Politique
Analyse

Les élections en Inde en cinq points Exemplaire

Le Premier ministre indien Narendra Modi. (Source : DNA India)
Le Premier ministre indien Narendra Modi. (Source : DNA India)
L’Inde entre le 11 avril prochain dans une longue période électorale. Jusqu’au 19 mai, 900 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour renouveler la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement et élire leur Premier ministre. Après cinq ans au pouvoir, Narendra Modi demeure le favori, mais les tensions ethniques et la stagnation de l’économie pourraient l’empêcher d’obtenir un second mandat, ou du moins une majorité absolue au Parlement. En 2014, le Premier ministre sortant et son parti nationaliste, le Bharatiya Janata (BJP), l’avaient largement emporté en pariant d’abord sur le ras-le-bol de la population envers la famille Gandhi et le parti du Congrès au pouvoir depuis dix ans. Modi avait aussi misé sur une politique nationaliste en faveur des hindous – 80 % de la population indienne – contre les minorités religieuses, dans un contexte d’attentats répétés de terroristes islamistes. Surtout, il avait su convaincre les classes moyennes en défendant une politique économique volontariste.
Depuis deux ans, la popularité du Premier ministre ne cesse de se détériorer. Ses opposants critiquent un chômage massif, au plus haut depuis 45 ans, une situation agricole chaotique et des tensions ethniques à vif. L’issue des élections législatives reste floue : Narendra Modi et le BJP devront-ils former une coalition pour rester majoritaires au Parlement ? Le Parti du Congrès peut-il faire son retour ?

1. La plus grande démocratie au monde

Organiser des élections en Inde compte certainement parmi les défis démocratiques les plus ardus sur la planète. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 900 millions d’Indiens ont le droit de vote dans ce pays d’1,3 milliard d’habitants. Lors des précédentes élections législatives en 2014, l’Inde comptait alors 830 millions d’électeurs. Parmi eux, 550 millions avaient voté, soit environ 66 %.
À partir du 11 avril, plus d’un million de bureaux de vote vont ouvrir dans les 25 États du pays, chacun surveillé par des membres de l’administration indienne. Selon les autorités, plus de 10 millions de fonctionnaires seront mobilisés pour l’occasion. Les bureaux de vote fermeront le 19 mai et les résultats seront communiqués le 23 mai.

2. Le chômage, grand combat de Narendra Modi

En 2014, Modi avait pu compter sur le vote des classes moyennes et des classes aisées, portées par l’espoir que la croissance indienne allait repartir. Quatre ans plus tard, le bilan du Premier ministre sortant est en demi-teinte. Certes, la croissance annuelle en Inde est forte, de l’ordre de 6 à 7 %, mais elle ne suffit pas à enrayer le chômage massif dans le pays, notamment chez les jeunes et les paysans. Son taux n’a jamais été aussi élevé depuis 45 ans. Modi avait par ailleurs promis de doubler les revenus de 120 millions de paysans. Une promesse non tenue, ce qui a provoqué de multiples manifestations d’agriculteurs contre leurs conditions de travail et les nombreuses dettes auxquelles ils sont soumis.
Par ailleurs, Narendra Modi pourrait payer le prix de sa décision choc de novembre 2016 de retirer de la circulation 86% des billets de banque pour lutter contre la corruption. Dans ce pays où la population règle ses dépenses essentiellement en liquide, l’économie a été paralysée durant plusieurs semaines, entraînant une baisse de un à deux points du PIB. S’ajoute la défaillance persistante du système bancaire indien en raison des mauvais prêts accumulés par les banques. Face à ce bilan, les classes moyennes, qui avaient constitué la base de l’électorat de Modi en 2014, voteront-elles encore pour le Premier ministre sortant ?

3. La question du Cachemire à nouveau au centre du débat

Les relations entre l’Inde et le Pakistan sont revenues au centre du débat électoral mi-février après l’attaque-suicide qui a tué au moins 41 paramilitaires au Cachemire indien. Elle a été revendiquée par le groupe islamiste Jaish-e-Mohammed, basé au Pakistan. Narendra Modi a juré de « faire payer le prix fort » aux responsables, provoquant une escalade des tensions à quelques semaines seulement du scrutin. L’armée indienne a mené une « frappe préventive » contre ce qu’elle a présenté comme un camp d’entraînement en territoire pakistanais du mouvement Jaish-e-Mohammed. Des affrontements aériens ont suivi le lendemain, les premiers depuis des décennies. L’armée pakistanaise a affirmé avoir abattu deux avions indiens et capturé un pilote. Ce dernier a finalement été libéré par le Pakistan dans une tentative d’apaisement des relations.
Le nombre de tués dans la région du Jammu-et-Cachemire n’a cessé d’augmenter depuis 2014. Le BJP de Modi avait initialement établi une coalition avec une force politique locale, le PDP, pour administrer la région. Mais ce dernier s’est retiré, plaidant que le BJP n’avait aucune envie réelle de résoudre le conflit. Depuis, le Jammu-et-Cachemire est dirigé depuis Delhi. Un fait qui ne cesse de provoquer la colère des Cachemiris qui voudraient se gouverner par eux-mêmes. Par conséquent, la répression n’a fait qu’augmenter dans toute la zone avec un déploiement militaire sans précédent.
Par ailleurs, faisant du nationalisme hindou son cheval de bataille, l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi s’est accompagnée d’un regain de tensions et de discriminations religieuses dans le pays. En attestent les nombreux lynchages à mort de musulmans travaillant dans le commerce de bovidés, la vache étant un animal sacré chez les Hindous.

4. Priyanka, l’espoir de la famille Gandhi ?

Le principal opposant à Narendra Modi et au BJP reste le Parti du Congrès. A sa tête : Rahul Gandhi, arrière petit-fils de Jawaharlal Nehru, le premier Premier ministre de l’Inde, petit-fils d’Indira Gandhi et fils de Rajiv Gandhi. Depuis plusieurs années, la famille est entachée par des scandales de corruption et Rahul Gandhi peine aujourd’hui à fédérer autour de son nom. D’autant plus qu’il ne parvient pas à porter un programme politique autre qu’une simple opposition au parti au pouvoir.
L’espoir de la famille Gandhi ne réside peut-être pas dans son candidat officiel mais dans sa soeur, Priyanka. A 47 ans, cette dernière a été nommée le 23 janvier au poste de Secrétaire générale du Parti national du Congrès pour la partie orientale de l’Uttar Pradesh, État-clé dans la conquête du pouvoir.
Cette diplômée de psychologie de l’université de Delhi était jusque-là restée en retrait. Elle avait pourtant participé à plusieurs campagnes électorales aux côtés de sa mère, Sonia Gandhi, qui a dirigé le Congrès pendant près de 20 ans. De longue date, militants et défenseurs du parti souhaitaient lui octroyer davantage de responsabilités. Depuis l’assassinat de son père en 1991, Priyanka est considérée comme une probable future Indira Gandhi. Il faut dire qu’elle bénéfice d’un atout très visible : c’est sa ressemblance avec sa grand-mère. Il suffit de voir les photos des deux femmes : même cheveux noirs bouclés courts, même sourire, même détermination dans le regard, et souvent les mêmes couleurs de saris.
Mais un obstacle de taille pourrait barrer la route de Pryianka : son mari, père de ses deux enfants, a des ennuis avec la justice. Le « mini-tycoon de l’immobilier », comme le surnomme la presse indienne, est en effet soupçonné de blanchiment d’argent. De quoi ternir encore l’image d’une famille qui ne fait plus rêver les Indiens.

5. Les réseaux sociaux s’invitent en campagne

Déjà en 2014, les réseaux sociaux avaient joué un rôle important dans les élections. Les candidats s’en servaient pour diffuser des messages à leurs électeurs, jouant sur l’affect plutôt que sur des idées politiques concrètes. En quatre ans, la question de la diffusion des fake news est devenue encore plus prégnante dans un pays où Facebook compte près de 340 millions d’utilisateurs. La Commission électorale a ainsi pris des mesures pour mieux contrôler les réseaux sociaux durant la campagne. Le 1er avril, Facebook a annoncé la suppression de près de 1 000 pages et comptes, principalement liés au Parti du Congrès et dans une moindre mesure au BJP, en raison de « comportements inappropriés en période électorale ». Le lendemain, WhatsApp, lançait un service de vérification des informations.
Mais la tâche est immense pour le géant Facebook, car les candidats eux-mêmes participent à la diffusion de fake news. Le Premier ministre relaie par exemple sur Twitter le compte « The Indian Eye », l’un des principaux pourvoyeurs de fausses informations en Inde, financé par un proche de Modi lui-même. La page d’accueil du site indien Alt news, qui traque la désinformation en ligne, illustre l’ampleur des dégâts : la quantité de fake news répertoriées quotidiennement donne le tournis.
Par Cyrielle Cabot

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A propos de l'auteur
Jeune journaliste diplômée de l’école du CELSA (Paris-Sorbonne), Cyrielle Cabot est passionnée par l’Asie du Sud-Est, en particulier la Thaïlande, la Birmanie et les questions de société. Elle est passée par l’Agence-France Presse à Bangkok, Libération et Le Monde.