de personnes contre la loi d’extradition de juin 2019 : rétrospectivement, le chant du cygne de la société libérale autonome hongkongaise. La décision de Joshua Wong de suspendre ses activités au sein de Demosistō et celle de Nathan Law de fuir vers le Royaume-Uni montrent que la loi a bien déjà son effet.
Depuis 1997, deux logiques différentes s’opposaient. D’un côté, celle du Parti communiste chinois qui avait pour seul but de réduire la différence entre les deux territoires le plus vite possible : le slogan « un pays deux systèmes » a été naïvement assimilé à une promesse de ne pas modifier le statut autonome du territoire dans la longue durée alors que, pour Pékin, il ne faisait que dénommer une réalité provisoire. On oublie souvent le début de la phrase : « Same direction, one country, two systems. » De l’autre côté, les opposants libéraux espéraient, en retardant le plus possible la convergence entre les deux systèmes, rendre le saut de l’un à l’autre, en 2047, trop difficile à supporter pour le rendre acceptable. Pékin sait très bien aussi que si l’on plonge directement le batracien dans l’eau bouillante, il pourrait avoir un sursaut salvateur : il est plus sûr d’augmenter la température graduellement jusqu’à ébullition finale. Il y avait aussi l’espoir, venu d’on ne sait quel récit téléologique, que la « convergence » se ferait dans une double direction : entre 1997 et 2047, en même temps que la Chine se développerait, elle se libéraliserait tandis que Hong Kong, au contact avec le « continent » se siniserait graduellement. Double erreur : au contact du continent (et de ses touristes), Hong Kong s’est « honkgongisé » et la Chine, grâce au développement économique, a pu avoir enfin les moyens financiers de son techno-autoritarisme à tendance ethno-nationaliste. Un pays, un système, un leader, une ceinture, une route, une seule Chine : le Parti communiste chinois ne connaît pas vraiment le deux. Hong Kong ne pouvait faire exception.
Et donc maintenant Taïwan ?
Nuançons d’abord un tout petit peu ce portrait apocalyptique : non, toute différence entre Hong Kong et le continent ne s’est pas estompé en un jour. Pas dans l’esprit des gens et c’est celui-ci qui fait l’histoire. Ce sont les gens qui vivent, pensent et souffrent qui font un territoire et non pas une loi catapultant son carcan national sur le monde extérieur. Du moins pas tout de suite : Hong Kong n’est pas mort. Et les nombreuses personnes s’étant déplacé pour voter pour les primaires démocrates malgré le fait que Pékin l’a déclaré illégale le montre. À l’avenir, « be water » ne suffira plus, il faudra se faire « vapeur » : non seulement insaisissable mais invisible.

Perspective de guerre ?

Revenons maintenant sur l’expression « Hong Kong d’abord, Taïwan ensuite » qui a commencé à fleurir comme une mise en garde surtout avec les manifestations sur l’extradition de l’année dernière. Cette expression a, théoriquement, quelque chose de très insatisfaisant même si stratégiquement parlant, elle n’est pas pour autant à balayer d’un revers de la main. Théoriquement parlant, la situation n’a rien à voir : Hong Kong a été rétrocédé à la Chine par voie légale et accord entre deux pays ; Hong Kong était depuis 1997 une région administrative spéciale de la République populaire de Chine. Taïwan est le nom commun de la République de Chine, un État de droit, indépendant de fait de la République populaire, dont la souveraineté est totale sur son territoire au niveau politique et militaire et dont l’existence diplomatique est toujours reconnue par 14 pays dans le monde dont le Saint-Siège – tout en ayant des relations informelles, souvent très fortes, avec tous les pays de l’OCDE : Japon et États-Unis en tête.
Le statut réel de Formose reste un cas juridique extrêmement complexe : un territoire cédé par le Japon après la Seconde Guerre mondiale, pris par le futur perdant de la guerre civile chinoise, le Parti nationaliste ou Kuomintang, et dont le siège à l’ONU fut transféré à la Chine populaire en 1971 mais sans aucune précision sur le contenu géographique de ce « transfert » diplomatique dont on peut arguer qu’il concerne d’abord le continent. Pour le dire de façon simple : aucune loi de la République populaire de Chine ne peut changer d’un iota la situation sociale, politique ou juridique de la République de Chine ou Taïwan. De façon encore plus sommaire : la seule manière que la Chine a d’influer radicalement sur le destin et le statut de Taïwan aujourd’hui (où la grande majorité des habitants se reconnaissent comme taïwanais et non chinois), c’est par la guerre.
Or c’est là que la nouvelle loi de sécurité nationale sur Hong Kong peut inquiéter car elle révèle que la Chine est désormais sur le pied de guerre et que la victoire idéologique du Parti doit primer sur toute autre considération d’intérêt économique ou de respect international. Les incursions de plus en plus fréquentes d’avions chinois sur les pourtours de l’espace aérien taïwanais manifestent ce que le Premier ministre indien Narendra Modi appelait « l’expansionnisme chinois » « un produit du siècle dernier », ajoutait-il, rangeant ainsi la Chine dans le cercle des puissances à visée hégémonique.

La cible ultime

La principale conséquence de la loi de sécurité visant Hong Kong pour Taïwan est d’avoir enterré définitivement au niveau politique toute référence possible au modèle « un pays, deux systèmes » que la Chine voulait aussi « proposer » à Taïwan. La présidente Tsai Ing-wen a immédiatement tweeté en ce sens et aucun membre de l’opposition ne pourrait arguer du contraire. La Chine a définitivement perdu Taïwan et une présidence KMT n’y changerait plus rien.
Autre écho de la loi à Formose où l’article 38 de la nouvelle loi de sécurité a été le plus commenté. Celui-ci stipule : « La présente loi s’applique aux infractions prévues par la présente loi commises contre la région administrative spéciale de Hong Kong à l’extérieur de la région par une personne qui n’est pas un résident permanent de la région. » Autrement dit, la Chine peut arrêter quiconque en transit à Hong Kong, quelle que soit sa nationalité, s’il a publié ou écrit quelque chose contrevenant à l’idéologie du Parti communiste, relativement à l’extension figurée de son territoire – irrédentisme en vertu duquel la Chine est en conflit frontalier, terrestre ou maritime, direct ou ouvert, avec l’Inde, le Japon, l’Indonésie, les Philippines, Taïwan, le Bhoutan ou la Russie. Quiconque remet en cause le bien-fondé de la loi pour Hong Kong en particulier et le partage chinois du monde en général est « séparatiste », et donc passible de sanction. C’est pourquoi le gouvernement taïwanais a déconseillé à ses citoyens de se rendre sur le territoire de de l’ancienne colonie britannique : étant donné les fréquents échanges, c’est une véritable rupture – et une manière d’empêcher la convergence des luttes sur le front sino-démocrate.
La réponse effective de Taïwan à la loi imposée par Pékin a été de créer un nouveau programme d’assistance pour les Hongkongais fuyant la Chine. Ce nouvel organisme, le Taiwan-Hong Kong Economic and Cultural Co-operation Council (THEC), étend les prérogatives de l’article 18 des « lois et règlements concernant les affaires de Hong Kong et de Macao ». La réelle nouveauté, c’est que l’assistance à l’immigration des Hongkongais se dote d’une nouvelle couleur politique et plus simplement économique. Taïwan par là s’affirme bien en dernier bastion du monde chinois libre et donc, certes, en cible « ultime » du Parti communiste chinois.
Par Jean-Yves Heurtebise

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A propos de l'auteur
Jean-Yves Heurtebise, docteur de philosophie de l’Université d’Aix-Marseille, est maître de conférences (Associate Professor) à l’Université Catholique FuJen (Taipei, Taiwan). Il est aussi membre associé du CEFC (Centre d’études français sur la Chine contemporaine, Hong Kong) et co-rédacteur en chef de la revue Monde Chinois Nouvelle Asie. Il est l'auteur de Orientalisme, occidentalisme et universalisme : Histoire et méthode des représentations croisées entre mondes européens et chinois (Paris: Eska, 2020) et avec Costantino Maeder (UCL) de Reflets de soi au miroir de l’autre. Les représentations croisées Chine/Europe du vingtième siècle à nos jours (Switzerland: Peter Lang, 2021).