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Corée du Sud : Moon Jae-in avec les familles des victimes de Gwangju

Commémoration du soulèvement de Gwangju 18 mai 2017. Copie écran News1
Le chant provoque la chair de poule chez les démocrates, autant qu’il hérisse les conservateurs en Corée du Sud. Après neuf ans d’interdiction dans les administrations, la « Marche pour les bien-aimés » (« Imeul Wihan Haengjingok ») était ce jeudi 18 mai 2017 au cœur des commémorations du soulèvement de Gwangju en 1980. Comme tous les 18 mai, cet hymne de la résistance à la dictature a été entonné par les familles des victimes de la répression, mais aussi, pour la première fois depuis près d’une décennie, par les officiels présents dont le nouveau président Moon Jae-in.
C’est le retour du « chant des partisans » version coréenne. Moon Jae-in avait promis pendant la campagne présidentielle d’inscrire la « Marche pour les bien-aimés » dans la loi (regarder la vidéo ci-dessous). Le chef de l’État ne pouvait donc manquer de reprendre ce chant protestataire, parmi les plus célèbres au sud de la péninsule coréenne. Après dix ans de pouvoir conservateur, les commémorations du soulèvement de Gwangju renouent avec la solennité et l’émotion. Les précédentes cérémonies avaient été expédiées en moins de vingt minutes, mais cette fois, l’évènement a duré plus d’une heure. Une première cérémonie pour la nouvelle administration au pouvoir en Corée du Sud, à laquelle ont assisté près de 10 000 personnes.

Les paroles du chant de la Marche pour les bien-aimés

« Ne laissant derrière nous ni l’amour, ni la gloire, ni nos noms,
Nous nous sommes engagés à marcher ensemble pour le reste de notre vie.
Nos camarades ne peuvent être retrouvés, mais notre bannière flotte toujours.
Nous nous battrons jusqu’à ce qu’un nouveau jour arrive.
Le temps passe, mais les montagnes et les ruisseaux se souviennent
du cri ardent de ceux qui sont réveillés,
Je vais de l’avant, alors suivez-moi, vous qui vivez,
Je vais de l’avant, alors suivez-moi, vous qui vivez. »

Chant symbole de la lutte contre la dictature

Parmi les moments forts de ces commémorations, le geste du nouveau président à l’égard des familles de victimes. Kim Soo-hyong est venue lire une lettre en hommage à son père, militant pro-démocratie tué lors de la répression du 18 mai 1980. La jeune femme est en pleurs. Moon Jae-in, lui-même ancien avocat des droits de l’homme, se lève, et vient consoler la jeune en la prenant dans ses bras. Cette image était inimaginable sous les deux présidences précédentes. Le mouvement pro-démocratique en 1980 est considéré par le parti conservateur comme un symbole des manifestations anti-gouvernementales. L’ex-chef de l’État et ancien dirigeant de conglomérat, Lee Myung-bak, avait ainsi souhaité une commémoration a minima. Considéré par certains comme un hymne pro-Pyongyang depuis qu’il est apparu dans la bande originale d’un film nord-coréen en 1991, le chant des manifestants était alors interprété par une chorale et ne pouvait être repris par les fonctionnaires. L’année dernière encore, cette « Marseillaise » coréenne comme l’a surnommé l’un des correspondants de l’agence Bloomberg à Séoul, a cristallisé l’opposition à Park Geun-hye. C’était d’ailleurs l’un des textes les plus repris lors des manifestations en chansons demandant la destitution de l’ex-présidente.

Mariage de l’esprit

Couplets et refrain ont été repris en cœur par l’ensemble des personnes présentes, comme c’était déjà le cas entre 1997 et 2009. Les officiels aux premiers rangs se tenant les mains en signe de communion, à l’exception du chef du parti d’opposition lèvres serrées. Le texte de ce chant raconte l’histoire de Yun Sang-won, militant pro-démocratie, et de Park Gi-soon, ouvrière morte au travail un an avant le soulèvement de 1980. Un « mariage de l’esprit » entre deux jeunes défunts, comme le veut la tradition coréenne. Écrit à l’origine par le poète Baek Gi-wan, le texte a été réécrit en 1981 par l’écrivain Hwang So-kyong. Il a depuis été repris dans des manifestations à Taïwan, à Hong Kong ou au Japon. En 2004, l’ancien président Roo Moo-hyun en a fait le chant officiel de la ville de Gwangju.

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.