Politique
Tribune

La Birmanie vers des élections anticipées ?

Aung San Suu Kyi, conseillère d'État, équivalent de facto au poste de Première ministre. (Source : Wikimedia Commons)
Aung San Suu Kyi, conseillère d'État, équivalent de facto au poste de Première ministre. (Source : Wikimedia Commons)
En novembre 2020, la Birmanie connaîtra une nouvelle élection générale démocratique. Mais la démocratie reste une demi-réalité dans ce pays où les militaires gardent encore les postes stratégiques du pouvoir central. Si la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi devrait gagner à nouveau la majorité des suffrages, elle ne paraît pas en mesure de rééditer le triomphe de 2015. Le souffle est tombé.
*Le texte réserve hors de tout scrutin un quart des sièges aux militaires.
En cette entame automnale charriant comme de coutume ses abondantes précipitations sur le Sud-Est asiatique, dans ce pays longtemps sevré de tout exercice démocratique où l’acceptation du verdict des urnes – par les perdants – ne va pas encore de soi, les autorités, la population, la société civile, les entrepreneurs, les observateurs étrangers, tous sont déjà immergés, seulement quatre ans après la dernière élection générale (octobre 2015), dans la préparation – l’incertitude – du prochain scrutin. Dans un peu plus d’un an, en novembre 2020, l’électorat birman sera en effet convié à renouveler démocratiquement ses diverses assemblées parlementaires ; enfin, pour ce qui est des trois quarts des hémicycles seulement, Constitution de 2008 oblige*.
*Dont on notera l’étonnante concomitance avec l’élection présidentielle outre-Atlantique… **La Birmanie est l’unique point de jointure entre les mondes indien, chinois et d’Asie du Sud-Est. ***Les diverses conséquences de la crise des Rohingyas en Arakan, la poursuite des affrontements opposant l’armée régulière à une foultitude de forces ethniques armées, l’impasse dans laquelle se trouve le processus de paix. ****Visite en Birmanie début octobre de l’auteur de cette tribune.
Au dernier trimestre 2019, à un an de ce rendez-vous politique national majeur*, ce pays, point de jonction stratégique** à nul autre pareil en Asie, n’évolue pas précisément dans la meilleure sérénité qui soit – la faute à une kyrielle de maux*** des plus sérieux compliquant son quotidien et malmenant son image extérieure. Le visiteur étranger n’aura guère de mal à ressentir lors de son séjour automnal à Rangoun, Naypyidaw ou Mandalay, l’évidente crispation allant croissant, que confirmera le propos des interlocuteurs locaux****, lesquels anticipent douze prochains mois pour le moins compliqués…
Du reste, cette échéance électorale vers laquelle tous les regards sont déjà braqués aura-t-elle seulement lieu dans le timing officiel prévu ? À Rangoun, dans l’ancienne capitale, il est en effet des acteurs bien informés à considérer la possibilité d’un scrutin général anticipé, en amont de la saison chaude (mars à mai) par exemple.
*En conséquence de la crise des Rohingyas en Arakan (entamée à l’été 2017) et de la déception occidentale quant au positionnement de l’ancienne prix Nobel de la paix, jugé très en retrait des attentes (extérieures). **Lors du scrutin précédent de l’automne 2015, la LND avait obtenu 255 des 330 sièges à la Chambre basse (Pyithu Hluttaw), 135 des 168 sièges en jeu à la Chambre haute (Amyotha Hluttaw).
Peu importe en définitive le calendrier retenu in fine, pourvu que l’exercice électoral ait lieu. Un consensus quant à son issue probable semble émerger : la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi – dont à l’aura est fortement ternie en Occident depuis deux ans* -, au pouvoir depuis le printemps 2016, devrait à nouveau l’emporter**, mais avec un résultat comptable en retrait de l’exercice précédent, la LND cédant du terrain à la kyrielle des partis ethniques et à l’USDP, la formation pro-junte au pouvoir entre 2010 et 2015.

Le chef des armées, Min Aung Hlaing, futur président birman ?

Comme lors du scrutin de 2015, le (très) probable succès électoral de l’historique formation démocratique birmane ne portera pas la Dame de Rangoun à la présidence. Une disposition sur mesure de la Constitution la prive toujours d’accéder à la fonction civile suprême. D’ici lors, il ne fait plus guère de doute que la modification constitutionnelle tant souhaitée du côté de la LND – mais repoussée toutes Rangers et galons dehors par l’influente caste des généraux – n’aura pas été actée.
*À l’instar des forces ethniques de l’Alliance du nord, composée de quatre groupes armés : l’Arakan Army (AA), la Kachin Independence Army (KIA), la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA) et la Ta’ang National Liberation Army (TNLA).
Dans ce paysage politique particulier, la prépondérance de la règle démocratique sur l’autorité des militaires demeure une chimère. La transition démocratique initiée au début de la décennie se trouve toujours sur un chemin long et parsemé d’obstacles comme de frustrations. Une matrice imparfaite qui n’est pas pour déplaire à l’armée, loin s’en faut. Cette dernière est impliquée à l’automne 2019 – du treillis au casque lourd – dans une litanie de combats violents avec divers groupes ethniques armés (GEA)*, dans les États Shan, Kachin et en Arakan. Un engagement martial qui hypothèque comme il se doit toute chance de succès au laborieux processus de paix initié une décennie plus tôt. La Tatmadaw ne s’affole guère de la victoire promise en 2020 sur le terrain électoral à son ennemi politique naturel, la LND.
*Début octobre, il était reçu à Tokyo par le Premier ministre Shinzo Abe. En août, à la tête d’une délégation conséquente, il était à Moscou. Plus tôt, au printemps, il était en visite à Pékin. **C’est aux chambres haute et basse, à l’armée, que revient après l’organisation des élections générales le soin de désigner trois vice-présidents, le chef de l’État faisant office de primus inter pares parmi ces derniers, pourvu qu’il soit choisi par au moins deux décideurs (chambre haute, basse ou armée).
Du reste, cette perspective s’atténue plus encore de la possible seconde vie qu’envisagerait, une fois la casquette et les décorations remisées, le terme de son mandat de chef des armées arrivé (d’ici un peu plus d’un an…), le très énigmatique senior-général Min Aung Hlaing. À Rangoun et Naypyidaw, on prête à ce très itinérant* chef suprême de la Tatmadaw l’ambition d’endosser le costume civil de prochain chef de l’État. Un projet qui, au regard du cadre constitutionnel du moment**, est loin de confiner à l’absurdité, malgré l’opposition cinglante d’une partie de la population.
En guise de conclusion, on peine à imaginer que d’ici l’organisation de ces élections nationales birmanes, Naypyidaw ait renoué avec l’Occident, que les démocraties européennes et nord-américaines aient oublié les errements de l’armée en Arakan, ou que les Rohingyas réfugiés dans les sordides camps de fortune au Bangladesh n’aient entamé leur retour sur le sol birman.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.