Politique
Entretien

Antoine Bondaz : "Moon Jae-in devra réduire les inégalités et le fossé générationnel en Corée du Sud"

Tout juste élu président de la République de Corée, Moon Jae-in, le leader du parti démocratique de Corée, serre les mains de ses supporteurs à l'Assemblée nationale à Séoul le 9 mai 2017. (Crédits : Kim Jong Hyun / Anadolu Agency / via AFP)
Tout juste élu président de la République de Corée, Moon Jae-in, le leader du parti démocratique de Corée, serre les mains de ses supporteurs à l'Assemblée nationale à Séoul le 9 mai 2017. (Crédits : Kim Jong Hyun / Anadolu Agency / via AFP)
C’était l’une des grandes figures des manifestations aux bougies de 2016 en Corée du Sud. Vétéran de la lutte pour les droits de l’homme, Moon Jae-in sort vainqueur de la présidentielle sud-coréenne ce mardi 9 mai 2017, avec près de 41,4 % des voix selon un sondage sortie des urnes. Classé au centre-gauche, cet ancien membre des forces spéciales, âgé de 64 ans, promet notamment de réduire le pouvoir économique détenu par les tout-puissants Chaebols (conglomérats familiaux), reprendre les négociations avec Pyongyang et tenir tête à Washington. 6 questions à Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po Paris.

Entretien

Docteur en Sciences politiques de l’Institut d’Études Politiques de Paris, Antoine Bondaz est l’auteur d’une thèse intitulée : « De l’insécurité à la stabilité : la politique coréenne de la Chine de 2009 à 2014 ». Il est chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po Paris. Il était auparavant chercheur associé au think tank français Asia Centre où il coordonnait la revue Korea Analysis.

La Corée du Sud tourne la page après environ une décennie de pouvoir conservateur. Que peut-on attendre du nouveau président Moon Jae-in ?
Antoine Bondaz : C’est très clairement un tournant, et de nombreux enjeux attendent le nouveau président sud-coréen. Les enjeux sont avant tout d’ordre l’intérieur : être capable d’assurer la cohésion du peuple sud-coréen qui a des attentes extrêmement importantes, notamment en termes d’inégalité ou de chômage. Tout l’enjeu pour le nouveau président Moon Jae-in est désormais de réduire le fossé générationnel, le fossé des inégalités et d’assurer que la jeunesse coréenne, extrêmement bien informée, extrêmement diplômée, puisse trouver un travail qui corresponde à ses attentes.
Tel est le problème des jeunes surdiplômés : ils sont obligés d’avoir, pour certains, des emplois à temps partiels, quand d’autres sont forcés d’aller dans des petites entreprises qui payent, forcément, beaucoup moins que les grands chaebols et autres conglomérats sud-coréens. Donc il y a de vraies attentes de la jeunesse vis-à-vis du nouvel ordre, en quelques sorte, politique, qui s’est exprimé par cette révolution extrêmement pacifique. D’abord par des manifestations, ensuite par une décision de justice de la cour constitutionnelle et maintenant par une nouvelle élection.
Après le scandale Park Geun-hye (la destitution et l’incarcération de son prédécesseur), Moon Jae-in fait figure de « Monsieur Propre » de la politique sud-coréenne. La lutte contre la corruption est-elle un enjeu important ?
Exactement, le candidat Moon a fait campagne justement sur sa probité et sur l’absence d’affaire de corruption le concernant. Il a appelé à faire un grand ménage en Corée du Sud, voire même un changement de régime. Il ne s’agit pas d’un changement constitutionnel, mais en tout en cas, un changement de pratique, sur le plan politique mais aussi sur le plan des entreprises. L’attente aujourd’hui des Sud-Coréens, c’est que leur seul moyen de réussir dans la vie, comme ils le disent trop souvent dans les sondages, ne soit pas d’avoir de bonne relations mais tout simplement d’être méritant ou d’avoir bien étudier.
Sur une échelle occidentale, comment classer le nouveau président sud-coréen ?
Il serait, en tout cas en Europe, considéré comme un représentant du centre-gauche. Bien que sur les thématiques de famille, les questions de société, il soit plus conservateur. On l’a vu notamment par ses dernières déclarations sur la question des homosexuels en Corée du Sud. Par contre, bien évidemment, ce qui est très important et ce qui le différencie des autres candidats conservateur est sa politique étrangère, en tout cas, ses ambitions en terme de politique étrangère : c’est-à-dire reprendre le dialogue avec Pyongyang et surtout chercher une politique plus équilibrée entre d’un côté Washington et de l’autre côté Pékin.
Il a une carrière d’avocat, et notamment aux avant-postes, dans les années 1980, de la lutte pour la démocratisation, surtout avec la première élection qui a eu lieu en 1987. Il est ensuite devenu chef de cabinet du président Roh Moo-hyun, le second président progressiste de 2003 à 2007 après la présidence de Kim Dae-jong. Et en cela, il a été à tort présenté comme trop près du Nord. En réalité, il est tout simplement favorable à un dialogue renouvelé, et pour une coopération économique beaucoup plus poussée avec le voisin nord coréen.
Moon Jae-in a affirmé vouloir reprendre le dialogue avec Pyongyang. Doit-on s’attendre à la réouverture de la zone industrielle de Kaesong ?
Au cours de la campagne, Moon avait annoncé que son premier voyage à l’étranger serait à Pyongyang et non pas à Washington. Il avait alors été beaucoup critiqué. Ce que l’on peut attendre de Moon est premièrement qu’il reprenne le dialogue officiellement avec le voisin nord-coréen. Et ensuite qu’il reprenne une forme de coopération économique avec notamment la réouverture du complexe industriel inter-coréen de Kaesong, fermé en février 2007. Il faut se rappeler qu’en 2007, il y a un peu plus de 10 ans, un accord majeur avait été signé entre les deux Corées, de coopération économique. Cet accord avait été mis de côté par le président conservateur Lee Myung-bak. Si aujourd’hui il est peu crédible que Moon revienne sur cet accord de 2007, de fait, il pourra prendre certains mesures et notamment tout faire pour accroître la coopération économique entre les deux pays.
Il a aussi promis qu’il saurait dire « Non » à l’allié américain…
Moon Jae-in s’est inscrit dans une politique progressiste qui vise a chercher un bon équilibre avec d’un côté la Chine et de l’autre côté les États-Unis. Ce qu’a répété Moon, c’est qu’il n’était pas anti-américain mais que l’intérêt national des États-Unis n’était pas forcément le même que l’intérêt national de la Corée du Sud. Alors à des fins électorales, il a dit qu’il s’opposerait, notamment sur le déploiement du Thaad. Cependant, il sera très difficile pour le nouveau président de revenir sur le déploiement de ce système antimissile. En effet, ce déploiement est désormais opérationnel et tout retrait du Thaad de la péninsule coréenne, premièrement, risquerait d’affaiblir l’alliance avec les États-Unis et deuxièmement d’envoyer un mauvais signal à la Corée du Nord.
Et pour le reste de l’Asie, que peut-on attendre de ce changement à la tête de la Corée du Sud ?
Les présidents sud-coréens sont historiquement très ambitieux lorsqu’ils viennent d’être élus Ils entendent notamment jouer un rôle clé dans la région asiatique. Malheureusement, il est arrivé fréquemment que la question nord coréenne devienne la priorité des priorités. Ce qui est sûr c’est que Moon entend améliorer les relations avec la Chine et sans passer par le retrait du système Thaad, ce qui serait extrêmement important pour la Corée du Sud, c’est de sortir de ce dilemme entre d’un côté la Chine et de l’autre côté les États-Unis. Mais peut-être de développer des relations, ce qui a déjà commencé, avec les pays du Sud-Est asiatique et d’Asie centrale et pourquoi pas, même avec l’Europe.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde et Sarah Suong Mazelier

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.