Culture
Entretien

Cinéma coréen : "The House of Hummingbird" de Kim Bora, la subtilité des émotions

Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. L'actrice sud-coréenne Park Ji-hoo dans le rôle de Eun-hee. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. L'actrice sud-coréenne Park Ji-hoo dans le rôle de Eun-hee. (Crédit : DR)
En quatorze années, le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) s’est construit une solide réputation de découvreur de talents. Cette année encore, la sagacité de ses programmateurs n’a pas fait défaut puisqu’il a invité la réalisatrice Kim Bora, multi-récompensée pour son premier long-métrage, The House of Hummingbird. Le film nous replonge en 1994 dans le quotidien de Eun-hee, une collégienne coincée entre des parents qui se disputent, une soeur qui fait le mur et un frère à la main lourde. Pas très populaire à l’école, la jeune fille vit au jour le jour, questionne son coeur et son avenir sans être bien certaine de la route à prendre. L’arrivée d’une nouvelle professeure bienveillante va permettre à Eun-hee de changer de regard sur le monde qui l’entoure. Un film aérien et sensible qui place l’être humain en son coeur. Rencontre avec la réalisatrice du plus beau film de cette édition 2019.

Entretien

Née en 1981, Kim Bora est une réalisatrice coréenne, diplômée de l’université Dongguk de Séoul et de l’université de Columbia aux États-Unis qu’elle rejoint en 2007. Après avoir remporté plusieurs prix en 2011 grâce son court-métrage de fin d’études The recorder exam, Kim Bo-ra rentre en Corée du Sud et commence à écrire le scénario de son premier long-métrage, tout en donnant des cours de cinéma à l’université. Il lui faudra sept ans de ténacité pour enfin réaliser son rêve et tourner The House of Hummingbird. Un film sensible qui replonge le spectateur dans son adolescence et enchaîne les récompenses partout où il passe : Sundance, Berlin, Istanbul, Tribeca, Jerusalem… Partout, sauf Paris, puisque les spectateurs du FFCP ont préféré primer un film plus accessible et grand public prenant pour cadre la colonisation japonaise : Mal.Mo.E de la réalisatrice Eom Yu-na.

La réalisatrice sud-coréenne Kim Bora. (Crédit : DR)
La réalisatrice sud-coréenne Kim Bora. (Crédit : DR)
Quel est votre premier souvenir de cinéma ?
Kim Bora : Le premier qui me revient en tête, c’est Les aventures du Baron de Münchhausen de Terry Gilliam, avec Uma Thurman. Ce n’est pas le tout premier film que j’ai vu, mais le premier qui m’a marquée. Comme j’étais très jeune, je ne faisais pas encore bien la différence entre fiction et réalité, je pensais que c’était vrai. L’histoire était tellement absorbante, j’étais tellement captive, je suis complètement tombée dedans.
Vous alliez beaucoup au cinéma quand vous étiez petite ?
Il n’est pas très bien vu d’aller au cinéma quand on est jeune en Corée du Sud. On est rapidement catalogué comme un voyou si on sort trop souvent. Je ne peux pas dire que j’y allais tout le temps mais je pense que j’y allais plus que la moyenne. Je voyais surtout les films commerciaux de l’époque comme Titanic, Matrix, etc.
Quand vous vous êtes décidée à faire du cinéma ?
En fait, je suis ne pas allée dans un lycée d’art par vocation mais plutôt parce que je n’avais pas envie d’aller dans une filière d’un lycée général. J’ai pu alors me rendre plus souvent au cinéma et découvrir des festivals de courts-métrages. J’ai même participé à celui organisé par l’université de Dongguk dans laquelle j’ai fait mes études par la suite. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est que ce genre de festival offre la possibilité de voir des films indépendants qui présentent les personnes mises à l’écart de la société comme des gens normaux. Dans la vraie vie, ces personnes sont méprisées parce qu’elles sont différentes et on recommande de ne pas les fréquenter. C’est pour ça que j’ai décidé de faire des films.
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Eun-hee s'amuse avec sa meilleure amie. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Eun-hee s'amuse avec sa meilleure amie. (Crédit : DR)
Vous avez mis combien de temps à écrire ce film ?
Cela a été long parce que je suis à la fois scénariste, réalisatrice, productrice et qu’en plus j’enseignais le cinéma à l’université. Le début du projet a commencé en 2012 et le tournage n’a commencé qu’en 2017. J’ai passé beaucoup de temps avec ma co-productrice à réunir les investissements. Ce n’était pas simple de le faire en gagnant sa vie à côté mais je pense que c’était une période d’introspection dans laquelle j’ai pris le temps de regarder mon passé.
La réalisatrice taïwanaise Yi-shan Lee qui enseigne également le cinéma, disait en 2017 que les étudiants et les étudiantes de Taïpei n’avaient pas les mêmes ambitions de carrière, les garçons voulant devenir réalisateur et les filles se réservant plutôt pour des rôles en coulisses. Avez-vous ressenti une telle différence chez vos étudiants sud-coréens ?
C’est un petit peu difficile à dire parce que je n’ai pas particulièrement interrogé les étudiants sur cette question. Mais j’avais plus d’étudiantes que d’étudiants. D’ailleurs, mon assistante réalisatrice faisait partie d’une des promos à qui j’enseignais et la plupart des membres de l’équipe de réalisation de mon film sont des femmes. Equipes techniques et actrices comprises, il y avait un peu plus de femmes que d’hommes sur le plateau. C’est assez rare dans le cinéma commercial mais ça ne l’est pas tant que ça dans le cinéma indépendant.
Je me sens peut-être mal placée pour ressentir cette différence face aux choix de carrière, mais en tout cas je trouve que les femmes sont meilleures dans la réalisation et l’écriture de scénario. Elles ont une meilleure compréhension, un meilleur ressenti. Peut-être parce qu’on a toujours été un peu opprimée dans la société. J’ai aussi enseigné à des garçons qui étaient très performants et qui faisaient des choses excellentes, mais je ne suis pas certaine que ces garçons-là soient ceux qui correspondent à la représentation de l’homme viril. Ils étaient peut-être plus sensibles, plus féminin. En tout cas, c’était les filles qui réussissaient le plus souvent à obtenir des prix avec leurs courts-métrages dans les festivals internationaux.
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Kim Sae-byuk campe une professeure bienveillante. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Kim Sae-byuk campe une professeure bienveillante. (Crédit : DR)
Concernant vos actrices, Kim Sae-byuk rayonne particulièrement dans son rôle de professeure, à tel point que le rôle semble écrit pour elle. Comment l’avez-vous convaincue ?
En fait Kim Sae-byuk est une actrice très connue de la scène indépendante sud-coréenne. Elle a joué dans plusieurs films de Hong Sang-soo récemment. C’est un peu bizarre, mais je trouvais qu’elle collait tellement parfaitement au personnage de Young-ji que dans un premier temps, je voulais éviter de lui proposer le rôle. J’ai bien essayé de rencontrer d’autres actrices, mais rien n’y faisait, c’était toujours elle que je gardais en tête. Je me suis dit qu’il fallait tout de même que je la rencontre, et en la voyant, je ne pouvais plus nier l’évidence. Elle a lu le scénario et heureusement, elle l’a beaucoup aimé et a été tout de suite très partante. Elle s’est imposée de façon naturelle.
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. "Il existe différentes formes d'amour", explique la réalisatrice. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. "Il existe différentes formes d'amour", explique la réalisatrice. (Crédit : DR)
Vous avez dit en séance de questions-réponses qu’il existe plusieurs formes d’amours. C’est-à-dire ?
Je suis horripilée par l’image de l’amour qui est véhiculée dans les médias et qui ne concernent que l’amour existant entre un homme et une femme. C’est tellement limité comme idée ! Et puis dans les mélodrames, on ne va souvent montrer que les « premiers émois ». Mais je pense au contraire que dans un couple, le « vrai amour » commence après la lune de miel. Il existe de nombreuses formes d’amours, par exemple entre les membres de la famille, entre les amis, pourquoi pas entre un humain et son animal domestique, ou encore entre un professeur et son élève. Récemment, j’ai découvert l’amour que peut apporter le public et ça me touche énormément. J’ai rencontré tellement de difficultés pour réaliser ce film que c’est un grand réconfort.
A voir, la bande-annonce du film « The House of the Hummingbird » de Kim Bora (VOSTA) :
On m’a demandé au festival de Berlin si la relation entre Eun-he et Young-ji n’allait pas vers un amour lesbien, mais pas du tout. La professeure est une adulte, elle sait comment fonctionne la société : pourquoi se mettrait-elle en couple avec une collégienne ? Cela n’a aucun sens ! Cependant, si la question a été posée c’est que le spectateur reconnaissait là une forme d’amour entre les deux personnages. J’ai vraiment envie de dire qu’il n’y a pas besoin de caractère sexuel pour que l’amour existe. Je pense que lorsqu’on va rencontrer un professeur qu’on aime, eh bien, on peut ressentir une forme d’excitation. C’est le même sentiment qui existe lorsque l’on retrouve un ami qui nous est cher. On est tellement heureux, on est tellement impatient et excité qu’on ressent cet amour.
Votre film est long et il y a de nombreuses scènes où vous posez la caméra et où vous laissez l’instant se suspendre. D’où vous vient cette inspiration ?
Je suis très influencée par les réalisateurs de la nouvelle vague taïwanaise, notamment Hou Hsiao-Hsien, Tsai Ming-liang ou Edward Yang. Ce sont des cinéastes que j’adore. En faisant ce film, je voulais y intégrer comme un effet de méditation. Je voulais que les gros plans fassent plus de quatre secondes pour que l’on ait la possibilité de regarder chaque détail. Il y a par exemple une scène où Eun-hee danse et qui dure deux à trois minutes et d’autres moments où on la voit se perdre dans ses pensées pendant plus de trente secondes. Quand je vous filme, je vais d’abord regarder votre visage. Ensuite je vais peut-être me focaliser sur votre silhouette, puis je vais peut-être faire un focus sur le décor… Prendre ce temps permet au spectateur de se remémorer sa propre histoire et de l’injecter dans l’image. En s’appropriant ainsi l’image, le spectateur la sublime, il la fait sienne. J’ai souvent eu des réactions de spectateurs qui me disaient qu’ils s’étaient reconnus dans telle ou telle situation ou tel personnage. C’était pour moi la meilleure récompense.
Propos recueillis par Gwenaël Germain, avec Ah-Ram Kim (Interprète)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Eun-hee cherche sa voie. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. Eun-hee cherche sa voie. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. (Crédit : DR)
Scène du film "The House of the Hummingbird" de Kim Bora. (Crédit : DR)

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.