Culture
Entretien

Coronavirus : Huang Yuexing ou le swing comme antidote au confinement

Huang Yuexing, professeur de danse à Shanghai et intitiateur du "Capital Idea Challenge". (Crédit : Huang Yuexing @somestage)
Huang Yuexing, professeur de danse à Shanghai et intitiateur du "Capital Idea Challenge". (Crédit : Huang Yuexing @somestage)
Jamais Huang Yuexing, professeur de swing d’une trentaine d’années, vivant à Shanghai, n’aurait imaginé que son challenge de danse lancé sur internet en février dernier pour remonter le moral de ses élèves confinés à Wuhan, connaîtrait une destinée mondiale ! Le « Capital Idea Challenge », chorégraphie d’une minute sur une musique de jazz très entraînante de Gene Krupa, a été relevé par plus de 35 pays à ce jour. Il s’est propagé à l’image de l’épidémie : d’abord en Chine, puis en Italie où il a explosé, avant de gagner les États-Unis. Entretien.

Contexte

L’engouement du « Capital Idea Challenge » fait écho au regain de popularité que connaît le swing, cette danse qui fusionnne jazz, claquettes et charleston, depuis une trentaine d’années dans le monde, notamment en Asie. Ode au positivisme et au partage, le swing, pourtant né dans les ballrooms de Harlem, à la fin des années 1920, en pleine ségrégation raciale et pire dépression économique que les États-Unis aient jamais connue, est un formidable anti-dépresseur ! Peut-être l’une des raisons pour laquelle, en cette période d’incertitude et de « distanciation sociale », le challenge de Huang Yuexing, imaginé depuis son petit village natal du Yunnan en confinement chez ses parents, a reçu un tel écho.

Voir le tutoriel du « Capital Idea challenge » par Huang Yuexing:
Comment vous est venue l’idée de ce challenge de danse sur Internet ?
A vrai dire, je n’ai jamais imaginé de « challenge » à proprement parler. Tout cela a commencé mi-février quand la Chine était en quarantaine. A cause du virus, je me suis retrouvé coincé chez mes parents dans le Yunnan où j’étais rentré pour les fêtes du Nouvel An chinois. J’en ai d’ailleurs profité pour mettre ma mère au swing ! (Rires) En tant que professeur de danse, je voulais trouver des moyens pour que mes étudiants gardent le moral à distance, surtout ceux de Wuhan où je vais régulièrement enseigner depuis deux ans. J’avais vraiment le sentiment que je devais faire quelque chose pour eux. Je me suis donc mis à créer des tutoriels de « solo jazz » [une forme de swing précurseur du funk et du hip hop, qui se danse seul – plus aisé en confinement ! NDLR] que je postais dans des groupes fermés sur WeChat. Ce sont des amis danseurs de Thaïlande et de Malaisie, présents dans ces groupes, qui ont reproduit l’une de mes chorégraphies et l’ont postée sur Facebook. Je me suis alors mis à recevoir quelque 70 vidéos de danseurs de Chine, du Vietnam, de Corée du Sud et de Singapour qui, en parallèle, se taguaient sur Facebook et nommaient d’autres danseurs pour qu’ils reproduisent la chorégraphie à leur tour. C’est également ce qu’a fait une swingueuse chinoise vivant en Italie. A partir de là, le challenge est devenu mondial.
Le tutoriel de votre chorégraphie, mêlant une partie imposée et une libre, a été visionné autour de 25 000 fois sur YouTube et reproduite par près d’un millier de personnes. Avez-vous eu des surprises ?
Plein ! Le challenge m’a surtout permis de découvrir des pays dont j’avais entendus parler pour la dernière fois en cours d’histoire-géo au lycée, comme l’Ouganda ou le Chili. Je peux vous dire que je connais les salons du monde entier maintenant ! D’ailleurs, certains d’entre eux sont super cossus – nous qui, en Chine, vivons dans des appartements petits et de plus en plus chers. A la place de certains, je me referais bien confiner ! (Rires)
Voir la compilation des vidéos du « Capital Idea challenge » à travers le monde :
Vous attendiez-vous à ce succès ?
Non, pas du tout ! Je n’aurais jamais pensé que cela prendrait une telle dimension ! Pour moi, c’est d’abord la confirmation que la danse est un langage universel, quelles que soient les périodes que nous traversons. Nous avons tous besoin d’évacuer la pression. La danse est un merveilleux moyen d’engranger de la joie et de faire que son cerveau cesse de réfléchir. Le tout, gratuitement ! C’est le moyen le moins cher d’accéder au bonheur. Et puis, au risque de paraitre béat, je me dis vraiment que nous sommes plus forts ensemble. Certaines vidéos que j’ai reçues n’auraient pas donné grand-chose seules mais, compilées avec d’autres, le résultat est super !
Quelle conclusion en tirez-vous ?
Je retiens la solidarité qui s’est illustrée dans ce challenge, le fait que chacun se soit motivé pour le faire et les nouvelles idées mises en commun pour l’enrichir. Pour moi, c’est avec des énergies positives comme celles-là que l’on pourra changer le monde. C’est peut-être ça, la « Capital Idea » que j’en retire ! [Référence au morceau du challenge : Capital Idea de Gene Krupa, 1954 – NDLR]
De manière plus générale, le swing est très populaire aujourd’hui en Asie. En Chine, 22 villes comptent des écoles. La Corée du Sud possède la plus grosse scène mondiale, loin devant New York, le berceau du mouvement, avec 8 000 danseurs rien qu’à Séoul. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Oui, le swing est très populaire aujourd’hui en Asie, auprès d’une certaine jeunesse « bobo ». Pour répondre sur la Chine, cette mode a un lien indéniable avec le développement économique. Aujourd’hui, la jeunesse chinoise veut ressembler aux teenagers du monde entier. Contrairement aux pays occidentaux qui s’enthousiasment pour le tai-chi ou le kung-fu, nous voulons des choses nouvelles, suivre les modes internationales. De la même manière qu’aux États-Unis, peu de gens dansent le swing, alors que cette danse est née là-bas. Par ailleurs, je pense que le swing se fait aussi une place ici parce que les mœurs changent. Notamment en ce qui concerne le rapport au corps et à l’intimité. Du temps de mes parents, dans les années 1970, les danses proches physiquement étaient mal vues. Il fallait garder ses distances, surtout en public. Il y a encore dix ans, vous n’auriez pas vu de câlins ou d’embrassades dans la rue, alors qu’aujourd’hui, cela se pratique largement ! Enfin, je pense que la jeunesse chinoise vient également au swing parce qu’elle est en quête d’autre chose. Ces dernières décennies, la société de consommation s’est considérablement développée. Aujourd’hui, les Chinois ne veulent plus seulement consommer. La jeunesse veut vivre des moments heureux qui suscitent des émotions et qui ne soient pas seulement virtuels. Et c’est ce que procure le swing.
Pour vous, le succès du swing a aussi un lien indirect avec la politique de l’enfant unique. Comment cela ?
En Chine, la politique de l’enfant unique a fait beaucoup d’enfants pourris gâtés, avec des difficultés de communication. Or le swing a la force de connecter les gens entre eux. Quand on débute cette danse, la première chose que l’on apprend, c’est à prendre la main d’un partenaire. Dans mes cours débutants à Shanghai, personne n’ose. Les élèves ont peur d’être rejetés. Ils me regardent toujours d’un air de dire : « Qu’est-ce qu’on doit faire ? » Je leur réponds : « Mais c’est ton partenaire que tu dois regarder, pas moi. » Je pense que le swing, pour la génération d’enfants uniques dont je fais partie, est un bon moyen d’exercer et d’améliorer ses capacités de communication. Le swing m’a moi-même changé ! J’ai longtemps été quelqu’un avec lequel il était difficile de travailler. J’avais des idées assez arrêtées et très confiance en moi. Or en swing, il faut apprendre à coopérer avec un partenaire. Tu te dois d’être à son écoute et de trouver le bon moment, si tu veux lui faire passer le mouvement que tu as en tête. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus attentif aux autres. D’ailleurs, la chanson du challenge, Capital Idea, et ce concept-même de challenge, ne sont pas venus de moi mais d’amis que j’ai écoutés. Pour moi, la danse est une leçon de vie.
Maintenant que la Chine expérimente le déconfinement, que se passe-t-il pour ce challenge et pour vous ? Cela vous en inspire-t-il d’autres ?
Je suis maintenant de retour à Shanghai, où la vie revient plus ou moins à la normale, à 70 % je dirais. Mon école de swing à réouvert la semaine dernière et les soirées sont censées reprendre très prochainement. Cela fait évidemment du bien d’être déconfiné, même si l’on sent une partie de la population encore très anxieuse. Si je suis heureux d’avoir essayé de combattre un virus négatif par un « virus positif » – pour moi, la danse est un « virus », tant elle impacte nos vies par la joie qu’elle procure – je préfère développer mes projets de swing dans la vie réelle. On danse pour ça ! Les vraies interactions humaines, c’est quand même vachement mieux !
Propos recueillis par Lily Éclimont

Les meilleures vidéos du challenge

En Thaïlande :

Au Vietnam :

En Chine :

En Corée du Sud :

En Italie :

Aux États-Unis, en France et en Espagne :

Voir toutes les vidéos de la chaîne YouTube de Huang Yuexing : Swing Topia.

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A propos de l'auteur
Lily Eclimont est journaliste, spécialiste de la Chine. Après avoir débuté le chinois à l’âge de 14 ans, elle a poursuivi ses études de sinologie aux Langues’O, avant de devenir correspondante de TF1 et LCI à Pékin. Elle travaille aujourd’hui pour les émissions de magazine de la chaine. Pour Sept à Huit notamment, elle est beaucoup retournée en Chine ces dernières années réaliser des sujets sur la société et la culture chinoises.