Culture
Entretien

Song Kang-ho, le Depardieu du cinéma sud-coréen

L'acteur sud-coréen Song Kang-ho dans "Parasite" de Bong Joon-ho (2019). (Source : Inverse)
L'acteur sud-coréen Song Kang-ho dans "Parasite" de Bong Joon-ho (2019). (Source : Inverse)
Cette année, le prestige de Cannes avait rendez-vous au 14ème Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Song Kang-ho, l’acteur principal de la palme d’or Parasite, en était l’invité d’honneur avec son compatriote, le réalisateur Kim Jee-woon. Song Kang-ho, c’est un peu le Depardieu coréen. Un acteur capable de tout jouer : roi historique, gangster, policier, cowboy, mais qui n’est jamais aussi étincelant que lorsqu’il campe l’homme du peuple. Bonhomie incarnée, l’acteur ne se départi jamais de son sourire, blague avec les journalistes, et nuance toujours les compliments des différents réalisateurs sur son talent. Une star « normale », Song Kang-ho, qui fait toujours mine de s’étonner du succès qui ne le quitte plus depuis près de vingt ans. Rencontre.

Entretien

Née à Gimhae en Corée du Sud en janvier 1967, Song Kang-Ho est l’un des acteurs les plus connus et les plus populaires de la péninsule. Sans aucune formation d’acteur, il se plonge dans le théâtre une fois ses études terminées. Il débute en 1996 au cinéma par un petit rôle dans Le jour où le cochon est tombé dans le puits, premier film du réalisateur Hong Sang-Soo. Rapidement repéré, il enchaîne les seconds rôles d’abord dans Green Fish, premier film de Lee Chang-Dong, puis un peu plus tard en 1998 dans The Quiet family, encore un premier long-métrage, celui de Kim Jee-woon qui lui offrira deux ans plus tard sa première tête d’affiche pour The Foul King, l’histoire d’un petit employé de banque qui décide de se lancer dans le catch pour oublier les brimades de son patron.

S’ensuivent vingt-et-une années de carrière sans interruption, toujours en haut de l’affiche. Regarder les trente-deux films où Song Kang-Ho a joué, c’est regarder ce qui fait l’histoire du cinéma coréen depuis vingt ans. Il accompagne les jeunes réalisateurs des années 2000 qui deviendront les maîtres reconnus : Park Chan-wook (JSA, Sympathy for mister vengeance, Thirst), Kim Jee-Woon (Le bon, la brute et le cinglé, The age of shadows), Lee Chang-dong (Green fish, Secret sunshine), Jang Hoon (Secret reunion, A taxi driver) et bien entendu Bong Joon-Ho (Memories of murder, The Host, Snowpiercer, Parasite).

Multi-récompensé dans les festivals de films en Asie, Song Kang-ho n’avait pas encore reçu les honneurs des grands festivals européens, trop souvent aveugles aux talents asiatiques, jusqu’à ce qu’enfin le festival de Locarno lui remette cet été l’Excellence Award. Un prix qui rend hommage aux personnalités qui ont enrichi le cinéma. Parmi ses lauréats : Ethan Hawke, Matthieu Kassovitz, John Malkovich ou Juliette Binoche.

L'acteur sud-coréen Song Kang-ho. (Crédit : DR)
L'acteur sud-coréen Song Kang-ho. (Crédit : DR)
Qu’est-ce qu’une bonne histoire ?
Song Kang-ho : Au début de ma carrière d’acteur, je pensais qu’une bonne histoire était une histoire réaliste que les spectateurs pouvaient partager. Mais aujourd’hui, mon point de vue a changé. Grâce aux différents réalisateurs avec lesquels j’ai pu travailler, je me suis rendu compte qu’une bonne histoire est quelque chose qui raconte le côté fantaisiste du cinéma, quelque chose de parfois irréel qui peut malgré tout satisfaire les spectateurs.
Quelles sont les raisons pour lesquelles vous acceptez un scénario ?
Il y a beaucoup de raisons, c’est assez varié et c’est trop complexe pour être résumé à une seule phrase. Je dirais que je m’inquiète d’abord de la façon dont le film pourra être perçu et compris par les spectateurs. J’accorde aussi beaucoup d’importance à la vision, au point de vue du réalisateur. Oui, ce sont des choses comme cela qui m’aident à choisir.
Vous n’avez jamais tourné sous la direction d’une réalisatrice. Est-ce un regret ?
(Rires) Ce n’est pas du tout un critère de sélection pour moi quand je choisis mes scénarios. Mais bizarrement, c’est vrai. Et d’ailleurs, c’est un peu malheureux parce qu’aujourd’hui, on a de nouvelles réalisatrices qui commencent à monter. Elles sont de plus en plus nombreuses dans le paysage du cinéma coréen mais quand j’ai commencé ma carrière, c’est sûr qu’il n’y en n’avait pas autant et il y en avait encore moins qui réussissait à faire de bons films.
Votre propre fille veut travailler dans le cinéma. Comment vous en a-t-elle parlé et comment avez-vous réagi ?
Oui, elle étudie actuellement à New York. Au départ, quand elle m’en a parlé, j’étais un peu contre, même beaucoup. Je lui demandais pourquoi elle voulait faire ça, mais c’était sa propre volonté à elle. Depuis qu’elle est à l’école, elle a toujours fait du théâtre comme activité, et d’année en année, elle a été de plus en plus reconnue par les gens autour d’elle, que ce soit ses camarades ou ses professeurs. En fait, c’est elle qui est partie toute seule pour passer une audition à New York et elle y a été admise, je n’ai pas trop eu le choix. Je sais que c’est un chemin difficile donc j’aurais peut-être préféré qu’elle fasse autre chose. Mais c’est son choix et pour l’instant, tout se passe bien pour elle. Elle vient juste de commencer à étudier alors on verra comment ça se passe plus tard.
Song Kang-ho campe un capitaine de police en pleine période coloniale dans "The age of shadow" de Kim Jee-woon. (Crédit : DR)
Song Kang-ho campe un capitaine de police en pleine période coloniale dans "The age of shadow" de Kim Jee-woon. (Crédit : DR)
Vous avez dit récemment ressentir de la souffrance à interpréter de nombreux personnages. Qu’est-ce qui vous fait parfois souffrir dans l’interprétation ? Quels sont les personnages les plus compliqués à interpréter ?
En fait, je pense que les personnages les plus difficiles à interpréter, ce sont les personnages ordinaires. On pourrait croire que ce sont les plus faciles, justement parce qu’ils sont ordinaires, mais il faut qu’à travers l’écran, les spectateurs ressentent quelque chose d’unique par le jeu. C’est très difficile de créer ces personnages parce qu’il ne faut pas dépasser les bornes de l’ordinaire, tout en trouvant quelque chose d’assez unique dans le jeu.
Comment le trouvez-vous, ce côté unique ?
C’est un secret professionnel, je ne peux pas vous le dire ! (Rires) Il n’y a pas de solution miracle, même si parfois, je le ressens de façon instinctive. Mais c’est surtout quelque chose qui vient de l’expérience, de l’analyse du scénario et surtout des échanges que je peux avoir avec le réalisateur. Cela reste très complexe.
Le réalisateur Jang Hoon, qui vous a dirigé dans « A Taxi Driver », dit que vous travaillez beaucoup en amont et que vous arrivez parfaitement prêt sur le plateau. Préférez-vous une direction d’acteur serrée ou très libre ?
Si je devais choisir, je préfère que le réalisateur me laisse plus de liberté pour m’exprimer. Mais je pense que Jang Hoon a fait un éloge bien au-delà de ce que je suis réellement, parce que je n’arrive pas sur le plateau en étant prêt de A à Z. Non, je ne pourrais pas dire que j’ai une analyse parfaite sur le rôle que je dois interpréter parce que cela vient des échanges avec le réalisateur, de nos compromis, de la bonne méthode et de la bonne perception du rôle.
Song Kang-ho dans "Secret Sunshine" de Lee Chang-dong (2007). (Crédit : DR)
Song Kang-ho dans "Secret Sunshine" de Lee Chang-dong (2007). (Crédit : DR)
Quel est le rôle dont vous êtes le plus fier ?
Je n’ai jamais vraiment réfléchi à la question. Que mes films aient été de grands succès ou des flops, il n’y a jamais eu vraiment de rôle dont j’ai été particulièrement fier. Ou plutôt je dirais que je suis fier de tous les rôles que j’ai pu interpréter et que je suis content de tous les films auxquels j’ai pu participer. Quelqu’un m’a demandé si un film était resté plus que les autres gravé dans ma mémoire : si je devais n’en retenir qu’un seul, ce serait The Foul King de Kim Jee-woon, tout simplement parce qu’il s’agit de mon premier film en tant que premier rôle et parce que le personnage que j’interprétais, Im Dae-Ho, était un homme avec lequel je partageais les mêmes sentiments à l’époque. Moi aussi je me sentais minuscule face au monde gigantesque. Malgré toute ma passion, j’avais vraiment du mal à percer dans ce milieu. Et puis c’était un personnage qui se lançait seul dans une aventure unique, dans une atmosphère de solitude et c’est un peu ce que j’avais ressenti à cette époque-là.
Il avait fallu que je m’entraîne au catch pendant deux mois pour ce rôle. Et vous savez bien que le catch, ça ne s’apprend pas dans un délais si court. Je devais avoir quelque chose comme trente-trois ans et physiquement, faire un tel sport de combat sans l’avoir pratiqué auparavant alors que les sportifs commencent en général à s’entraîner dès l’adolescence, c’était loin d’être une sinécure. C’était quand même une étape très difficile dans ma vie parce que ce n’était pas parce que j’avais le premier rôle que tout le monde me regardait ou voulait savoir si le film serait ou non une réussite. Tout cela m’a beaucoup marqué, donc c’est ce film-là qui me reste en tête.
À voir, la bande-annonce de « The Foul King » par Kim Jae-woon, avec Song Kang-ho :
Le meurtrier qui avait inspiré Memories of Murder et que votre personnage poursuivait dans le film, a été enfin retrouvé, trente ans après les faits. Comment avez-vous réagi à la nouvelle ?
Quand on a arrêté ce criminel, j’ai reçu beaucoup d’appels de la part de la presse coréenne et je n’ai pas répondu. Je sais que l’acteur Kim Sang-kyeong, qui joue aussi dans Memories of Murder, avait donné une réponse pour nous représenter tous en quelque sorte, car le réalisateur Bong Joon-Ho ne souhaitait pas non plus s’exprimer. J’ai des sentiments contrastés. Je ne peux pas juste me dire : « Il a été attrapé ! » et être content. J’ai un sentiment assez étrange par rapport cela. D’un côté, cela me rend un peu triste parce que je me demande : « Mais pourquoi ne l’a-t-on pas attraper à l’époque alors qu’il courrait pendant tout ce temps ? » Je me demande aussi s’il était nécessaire de remuer le couteau dans la plaie alors qu’il a commis plus d’une dizaine de meurtres. Comme on l’a attrapé, on en parle tout le temps, dans les informations, dans toutes les émissions, partout à la télé. Bien sûr, un tel criminel, il faut l’attraper mais d’un autre côté, je me demande si on a encore besoin d’entendre parler de ce genre de crime aujourd’hui dans notre vie quotidienne.
Quel rôle rêvez-vous d’interpréter ?
C’est aussi une question que je ne suis jamais posée. C’est un peu ma façon de faire, parce que je choisis un peu mes rôles suivant le destin. Ce n’est pas forcément parce qu’on a des rôles que l’on voudrait faire que l’on va recevoir dans la foulée le scénario adéquat. Cela ne veut pas dire qu’il y a des rôles que j’aimerais faire et dont je ne parle pas, ce n’est pas ça non plus. En fait, je laisse un peu à la destinée voir ce qu’on me propose, et je choisis ce qui me plait.
Propos recueillis par Gwenaël Germain, avec Ah-Ram Kim (Interprète)

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.