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Tribune

Chine : la "question ouïghoure" et la guerre commerciale avec Washington

Manifestation de Ouïghours contre la répression au Xinjiang, devant la Maison Blanche, à Washington le 28 juillet 2009. (Source :Foreign Policy)
Manifestation de Ouïghours contre la répression au Xinjiang, devant la Maison Blanche, à Washington le 28 juillet 2009. (Source :Foreign Policy)
Levée de bouclier à Pékin. Après la loi sur la démocratie et les droits de l’homme à Hong Kong promulguée par Donald Trump, les États-Unis s’avancent sur l’internement massif des Ouïghours, entre autres, dans la région chinoise du Xinjiang.
Depuis un an et demi, la Chine est aux prises avec un complexe sinon coûteux contentieux commercial avec les États-Unis. Depuis un semestre, Pékin affronte une situation quasi-insurrectionnelle inédite à Hong Kong depuis la rétrocession à la mère-patrie en 1997 – sur ce point, elle est observé de près par le concert des nations. Les autorités chinoises s’irritent ces dernières semaines de l’irruption sur la place publique d’un autre dossier ici encore fort sensible, que Pékin souhaiterait soustraire du regard extérieur pour lui conserver des atours strictement domestiques.
*Un groupe ethnique turcophone et musulman (sunnite) rassemblant en Chine – au Xinjiang notamment – une dizaine de millions d’individus. Environ 300 000 autres Ouïghours sont ventilés dans divers pays d’Asie centrale. **Autrefois dénommée Turkestan oriental, aujourd’hui officiellement Région autonome ouïghoure du Xinjiang, étirée sur 1,6 million de km² (trois fois la superficie de l’Hexagone…) et confinant avec huit pays distincts (dont la Russie, l’Afghanistan, l’Inde et le Pakistan…). ***Le texte appelle également Donald Trump à sanctionner Chen Quanguo, secrétaire du Parti communiste de la province du Xinjiang, ce qui serait une première historique.
Il ne s’agit pas de la question tibétaine, dont le traitement dans les médias et les débats en Occident se font de plus en plus rares et timides ces dernières années. Il s’agit du sort réservé à la minorité musulmane ouïghoure* de la province chinoise du Xinjiang**, à qui les grands médias internationaux consacrent ces derniers jours une attention on ne peut plus méritée. Les parlementaires américains de la Chambre des représentants ont par ailleurs dédié début décembre un projet de loi (Uyghur Human Rights Policy Act) exigeant de la Maison Blanche la condamnation*** des abus dont sont victimes les Ouïghours et la fermeture des camps de rééducation – de simples « centres de formation professionnelle » selon les autorités du Xinjiang. Plusieurs centaines de milliers de ces malheureux y seraient internés, sinon bien davantage. Les Nations Unies ainsi que diverses ONG œuvrant à la protection des droits de l’homme estiment à un voire deux millions le nombre de personnes d’ethnie majoritairement ouïghoure arrêtées puis internées ces dernières années dans ces camps. Un internement massif organisé dans le cadre de la « campagne anti-terroriste » lancée au lendemain de l’attentat contre la gare de Kunming, la capitale du Yunnan. L’attaque a fait 31 victimes et 140 blessés le 1er mars 2014. Elle est attribuée par les autorités chinoises à des militants ouïghours radicaux.
Une vision moins sévère, plus avantageuse et policée est dispensée par les autorités de cette austère province du Nord-Ouest chinois. Relayée par la presse d’État, cette vision se caractérise par un déni qui confine à l’ironie : selon Shohrat Zakir, le gouverneur du Xinjiang, « à l’heure actuelle, les stagiaires ayant participé [à ces périodes de rééducation forcée] ont tous obtenu leur diplôme. Avec l’aide du gouvernement, des emplois stables ont été créés et leur qualité de vie s’est améliorée. » Les « stagiaires » apprécieront. De fait, ils ne sont pas les seuls à remettre en cause la présentation officielle des faits. Les médias occidentaux et les responsables politiques nord-américains contestent en des termes univoques cette version aseptisée de la réalité.

« Prix à payer »

Une telle critique est jugée à la fois partiale et intolérable à Pékin, qui ne compte pas comme il se doit la laisser impunie. « Les États-Unis commencent à s’agiter et ont entrepris une campagne de diffamation contre le Xinjiang. Mais aucune force ne peut arrêter les progrès du Xinjiang vers la stabilité et le développement », s’est ainsi emporté le représentant de Pékin dans la région. Ce dernier taxe « d’ingérence grossière dans les affaires intérieures de la Chine » le projet de loi du Congrès américain. Dans une veine assez proche, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères tonnait quant à lui sur le sujet, à l’endroit de l’ingérante Amérique : « Imaginez-vous que si l’Amérique adopte des mesures visant à nuire aux intérêts de la Chine, nous demeurerons sans réagir ? Les mauvaises paroles et les mauvaises actions ont chacune un prix à payer. » À bon entendeur.
Ces derniers jours, la presse officielle chinoise ne s’est guère montrée plus mesurée sur cette thématique sensible, à la hauteur de l’ire des autorités. Avant de laisser poindre de possibles mesures de représailles de la part de Pékin, pour qualifier le récent projet de loi honni du Congrès américain, le quotidien China Daily n’hésitait pas à parler d’un « coup de poignard dans le dos, alors même que Pékin s’emploie à stabiliser les relations déjà tumultueuses entre la Chine et les États-Unis d’Amérique. » Pour rappel, le 27 novembre dernier, le Congrès votait le Hong Kong Human Rights and Democracy Act of 2019, lequel exige que le gouvernement américain impose des sanctions aux autorités politiques chinoises et de Hong Kong responsables de violations des droits de l’homme dans l’ancienne colonie britannique. Dans son édition du 4 décembre, un éditorialiste du très nationaliste Global Times assénait à ses lecteurs : « La Chine doit se préparer à une bataille à long terme avec les États-Unis. » Ni plus ni moins.

A lire

Les derniers jours (au pouvoir…) de Kim Jong-un, par Olivier Guillard, 2019.

Couverture du Livre "Les derniers jours (au pouvoir...) de Kim Jong-un" par Olivier Guillard. (Copyright : Olivier Guillard)
Couverture du Livre "Les derniers jours (au pouvoir...) de Kim Jong-un" par Olivier Guillard. (Copyright : Olivier Guillard)

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.