Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

La Chine va-t-elle devenir déficitaire ?

Le solde commercial de la Chine se réduit d'une année sur l'autre. (Source : Safety4Sea)
Le solde commercial de la Chine se réduit d'une année sur l'autre. (Source : Safety4Sea)
L’un des objectifs de la guerre commerciale lancée par l’administration Trump est de réduire le déficit avec la Chine. Mais cela fait oublier la situation du solde commercial chinois : il diminue et son excédent courant fond comme neige au soleil.
Dans son rapport sur l’économie mondiale d’avril 2019, le FMI consacre un chapitre aux déficits bilatéraux. En toile de fond, la croisade lancée par Donald Trump pour rééquilibrer les échanges des États-Unis avec la Chine. Le rapport conclut qu’une hausse des taxes douanières, comme celle mise en œuvre par l’administration américaine, ne suffira pas à résorber le déficit bilatéral qui est plus une conséquence du déficit américain avec le monde. C’est que la hausse des doits de douane provoque des détournements d’échanges. Conséquence, le remède au déficit n’est pas à Pékin mais à Washington, car le solde courant reflète l’écart entre épargne et investissement américain. Inversement, diminuer l’excédent courant de la Chine passe par une baisse de l’investissement. Pour caractériser les relations étroites entre les États-Unis, structurellement déficitaires, et la Chine, structurellement excédentaire, l’historien Niall Fergusson a créé en 2006 le néologisme, « ChinAmérique » peuplé de cigales à l’Est et de fourmis à l’Ouest.

Champion mondial de l’épargne

La Chine est le pays qui investit le plus au monde. Elle investit davantage en dollars courants que les États-Unis ou l’Union européenne. Au cours des dix dernières années, l’investissement (formation brute de capital fixe) des entreprises, de l’État et des ménages a représenté en moyenne 43 % du PIB, soit deux fois la moyenne de l’OCDE et plus que tous les pays émergents. Pour financer cet effort considérable, la Chine n’a pas besoin d’attirer des capitaux étrangers car son épargne lui suffit amplement. Les comparaisons internationales de l’épargne de chaque agent – rapportée au PIB – montrent que, pris séparément, les ménages, les entreprises ou l’État ne sont pas des champions de l’épargne. C’est pris ensemble qu’ils font du taux d’épargne de la Chine le plus élevé au monde, avec 49 % du PIB en moyenne depuis dix ans. Les ménages en assurent la moitié, les entreprises non financières un peu moins et l’État très peu. Au total, l’épargne chinoise représente le quart de l’épargne mondiale en 2014, selon le dernier montant estimé pour le monde par la Banque mondiale. Une très faible partie s’investit à l’étranger : une ouverture du compte de capital aurait des conséquences considérables pour la Chine comme pour le reste du monde !

Le rééquilibrage

*La consommation représente 70 % du PIB en Inde, plus de 80 % en France, aux États-Unis et au Japon.
La Chine épargne plus qu’elle n’investit. Par contre, la part de la consommation des ménages (38 %) dans son PIB est la plus faible au monde*. Dénoncé par l’ancien Premier ministre Wen Jiabao en 2007, le déséquilibre de l’économie chinoise s’est aggravé entre 2007 et 2009. Confronté à la crise venue des États-Unis, l’État chinois a pris quelques mesures pour doper la consommation. Mais il a surtout privilégié la relance par l’investissement en portant sa part dans le PIB de 38 % à 45 % en trois ans. La Chine a ainsi résisté au prix d’un endettement (en yuans) considérable.
Depuis, le rééquilibrage de l’économie est l’objectif du gouvernement de Pékin. Mais il tarde à se concrétiser. La part de l’investissement a légèrement diminué et l’évolution de la consommation est mal cernée par les statistiques : elles suivent les ventes de détail qui ralentissent et ignorent les ventes en ligne qui connaissent un boom spectaculaire. Si les statistiques ne permettent pas de conclure au rééquilibrage, l’érosion du solde courant confirme qu’il a bien lieu.

Le solde des paiements courants va-t-il devenir déficitaire ?

En 2008, l’excédent commercial représentait 8 % du PIB chinois. Dix ans plus tard, ses exportations et importations ont augmenté de 77 % et 122 %. Si le solde commercial a légèrement augmenté en dollars, il ne représente plus que 2,9 % du PIB. Hors pétrole et matières premières, la baisse a été moins marquée. L’évolution la plus notable a été la forte progression des importations de services, dont les dépenses de voyage : en 2018, les touristes chinois ont dépensé 270 milliards de dollars à l’étranger alors que les étrangers dépensaient 40 milliards de dollars en Chine. Le déficit de ce poste représente 2 % du PIB chinois.
L’évolution du solde de la balance des paiements courants est éloquent. Il inclut le solde des échanges de marchandises, de services et des revenus de l’investissement. Entre 2008 et 2018, il a été ramené de 9 % du PIB en 2008 à 0,4 % en 2018.
Évolution de la balance ds paiements de la Chine entre 2008 et 2018. (Source : State Administration of Foreign Exchange et Intracen)
Évolution de la balance ds paiements de la Chine entre 2008 et 2018. (Source : State Administration of Foreign Exchange et Intracen)
La hausse des cours des matières premières des deux dernières années a contribué à accélérer ce mouvement, qui est aussi la conséquence d’évolutions plus structurelles : l’ouverture du marché, l’enrichissement de la classe moyenne et la baisse de l’épargne qu’accompagne le vieillissement.
L’excédent se transformera-t-il en un déficit structurel ? Le rapport sur l’économie mondiale du FMI d’avril 2019 prévoit que le solde courant restera légèrement excédentaire en 2019 et 2020. Il sera déficitaire en 2021 (49 milliards de dollars soit 0,4 % du PIB). Prolongeant la tendance des dernières années, les analystes de Morgan Stanley annoncent l’apparition d’un déficit dès 2019 qui atteindrait 0,6 % du PIB au cours de la décennie à venir. Considérée comme un excellent risque, la Chine n’aura pas de difficulté à le financer. Selon l’Institute for International Finance, le pays a attiré en 2018 les trois quarts des investissements de portefeuille qui se sont dirigés vers les marchés émergents. Cette transformation serait par contre inquiétante pour les grands pays comme l’Inde et l’Indonésie, car 0,6 % du PIB chinois est plusieurs fois les besoins de financement de tels pays qui seraient confrontés à la concurrence chinoise sur le marché des capitaux.
Que son déficit courant devienne structurel ou non, cette menace amène la Chine à plus de prudence dans le choix des projets qu’elle finance dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ». Cela pourrait expliquer l’effondrement des investissements immobiliers et commerciaux le long de ces Routes de la Soie depuis 2017.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).