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Cinéma à Vesoul : "China dream" ou la fin du rêve à Datong

Image du documentaire "China dream" de Thomas Licata et Hugo Brilmaker sur Datong, la ville qui se rêvait capitale touristique de la Chine de Xi Jinping. (Crédit : DR)
Image du documentaire "China dream" de Thomas Licata et Hugo Brilmaker sur Datong, la ville qui se rêvait capitale touristique de la Chine de Xi Jinping. (Crédit : DR)
Longtemps connue pour ses mines de charbon, Datong, dans le Shanxi, s’imaginait devenir un symbole de réussite du « rêve chinois » de Xi Jinping. Le centre historique de cette ancienne cité impériale aurait attiré des millions de touristes pendant que sa nouvelle ville aurait accueilli sa nouvelle classe moyenne. Mais écrasée par sa dette, Datong n’a pas réussi à relever le défi. Pendant plusieurs mois, les réalisateurs Thomas Licata et Hugo Brilmaker y ont posé leurs caméras. Leur documentaire, China Dream, était projeté dans le cadre du festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul le 12 février dernier.
Des immeubles à perte de vue, une muraille déserte et, quelques kilomètres plus loin, un centre historique laissé à l’abandon. Depuis dix ans, Datong s’est métamorphosée pour devenir un symbole du « rêve chinois » de Xi Jinping, ce grand projet de « renaissance » qui veut faire de la Chine une nation « entièrement développée » autour d’une classe moyenne majoritaire.
Associée au charbon et à la mine, Datong a longtemps été connue pour ses usines pétrochimiques. En 2008, Geng Yanbo, fraîchement nommé maire, se met en tête de faire de la ville un grand site touristique. Pour cela, il veut renouer avec le passé prestigieux de cette ancienne cité impériale, capitale il y a 1 600 ans de la dynastie Wei.
Point central du documentaire de Thomas Licata et Hugo Brilmaker, une grande muraille de 14 mètres de hauteur et autant de largeur, située au centre de Datong. C’était le premier grand chantier de Geng Yanbo. « À l’origine, nous voulions nous focaliser sur ce lieu, devenu point névralgique de la ville et construit au nom d’un héritage historique », explique Thomas Licata. « Ce bâtiment n’a en réalité rien d’ancien ! ll est sorti de terre en quelques mois dans le seul objectif d’attirer les touristes étrangers. »

« On ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux »

Quelques kilomètres plus loin, là où se trouvait le centre historique de Datong, de vieilles maisons en pierres tiennent encore difficilement debout au milieu des ruines de celles déjà tombées. Des affiches, accrochées à intervalles réguliers, invitent les derniers habitants à quitter les lieux. Un homme, âgé d’environ 80 ans, explique aux réalisateurs qu’il refuse de quitter sa maison. « Elle a été construite il y a 700 ans ! C’est un patrimoine », plaide t-il. Sa voisine, elle, refuse de rejoindre la ville moderne où elle n’a aucun repère.
Pour créer sa grande cité touristique, le maire a préféré raser ces pâtés de maisons historiques avec ses logements traditionnels. Il a reconstruit en neuf, mais aux allures d’ancien, à un autre endroit de la ville. « On ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux. Il y a une déperdition totale de la tradition au nom de la modernité », déplore Thomas Licata. « Dans le documentaire, nous montrons ce vieil homme qui regarde un tas de débris avant de disparaître derrière. C’est bien l’image de la disparition de l’ancienne génération au profit de la nouvelle génération », poursuit Hugo Brilmaker.

Une ville fantôme

À l’est de la ville, de gigantesques quartiers résidentiels sont sortis de terre en quelques années. « Des forêts d’immeubles qui se ressemblent tous », « des avenues à perte de vue », décrivent les réalisateurs. « Quand on observe cette nouvelle ville, on a l’impression d’avoir un mélange entre l’urbanisme du communisme de l’URSS, avec le capitalisme américain et le socialisme à la chinoise. »
La Chine est parsemée de ces nouvelles villes sans âme, construites frénétiquement après la crise financière de 2008. Elles étaient destinées à accueillir une nouvelle classe moyenne qui n’est finalement jamais venue. « Nous avons affaire à une logique d’offre supérieure à la demande », explique Thomas Licata. Et son acolyte d’ajouter: « On ne peut pas prédire l’avenir. Certaines villes se rempliront peut-être dans les prochaines décennies. Mais il y a fort à parier que ces immeubles ne tiendront pas jusque-là et qu’il faudra tout reconstruire. » En 2015, une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT) estimait à 50 le nombre de villes vides en Chine.

« La ville la plus rentable, la plus confortable, la plus touristique »

Ces villes champignons, comme aiment les surnommer les deux réalisateurs, sont sorties de terre alors que Pékin encourage les investissements pour soutenir la croissance. « Cela a entraîné une compétition entre maires des différentes villes. Il faut avoir la ville la plus rentable, la plus confortable, la plus touristique, explique Thomas Licata. Les maires mettent même en ligne des teasers sur Internet pour faire leur publicité et attirer la population, les touristes et les investisseurs. »
Si les travaux engagés par Geng Yanbo ont d’abord été financés par la vente massive de terrains à des promoteurs, le nombre de ventes à fini par se tarir. Lorsque le maire, fort de ses nombreux projets, est finalement nommé gouverneur de la province, il laisse sa ville fortement endettée et ses travaux inachevés. « A partir de 2017, son successeur est parvenu à finir les chantiers. Mais il a voulu à son tour lancer des projets d’envergure pour faire ses preuves. Il a donc relancé des travaux », poursuit Thomas Licata. Aujourd’hui, faute d’être devenue la capitale touristique espérée, Datong est l’un des symboles du surendettement des collectivités locales en Chine.

Un outil de soft power ?

A travers leur documentaire, maillé de nombreux plans fixes et de survols de Datong, les deux réalisateurs ont voulu montrer la nouvelle réalité de cette ville. « Ce que nous avons voulu mettre en avant, explique Hugo Brilmaker, ce sont les conséquences de cette transition éclair, presque insaisissable, vers la modernité au nom du « China dream ». »
Derrière ce développement urbain, les deux passionnés de science-fiction et de dystopies s’interrogent sur les conséquences pour les populations. « Cet urbanisme, où la modernité est le mot d’ordre, questionne Thomas Licata, n’est-il pas aussi un moyen pour le gouvernement d’asseoir son contrôle sur la population ? »
Par Cyrielle Cabot

Le Palmarès du Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul 2020

Cyclo d’honneur : Jay Jeon (Corée du Sud), directeur du festival International du Film de Busan en Corée, pour honorer l’ensemble de sa carrière.

Cyclo d’or : Mariam de Sharipa Urazbayeva (Kazakhstan) « pour le portrait poignant d’une femme en lutte pour la survie de sa famille dans une société traditionnelle ».

Grand prix du jury international : Just Like That de Kislay Kislay (Inde) « pour le sensible portrait d’une femme âgée prenant son indépendance et sa liberté une fois devenue veuve ».

Prix du jury international : ex aequo John Denver Trending d’Arden Rod B. Condez (Philippines) « pour la manière très intelligente d’aborder le thème actuel du harcèlement sur les réseaux sociaux sur la jeunesse » et A Bedsore de Shim Hye-jung (Corée du Sud) « pour la subtile description de la fin de vie d’une personne et ses conséquences sur sa famille et son entourage ».

Prix du jury Netpac (network for the promotion of Asian Cinema) : Saturday afternoon de Mostaga Sarwar Farooki (Bangladesh) « pour la dénonciation du recours à la violence au nom de la religion et à des fins politiques ».

Prix de la critique : John Denver Trending d’Arden Rod B. Condez (Philippines)

Prix Inalco : A Bedsore de Shim Hye-jung (Corée du Sud)

Coup de cœur Inalco : Just like that de Kislay Kislay (Inde)

Prix du public du film de fiction : John Denver Trending d’Arden Rod B. Condez (Philippines)

Prix du Jury lycéen : Saturday Afternoon de Mostofa Sarwar Farooki (Bangladesh)

Prix du public du film documentaire : We Must clown de Dima Al-Joundi (Liban)

Prix du jury jeune : A punk daydream de Jimmy Hendrickx & Kristian Van der Heyden (Belgique)

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A propos de l'auteur
Jeune journaliste diplômée de l’école du CELSA (Paris-Sorbonne), Cyrielle Cabot est passionnée par l’Asie du Sud-Est, en particulier la Thaïlande, la Birmanie et les questions de société. Elle est passée par l’Agence-France Presse à Bangkok, Libération et Le Monde.