Corée du Sud : 40 ans après Gwangju, le "Tiananmen coréen" continue de diviser

Entretien
L’événement a fait beaucoup moins de bruit que les 30 ans de Tian’amen l’année dernière. La Corée du Sud commémorait ce lundi 18 mai le début du soulèvement étudiant parti de l’université Chonnam de Gwangju le 18 mai 1980 au matin. La répression armée qui a suivi pendant près de dix jours a fait officiellement 160 morts, jusqu’à plusieurs milliers selon les organisations de défense des droits de l’homme.
Une décennie d’oubli supplémentaire aura peut-être atténué l’intérêt des médias. Mais le souvenir des proches des victimes reste à vif, nous confie Lee Jae-eui dans cet entretien accordé à Asialyst. Cet ancien manifestant du printemps de Gwangju est aujourd’hui conseiller de la Fondation du Mémorial du 18 Mai. L’institution travaille à la collecte des témoignages et des preuves permettant de reconstituer le déroulé de ces jours tragiques aux côté de la Commission pour la vérité du mouvement démocratique du 18 mai.
Ce sont souvent les dates qui servent à nommer les agressions subies par les peuples, notamment lorsqu’il s’agit d’un déchaînement de la violence étatique. Les Chinois parlent du « 6.4 », le mois précédent le jour pour le 4 juin 1989. Les Coréens évoquent le « 5 1 8 », pour le 18 mai 1980. Si les appareils photos n’ont pas capturé de « Tank man » en Corée du Sud, des étudiants courageux ont également tenté de bloquer la progression des véhicules blindés sur l’avenue qui mène au bureau de la province de Jeolla du Sud, comme en témoignent ces incroyables images ressorties par Tim Shorrock à l’occasion de de ce quarantième anniversaire.
La reconnaissance officielle des souffrances endurées par les familles progresse. En 2017, pour la première fois un président de la République de Corée assistait aux commémorations aux cotés des familles des victimes. En 2020, la cérémonie a réuni les dirigeants des principales formations politiques, dont certains autrefois refusaient une partie de la vérité. Mais le déni entretenu par une frange ultra-conservatrice continue de diviser l’opinion et contribue à meurtrir les proches des disparus. D’autant que jusqu’à l’élection de Moon Jae-in en 2017, certains révisionnistes avaient encore pignon sur rue, parfois n’hésitant pas à utiliser les fake news pour discréditer le mouvement. Gwak Hee-seong en a fait l’amer l’expérience. Ce chauffeur de taxi a intégré les milices citoyennes de Gwangju à 19 ans. Il a ensuite tenté de se faire oublier, jusqu’a ce qu’un soit-disant expert du camps réactionnaire l’accuse d’avoir été membre d’une supposée unité spéciale nord-coréenne envoyée à Gwangju. Le chauffeur de taxi a porté plainte pour diffamation en 2015, et a remporté son procès.
Ce déni vaut aussi pour une partie des acteurs de l’époque. Jugé coupable pour ces liens avec le coup d’État du 12 décembre 1979, l’ancien président et général Chun Doo-hwan affirme qu’il n’a pas demandé à la troupe d’employer la force. Qui donc a ordonné aux parachutistes d’ouvrir le feu depuis les hélicoptères, demandent les Antigones de Gwangju ? L’autre grande question concerne les disparus. Les restes de 40 manifestants ont été retrouvés l’année dernière sous une ancienne prison, mais des dizaines de proches sont toujours sans nouvelle. Parmi eux, Cha Cho-gang, 81 ans, dont le fils n’est jamais rentré à la maison. « Mon mari est décédé il y a trois ans, a-t-elle déclaré à l’AFP. Son dernier souhait était d’enterrer les restes de notre fils avant ses propres funérailles. Je souhaite la même chose, mais je ne suis pas sûr que cela se réalise un jour. »
« Il existe au sein de l’opinion coréenne une frange ultra-conservatrice et nostalgique des années de fer qui, depuis 40 ans, n’a de cesse d’attaquer ou d’insulter l’esprit de résistance à la dictature. »
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