Environnement
Tribune

Inde : le climat et l'écologie, grands absents de la relance après le coronavirus

En avril et en mai 2020, l'Inde a vu des millions de migrants retourner péniblement vers leurs villages sous des températures de 40 degrés et plus, en raison du confinement. (Source : AS)
En avril et en mai 2020, l'Inde a vu des millions de migrants retourner péniblement vers leurs villages sous des températures de 40 degrés et plus, en raison du confinement. (Source : AS)
La pandémie de coronavirus est le résultat du dérèglement du climat provoqué par l’exploitation de la nature et de la faune sauvage en Chine. En Inde, les « réfugiés du Covid-19 », ces travailleurs migrants victimes du confinement, sont donc aussi des réfugiés climatiques. Or, le plan de relance du gouvernement Modi ne fait aucune place à la lutte contre le réchauffement. C’est pourtant le principal enjeu vital dans le pays, alerte Chittranjan Dubey, militant écologiste, ancien fondateur d’Extinction Rebellion India. Côme Bastin a traduit sa tribune pour Asialyst.
La récente pandémie de Covid-19 a entraîné des défis sans précédent pour l’Inde et ses dirigeants. Lorsque nous sommes confrontés à des défis sans précédent, nous attendons des plus hauts dirigeants qu’ils prennent des mesures stratégiques immédiates, mais aussi à long terme. Pour atteindre cet objectif, le Premier ministre Modi a annoncé un plan de soutien de 240 milliards d’euros, qui équivaut à 10 % du PIB de l’Inde – bien que de nombreux économistes et analystes politiques ont démontré que le montant réel était bien inférieur à ce qui avait été vendu au public.
En tant que militant écologiste, je regardais curieusement les déclarations quotidiennes de Nirmala Sitharaman, la ministre des Finances, alors qu’elle dévoilait les détails du plan de de son gouvernement. J’ai pensé qu’à un moment, elle allait mentionner qu’une partie de ce montant serait alloué au dérèglement climatique et la crise écologique. Mais à ma stupéfaction, pas une seule fois le mot « climat » n’est sorti de sa bouche. Pire, les réformes annoncées ont affaibli de nombreuses normes environnementales existantes dans le but de faciliter la reprise. Cela témoigne d’un manque de préoccupation au plus haut niveau à l’égard de l’impératif environnemental. Que ce soit par ignorance ou par court-termisme, cette aveuglement est dangereux pour le pays et les générations futures.
En avril et en mai, l’Inde a vu des millions de migrants retourner péniblement vers leurs villages sous des températures de 40 degrés et plus, en raison du confinement. Mais, nous, Indiens, devons nous poser la question fondamentale de savoir pourquoi cette migration s’est entamée ? Pourquoi ont-ils en premier lieu quitté leurs terres ? Malheureusement, cette analyse fait totalement défaut dans la sphère politique et économique indienne.
Ces déshérites sont devenus migrants parce qu’ils ne pouvaient pas survivre grâce à l’agriculture. Les terres arides dans les villages, les sécheresses et les inondations fréquentes ont rendu leur vie misérable. C’est l’une des principales raisons qui les a poussés à abandonner leurs villages pour de plus grandes villes afin de gagner leur vie et de perdurer dans ce monde. Mais ce n’est que le début.
Plus d’un million de personnes sont devenues des réfugiés climatiques en 2018 lors des inondations au Kerala. Le récent super cyclone Amphan a déjà déplacé un autre million de personnes au Bengale-Occidental et dans l’Orissa et y a causé des dommages irrévocables. L’Orissa, le Bihar, le Bengale, le Madhya Pradesh, l’Uttar Pradesh et le Rajasthan sont de plus en plus souvent confrontés à des catastrophes naturelles. Or, ce sont les États d’où la plupart des gens migrent vers le reste de l’Inde. La pandémie actuelle n’a fait qu’exposer et aggraver la condition indigne des travailleurs à salaire journalier de l’Inde rurale, qui lui préexistait depuis très longtemps.
Chaque année, des millions de personnes migrent vers de grandes villes comme Delhi, Mumbai, Bangalore ou Chennai à la recherche de moyens de subsistance. La majorité d’entre eux finissent par vivre dans des bidonvilles et au bord des routes. Ils vivent sans hygiène et sans eau courante. Au cours de cette pandémie, ils ont été le plus touchés. Même s’ils l’avaient voulus, ils n’auraient pas pu suivre les normes de distanciation sociale tant ils vivent dans des quartiers surpeuplés.
Si ces travailleurs journaliers ont du mal à trouver un emploi dans les zones urbaines, c’est parce que la majorité des emplois sont dans le secteur des services et requièrent des connaissances et des compétences. En raison d’un manque de formation, la seule possibilité d’emploi pour les migrants climatiques est de travailler comme ouvriers non qualifiés dans les industries de la construction et de la fabrication. Malheureusement, ils ont tous perdu leur emploi en raison de la pandémie et du confinement. De tels scénarios se reproduiront à l’avenir compte tenu de l’augmentation de la crise climatique et écologique.
Cette crise est si grave dans ce pays qu’elle ne peut plus être ignorée. La pandémie de Covid-19 est d’ailleurs le résultat de l’exploitation de la nature et de la faune sauvage, qui dure depuis longtemps en Chine. La température croissante, les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations ne feront qu’augmenter, ce qui donnera inévitablement naissance à de nouvelles maladies virales dans notre pays densément peuplé. Et pourtant, ce sujet n’a pas sa place dans le programme de secours du gouvernement indien, le plus vaste pourtant jamais annoncé. La menace la plus importante à laquelle nos compatriotes sont confrontés actuellement est tout bonnement ignorée.
Selon le think tank indien NITI Aayog, en 2018, pas moins de 21 grandes villes indiennes manqueront d’eau souterraine d’ici 2020, affectant 100 millions de personnes ; 40% de la population de l’Inde n’aura pas accès à l’eau potable d’ici 2030. À l’heure actuelle, 600 millions d’Indiens sont confrontés à un stress hydrique élevé à extrême – et environ 200 000 personnes meurent chaque année en raison d’un accès insuffisant à l’eau potable. C’est la encore un résultat des changements climatiques et écologiques. Lorsque des millions de personnes n’ont pas d’eau, ce qui est une nécessité vitale, elles migrent vers les villes pour survivre. Cet afflux soudain de population dans les métropoles aggrave les problèmes déjà existants. Ce cercle vicieux ne s’arrête jamais.
Cette année, McKinsey a publié un rapport détaillé sur la crise climatique et écologique, qui mentionne l’Inde à plusieurs reprises. Évidemment pas pour de bonnes raisons. Il souligne catégoriquement que d’ici 2030 dans un scénario RCP 8.5, en l’absence d’une réponse d’adaptation efficace, 160 millions à 200 millions de personnes en Inde pourraient vivre dans des régions avec une probabilité annuelle de 5 % de subir une vague de chaleur qui dépasse le seuil de survie pour un être humain en bonne santé.
De nombreux États du nord et de l’ouest de l’Inde sont déjà confrontés à des vagues de chaleur – cette année, la température était supérieure à 47,5 degrés à Delhi. À Churu, au Rajasthan, le thermomètre a atteint 50 degrés. Si l’indifférence écologique se poursuit, il y fera encore plus chaud les années prochaines. L’essaim récent de millions de criquets qui a ravagé le nord-ouest du pays doit être une alarme pour le gouvernements central comme pour les États. Comme nous le savons, un essaim d’un kilomètre carré peut manger autant de nourriture en une journée que 35 000 personnes. Les essaims peuvent contenir jusqu’à 80 millions d’adultes par kilomètre carré et atteindre plusieurs centaines de kilomètres carrés. Ces invasions de criquets sont aussi le résultat du changement climatique et écologique.
Nous ne pouvons ignorer le fait que lorsque nous nous éloignons d’une pandémie, nous en frôlons une autre. Si ce n’est le coronavirus, nous serons confrontés à la dengue, au chikungunya, à zika, au nipah et à d’autres maladies virales. Ils sont tous le résultat de l’évolution des conditions météorologiques qui donnent naissance à différents types de moustiques et de virus.
Compte tenu de l’augmentation des pandémies et des catastrophes naturelles, si nous ne pouvons pas repenser notre modèle dès maintenant, nous sommes condamnés. Les générations futures souffriront et continuerons de voir des scènes sanglantes, où des femmes marchent pieds nus avec leurs enfants sur des centaines de kilomètres sans eau ni nourriture dans une chaleur extrême.
Par Chittaranjan Dubey
Traduit de l’anglais par Côme Bastin

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A propos de l'auteur
Côme Bastin est reporter en Inde, basé à Bangalore depuis 2019. Il travaille avec Radio France Internationale, Ouest-France, Mediapart et Marianne. Il chérit les longs reportages et les analyses sur le sous-continent et ses multiples facettes. Auparavant, il était reporter en France et en Europe (We Demain, Socialter, Radio Nova, RFI).