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Pakistan : l'avenir politique d'Imran Khan en question

Le Premier ministre pakistanais Imran Khan. (Deccan Herald)
Le Premier ministre pakistanais Imran Khan. (Deccan Herald)
De saillies en provocations contre l’Inde et les États-Unis, le Premier ministre pakistanais semblent de plus en plus sur la sellette. Faute de résultats économiques ou dans la lutte contre la corruption, face aux critiques contre sa gestion changeante de l’épidémie de coronavirus, l’image d’Imran Khan s’est ternie. La politique de rapprochement avec la Chine suffira-t-elle à le maintenir au pouvoir ? L’armée pourrait lui faire défaut.
*Lieu par ailleurs très douloureux pour la France : le 8 mai 2002, un attentat-suicide devant l’hôtel Sheraton faisait une quinzaine de victimes, dont 11 employés français de la Direction des constructions navales. La piste Al-Qaïda a longtemps été privilégiée avant que la justice française n’émette l’hypothèse de représailles des services secrets pakistanais (ISI) à l’encontre de Paris.
En premier lieu, naturellement, il y a les maux. Brutaux, aveugles, meurtriers, intolérables. Lundi 29 juin, un commando de quatre hommes mène une attaque terroriste contre la bourse de Karachi. Cet énième assaut perpétré dans la capitale économique et financière pakistanaise fera cinq victimes parmi le personnel de sécurité défendant le Karachi Stock Exchange. Le Pakistan est malmené par la violence du terrorisme : plus de 15 000 actes terroristes ont été recensés entre mars 2000 et fin juin 2020 pour 27 000 victimes civiles. Comme de coutume, les autorités n’ont que l’embarras du choix pour imputer la responsabilité de ce nouveau bain de sang. Le spectre des organisations terroristes opérant dans le pays, souvent au vu et au su de tous, est d’une invraisemblable densité : Talibans pakistanais (TTP), militants du Hizb-ul Mujahideen (HM), du Lashkar-e- Toiba (LeT), Al-Qaïda, Balochistan National Army (BLA), et l’on en passe.
Pourtant, selon le Premier ministre Imran Khan, il ne s’agit pas de rechercher la responsabilité de cet attentat parmi ce vivier sans fond, quand bien même les séparatistes de la Balochistan National Army auraient revendiqué ce forfait. « Il ne fait aucun doute que l’Inde est derrière l’attaque, déclarait sans sourciller le chef du gouvernement le 30 juin dernier, lors d’une intervention au parlement. Depuis deux mois, mon cabinet savait [qu’il y aurait un attentat], j’en avais informé mes ministres. Toutes nos agences de renseignement étaient en état d’alerte. » Une accusation aussi grave que dénuée de preuves, qui éloignera plus encore Islamabad et New Delhi d’une possible décrispation. À y regarder de plus près, le Premier ministre pakistanais avait déjà dépassé les bornes – et de loin – dans un tweet 27 mai d’une logorrhée à maints égards terriblement déplacée : « Le gouvernement hindou suprémaciste Modi et ses politiques expansionnistes arrogantes, similaires au Lebensraum [espace vital] nazi, devient une menace pour les voisins de l’Inde. »

« Ben Laden martyre »

Alors que l’été et ses températures caniculaires s’abattaient sur le pays, l’ancienne gloire nationale du cricket reconvertie en politique a continué à s’illustrer par une autre saillie provocatrice. Le 25 juin, face au parlement, sa tribune de prédilection depuis deux ans pour les annonces à haute valeur politico-médiatique, Irman Khan évoquait la neutralisation définitive d’Oussama ben Laden en mai 2011 au Pakistan, dans la banlieue d’Abbottabad à 135 km au nord-est d’Islamabad, par un commando d’élite américain. Et le fondateur du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la Justice) de lâcher : « nous nous sommes rangés au côté des États-Unis dans la guerre contre le terrorisme mais ils sont venus ici et l’ont tué, en ont fait un martyre. Les Américains sont venus à Abbottabad et ont tué Oussama Ben Laden. Ils l’ont fait martyre. » Des propos reçus avec la fraîcheur que l’on devine du côté de Washington.
En ce même mois de juin propice aux effets d’annonce et aux provocations du côté d’Islamabad, le quotidien français L’Express évoquait le cas du chef de gouvernement pakistanais : « Imran Khan, la « marionnette » désarticulée qui dirige le Pakistan ». Quelques jours plus tard, le magazine The Diplomat se montrait quant à lui réservé sur les chances de l’intéressé de passer l’été à la tête du gouvernement : « Imran Khan peut-il rester au pouvoir ? » La question mérite en effet d’être posée.

Bilan frugal

En juillet 2018, Imran Khan arrivait au pouvoir dans la foulée d’un succès électoral abouti, 159 sièges pour son parti, le PTI, contre à peine 82 pour la PML-N et 54 pour le PPP. Deux plus tard, l’aura de l’ancien champion national de cricket s’est déjà considérablement dégradée. Au point de lasser ou d’embarrasser la très influente sinon omnipotente caste des généraux ? Or sans son soutien, accéder à la tête des affaires politiques nationales, et plus encore se maintenir à la tête du gouvernement, relève encore de l’impossible, trois quarts de siècle après la naissance de la république du Pakistan.
Sans se montrer trop rude avec l’intéressé, il n’en demeure pas moins qu’après deux années de mandat, le bilan pour l’heure reste assez frugal, à des lieues des attentes populaires et du programme électoral vanté alors. Où en est sinon nulle part la fameuse croisade anti-corruption, les efforts en direction d’une meilleure gouvernance, le rétablissement d’une économie nationale sinistrée, l’amélioration de l’image extérieure (quant à elle particulièrement ternie) du pays ? Autant de promesses électorales d’Imran Khan et de son PTI. Les dividendes et valeur ajoutée ne sautent pas aux yeux.
Les incartades mal avisées et insultes de ces dernières semaines vis-à-vis de l’Inde et des États-Unis ne compenseront guère à elles seules la pauvreté de ce bilan domestique. Ni ne mitigeront les critiques de la population à l’encontre du Premier ministre sur sa gestion très changeante de la crise du Covid-19 qui a fait 240 000 cas au 10 juillet et 5 000 victimes, entre confinement, déconfinement puis « reconfinement intelligent ». Ce pays de 233 millions d’habitants ou près du tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, ne comptait que 3 000 lits en soins intensifs au début de l’épidémie.

« Irremplaçable ami de tout temps »

Les deux grandes formations politiques traditionnelles du tortueux paysage politique pakistanais – le PML-N du clan Sharif et le PPP de la dynastie Bhutto – se frottent les mains devant les déconvenues de l’impétueux chef de gouvernement. Quant à l’armée pakistanaise, elle s’interroge probablement chaque matin sur l’opportunité – et le coût – de prolonger plus avant la mandature incertaine de l’administration Khan, théoriquement installée jusqu’en 2013. Le soutien ou le répit momentané pourrait venir de l’extérieur : de Pékin notamment, pour qui Islamabad serait « l’irremplaçable ami de tout temps », selon les propos du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.
Il est vrai que le gouvernement d’Imran Khan ne ménage pas sa peine depuis deux ans pour satisfaire son allié stratégique et premier partenaire commercial. Le 4 juillet dernier, le Premier ministre l’assurait encore : « Le Pakistan achèvera le Corridor Économique Chine-Pakistan à tout prix. » Ce projet cher à Pékin doit relier le port de Gwadar sur le littoral du Baloutchistan pakistanais à la sensible province chinoise du Xinjiang, partie intégrante de la très disputée « Belt and Road Initiative » (BRI), nom officiel des « Nouvelles Routes de la Soie » promues à tout rompre par la Chine ces dernières années. « Le corridor est une manifestation de l’amitié entre le Pakistan et la Chine. Le gouvernement l’achèvera à tout prix et apportera ses fruits à tous les Pakistanais », promettait ainsi Imran Khan.
Cependant, le Corridor est encore bien loin de sa conclusion. D’ici là, il y a fort à parier que les soubresauts récurrents de la scène politique intérieure pakistanaise aient une nouvelle fois contraint le chef de gouvernement à quitter prématurément ses fonctions. Une jurisprudence des plus constantes dans ce pays où le poids des généraux l’emporte inlassablement sur la règle démocratique.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.