Environnement
Tribune

25 ans après le séisme de Kobe, la résilience du Japon toujours en question

Kobe en flammes le 17 janvier 1995, le jour du séisme. (Crédit : ville de Kobe)
Kobe en flammes le 17 janvier 1995, le jour du séisme. (Crédit : ville de Kobe)
Il y a un quart de siècle, le violent tremblement de terre de Hanshin-Awaji touchait durement la ville de Kobe et ses environs, le 17 janvier 1995, tôt le matin. Le bilan de cette catastrophe urbaine fut très lourd. Pas moins de 6 434 personnes sont mortes directement (surtout en raison de l’effondrement de constructions), mais aussi indirectement. Jusqu’à 316 700 personnes ont été contraintes de vivre dans des centres d’évacuation, dans le froid, souvent sans accès aux toilettes et à une alimentation suffisante, entassées et sans respect de leur vie privée. La catastrophe a coûté l’équivalent de 10 % environ du budget de l’État cette année-là. Outre la puissance et localisation de l’épicentre du séisme, à proximité d’une zone densément peuplée, le manque d’attention et la faible préparation expliquent la gravité des dommages. De quoi faire voler en éclat le mythe de la sécurité, construit petit à petit durant une période de prospérité et d’absence de grandes catastrophes.
Avec le slogan « Faisons de notre mieux, Kobe ! », l’objectif était de reconstruire, non pas à l’identique, mais en mieux. En parallèle, il s’agissait d’améliorer les actions destinées à réduire les dégâts en cas de nouvelle catastrophe. Ce processus de reconstruction, long et difficile, est aujourd’hui terminé, en tout cas selon le maire de Kobe.
Les leçons de cette grande catastrophe sismique sont nombreuses. Le Japon n’a cependant pas su toutes les exploiter. En réalité, la société nippone actuelle n’est pas aussi résiliente qu’on le prétend parfois, c’est-à-dire capable de réduire les dégâts et de se relever rapidement après une catastrophe.

Aucune région à l’abri

Cérémonie de commémoration de la catastrophe sismique de Kobe, dans l'arrondissement de Chuo. (Crédit : Ville de Kobe)
Cérémonie de commémoration de la catastrophe sismique de Kobe, dans l'arrondissement de Chuo. (Crédit : Ville de Kobe)
Pour 2020, il a été décidé d’écrire le mot « graver » en grands caractères de feu lors de la commémoration de ce 17 janvier à Kobe. L’idée est de rendre durable à la fois la mémoire de la catastrophe et l’espoir pour l’avenir. Plus généralement, début janvier, le gouverneur du département de Hyogo (Kobe) a réaffirmé les principes à suivre : « Ne pas oublier la catastrophe sismique, bien utiliser les expériences et les leçons, transmettre et prendre des précautions contre les prochaines catastrophes. »
Depuis le 17 janvier 1995, le Japon a connu vingt autres tremblements de terre meurtriers, dont ceux de mars 2011 dans l’est du pays et d’avril 2016 à Kumamoto. D’autres se produiront forcément, dans la fosse de Nankai, directement sous la capitale ou bien ailleurs. Y compris là où on s’y attend le moins. Il faut en effet bien avoir conscience qu’aucune région n’est davantage à l’abri qu’une autre et qu’un tremblement de terre destructeur peut se produire n’importe où, n’importe quand dans l’Archipel, où la population vit entre deux catastrophes.
Incendie dans le quartier Hiyoshicho de l'arrondissement de Nagata à Kobe, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
Incendie dans le quartier Hiyoshicho de l'arrondissement de Nagata à Kobe, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
Incendie dans l'arrondissement Nagata à Kobe, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
Incendie dans l'arrondissement Nagata à Kobe, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
« Je souhaite que cette année soit une année sans catastrophe », a déclaré l’empereur Naruhito lors de ses vœux pour l’année 2020. Si tout le monde l’espère évidemment, le principe de « résilience » au Japon consiste plutôt à supposer que les catastrophes naturelles arriveront nécessairement, de façon à améliorer la préparation, réduire les impacts négatifs et se rétablir efficacement. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une idée inédite. Rappelons ce qu’a écrit le physicien et écrivain japonais Torahiko Terada (1878-1935) : « On ne sait pas quand cela arrivera, mais cela arrivera certainement. Le plus important est de se préparer dès maintenant pour y parer le moment venu. »

Des points faibles dans la résistance des constructions

La majorité des victimes sont mortes dans le quart d’heure suivant le séisme de Hanshin. Pour atténuer les risques sismiques, l’une des principales mesures structurelles prises après la catastrophe a consisté à renforcer la mise aux normes antisismiques des bâtiments et autres infrastructures. De nets progrès ont été constatés en la matière : plus de 90 % des établissements publics, tels que les écoles et les hôpitaux, servant de base de prévention des catastrophes, sont aujourd’hui résistants aux secousses, contre moins de la moitié vingt ans auparavant. Ce tableau doit toutefois être nuancé : du retard a été pris concernant ces établissements dans certains départements, ou s’agissant de certaines infrastructures vitales. C’est à se demander si tous les efforts possibles ont vraiment été fournis. Pour ce qui est des habitations, si la moyenne des maisons résistantes était de 82 % en 2013, l’objectif de 95 % en 2020 semble trop difficile à atteindre. En cause, le coût de la mise aux normes, difficilement supportable, surtout pour les personnes âgées et habitants à faibles revenus.
Dans le gymnase d'un établissement scolaire de l'arrondissement Chuo à Kobe, transformé en centre d'évacuation, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
Dans le gymnase d'un établissement scolaire de l'arrondissement Chuo à Kobe, transformé en centre d'évacuation, le 17 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
De nombreux incendies se sont également déclarés et n’ont pas pu être rapidement maîtrisés. Plusieurs raisons à cela, dont des coupures d’eau et des obstacles (débris, poteaux électriques) dans les rues, empêchant la circulation des véhicules de secours. Dans la métropole de Tokyo, les quartiers vulnérables aux incendies sont encore nombreux et 16 000 personnes pourraient périr dans les flammes lors d’un puissant séisme sous la capitale. Malgré les initiatives du département, l’objectif fixé pour 2020 afin d’éviter la propagation des incendies ne sera sans doute pas atteint. Le projet d’enterrer les lignes électriques est également très en retard, 98,75 % du réseau dans le pays restant aérien fin 2017, principalement pour une raison financière.
Pour ce qui est de la préparation, les habitants qui ont participé à des exercices annuels de prévention organisés par l’État, les collectivités locales et les associations des habitants restent toujours minoritaires, faute de temps principalement, mais aussi de manque d’information ou de difficulté d’accès. Or l’importance du rôle des exercices est connue. Elle sert surtout à saisir l’importance de l’auto-sauvetage et de l’entraide face aux limites des mesures prises par l’administration.

Plus de 5 000 décès indirects depuis 1995

À proximité de la rue commerçante Takatori dans l'arrondissement de Nagata à Kobe, le 18 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
À proximité de la rue commerçante Takatori dans l'arrondissement de Nagata à Kobe, le 18 janvier 1995. (Crédit : Ville de Kobe)
Concernant la gestion des catastrophes, le nombre de décès indirects dus aux conditions de vie difficiles et au manque de soins dans la période d’évacuation, est toujours extrêmement élevé, alors que ces personnes devraient et pourraient être sauvées. Selon une enquête de l’auteur, 5 026 personnes sont décédées indirectement à la suite de catastrophes naturelles ces vingt-cinq dernières années. Peut-être plus, compte tenu de l’absence de normes unifiées par l’État et du taux de reconnaissance qui varie d’une collectivité à l’autre. Soit l’équivalent d’une autre catastrophe majeure. Les proportions de décès indirects dépassent parfois la moitié du nombre de victimes, comme lors des désastres sismiques de Niigata en 2004 (76 %) et de Kumamoto en 2016 (80 %).
De nombreuses mesures ont certes été prises depuis le séisme de 1995. Parmi elles, l’amélioration des conditions de vie dans les refuges : installation de chauffage et d’air conditionné, introduction de lits de fortune faits de carton ondulé ou envoi d’équipes médicales spécialisées sur place. Mais ces mesures restent à mi-chemin et devraient être renforcées.

Toujours pas de ministère de la prévention des catastrophes

La capacité à résister, à se remettre et à rebondir paraît aussi difficile en l’absence de ministère de la prévention des catastrophes. Un tel ministère se chargerait de manière unifiée des mesures de prévention à mettre en place, de la gestion des désastres naturels de grande ampleur et d’une reconstruction rapide et efficace, en s’appuyant sur des leçons et connaissances renouvelées et en centralisant les budgets et personnels. Le Premier ministre Shinzo Abe ne semble toutefois pas prêt à franchir le pas, alors que la nécessité d’un tel organisme est régulièrement mise en avant depuis le grand tremblement de terre de 1995, surtout pour parer aux catastrophes majeures à venir. Il faut bien avoir conscience que tous les blessés ne pourront pas être soignés dans les hôpitaux et que tous les sinistrés ne pourront pas trouver une place dans un centre d’évacuation.
Au niveau territorial, fin 2019, moins de 7 % des municipalités japonaises avaient élaboré un « plan local pour la solidification du territoire ». Ce texte vise à maintenir les fonctions sociales et économiques en cas de catastrophe, en prenant des mesures de prévention et de réduction des dégâts, y compris en matière d’urbanisme participatif. Si d’autres collectivités locales ont prévu d’en élaborer à l’avenir et si différentes collectivités associent depuis quelques années administration et habitants pour réfléchir à une « reconstruction en avance », il est nécessaire d’accélérer le mouvement.

Face au « déclin de la culture des catastrophes »

Le Japon doit relever de nombreux défis s’il veut augmenter sa capacité à minimiser les dommages, à se rétablir vite et à devenir plus fort. Ce sera d’autant plus difficile que le pays fait face au vieillissement et à une baisse de sa population, au relâchement des liens familiaux et sociaux, en même temps qu’à une diminution continue du nombre de pompiers volontaires, à l’absence de fonctionnaires chargés de la prévention des catastrophes dans les petites municipalités, à une érosion de la mémoire des désastres ou encore à un affaiblissement du sentiment de crise. En résumé, à ce que le professeur Yoshiaki Kawata, directeur du Centre pour l’avenir des hommes et de la prévention des catastrophes de Kobe, appelle un « déclin de la culture des catastrophes ».
Pour lui redonner de la vigueur, en plus de renforcer l’atténuation des risques et la préparation quotidienne, il est important que l’éducation à la prévention des catastrophes soit consolidée. Il faut également que les habitants étudient davantage leur propre lieu de vie et apprennent plus en détail les catastrophes qui s’y sont produites. Il doivent imaginer les dégâts à venir et, par le dialogue entre eux et avec les spécialistes et les autorités, planifier en avance la ville durable et la société à reconstruire demain. Qu’elles soient moins vulnérables et qu’elles donnent à tous plus de chance de rester en vie, pendant et après un tremblement de terre ou d’autres aléas naturels. C’est à ce moment-là qu’il sera possible de parler d’un Japon réellement et globalement résilient. Les initiatives existent. Il reste à les généraliser.
Par Jean-François Heimburger

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A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).