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Entretien

Mer de Chine du Sud : pourquoi l'attitude de Pékin est plus modérée qu'avant

Point stratégique pour Pékin, le récif de Scarborough près des Philippines, en mer de Chine du Sud. (Source : Next Big Future)
Point stratégique pour Pékin, le récif de Scarborough près des Philippines, en mer de Chine du Sud. (Source : Next Big Future)
Les Américains ont beau changé de ton en mer de Chine du Sud, Pékin reste de marbre. Ce vendredi 29 mars, Mike Pompeo affirmait haut et fort que les « Nouvelles Routes de la Soie » étaient liées à la militarisation par la Chine des îlots de cette zone maritime très disputée. Plus tôt en mars, le secrétaire d’État promettait que les États-Unis porteraient assistance aux Philippines en cas d’attaque dans la région. En d’autres temps, les Chinois auraient fait monter la tension. Mais ils ont plusieurs raisons de miser sur la modération cette année. Entretien avec le Dr Li Mingjiang, spécialiste de la sécurité en Asie-Pacifique.

Entretien

Le Dr Li Mingjiang est coordinateur du programme sur la Chine à l’École d’études internationales S. Rajaratnam (RSIS) de l’Université technologique de Nanyang, l’un des principaux instituts de recherche en Asie. Docteur en sciences politiques (Université de Boston), ses recherches portent principalement sur les relations Chine-ASEAN, les relations sino-américaines, la sécurité en Asie-Pacifique et les déterminants nationaux de la politique étrangère chinoise. Il est l’auteur (y compris l’éditeur et le co-éditeur) de 12 livres. Le Dr Li participe fréquemment à divers événements de track-two (diplomatie parallèle basée sur des échanges avec des ONG, think tank et autres) sur la sécurité régionale en Asie de l’Est.

Le chercheur chinois LI Mingjiang, coordinateur du programme sur la Chine à l’École d’études internationales S. Rajaratnam (RSIS) de l’Université technologique de Nanyang. (Crédits : DR)
Le chercheur chinois LI Mingjiang, coordinateur du programme sur la Chine à l’École d’études internationales S. Rajaratnam (RSIS) de l’Université technologique de Nanyang. (Crédits : DR)
L’année dernière, en 2018, la négociation du code de conduite a connu quelques progrès. À quoi faut-il s’attendre pour 2019 ?
Li Mingjiang : Sur cette question, la Chine et les 10 pays de l’ASEAN auront plusieurs réunions cette année, en groupe de travail et avec des officiels de hauts rangs. Ils discuteront du texte unique que les différents pays ont préparé. En gros, ils vont essayer de réduire ce texte. En effet, tous les pays demandeurs ont fourni leurs propres articles et exigences. Comme tout le monde peut le comprendre, chaque pays voudra profiter de cette occasion pour maximiser ses intérêts en mer de Chine du Sud. La tâche consiste maintenant à supprimer, reformuler, restreindre certaines parties du texte. Ils doivent également discuter des questions en suspens, telles que la couverture géographique de la mer de Chine méridionale ou l’identification des sanctions pour non-respect de l’accord. Nous prévoyons des progrès mais un accord final risque de se faire attendre au-delà de cette année.
Le conflit commercial sino-américain pourrait-il modifier l’attitude de Pékin dans cette négociation du Code de conduite ?
La concurrence stratégique croissante entre les États-Unis et la Chine a conduit à une politique beaucoup plus affirmée de Washington à l’égard de Pékin. Cela pourrait décourager la Chine d’entreprendre d’autres actions en mer de Chine du Sud. Du point de vue de Pékin, intensifier le conflit dans la région ne servirait en rien les intérêts nationaux. Un exemple parfait est le récif de Scarborough. Certaines personnes et institutions peuvent être intéressées par la construction d’infrastructures sur ce récif. Mais la relation stratégique actuelle entre Américains et Chinois sur la question de la mer de Chine du Sud incite Pékin à adopter une approche plus modérée.
Je ne pense pas non plus que la politique et la pression des États-Unis à l’égard de la Chine soient le seul élément à prendre en compte par les Chinois. Les relations de Pékin avec les pays de l’ASEAN sont tout aussi importantes. Certains de ces pays sont devenus plus méfiants à cause précisément de la situation en mer de Chine du Sud. Pékin comprend cela d’autant que son objectif est aussi de faire avancer les projets des « Nouvelles Routes de la Soie » en Asie du Sud-Est. Il est donc important que la Chine apparaisse modérée en mer de Chine du Sud. 2019 sera assez similaire à ce que nous avons vu en 2018. L’année sera globalement calme et stable, mais il est certain que quelques conflits locaux pourraient encore se produire. Une tension américano-chinoise sur la liberté de navigation peut survenir même si aucun conflit majeur ne devrait se produire. Un incident grave avec un navire de la marine américaine ou chinoise est fort improbable. La rivalité entre la Chine et les pays revendicateurs pourrait impliquer les gardes-côtes, des bateaux de pêche ou les activités d’exploration énergétique. Mais je ne pense pas que nous verrons le genre de tension que nous avons connu en 2014 entre la Chine et le Vietnam.
Vous avez mentionné les opérations de liberté de navigation de la marine américaine en mer de Chine du Sud. Cette année, la France fera de même. Quelle est la perception de ces opérations maritimes par les pays revendicateurs ?
Les pays à l’origine de revendications, autres que la Chine, souhaitent probablement une présence extérieure en mer de Chine méridionale. Ils aiment probablement voir des Japonais, des Français ou des Britanniques venir dans la région. Pour les pays non revendicateurs, l’attitude peut être différente. Par exemple en Indonésie, la perception générale est positive car c’est un pays littoral. Mais pour les pays sans accès à la mer, tels que le Laos, ou ceux qui n’ont qu’un intérêt limité sinon aucun pour les zones maritimes disputées, tels que la Thaïlande, la Birmanie ou le Cambodge, ils peuvent ne pas soutenir de telles idées. En effet, ils n’obtiendraient aucun avantage. Si ces opérations maritimes extérieures devenaient plus intenses, cela causerait beaucoup de problèmes avec la Chine. Ces pays pourraient faire face à des pressions de la part de Pékin pour dire ou faire certaines choses, afin de soutenir la position de la Chine. Il est évident que cette perspective ne les enchante guère. Vous pouvez donc entendre trois réponses différents à cette question.
Quel pourrait être le rôle de Singapour, culturellement proche de la Chine mais diplomatiquement plus proche des États-Unis ?
Singapour a joué un rôle important l’année dernière en occupant la présidence de l’ASEAN et certaines des améliorations apportées l’an dernier sur les différents en mer de Chine du Sud peuvent lui être attribuées. Je pense que cette année, Singapour ne jouera aucun rôle important dans la mesure où le pays n’occupe plus la présidence de l’ASEAN. Si la situation régionale reste stable, rien ne l’empêche de s’impliquer davantage. Les relations entre la Chine et Singapour se renforcent elles aussi. Je pense donc que la cité-État voudra peut-être maintenir cet élan positif. Et bien sûr, Singapour continuera de soutenir certaines positions fondamentales sur la mer de Chine du Sud : le respect du droit international, la résolution pacifique des questions de sécurité, les négociations multilatérales, le rôle important de l’ASEAN et la participation à la gestion de la sécurité.
Cette année, la Thaïlande sera le pays président de l’ASEAN. Récemment, plusieurs médias ont à nouveau mentionné le projet du canal de Kra. Les problèmes en mer de Chine du Sud et les conflits entre la Malaisie et la Chine concernant les projets d’infrastructures pourraient-ils susciter un nouvel intérêt pour le projet de ce canal ?
Je ne pense pas que nous allons assister à des progrès ou à des actions concrètes dans l’idée de construire un canal de Kra. Pas cette année, pas l’année prochaine, pas dans un avenir prévisible. L’idée de construire ce canal est en grande partie une proposition avancée par un petit nombre d’acteurs du monde des affaires et par certains retraités de l’armée en Thaïlande, impliqués dans des études de faisabilité de la construction. Certains médias, en particulier chinois, ont défendu cette idée. Mais pour autant que nous sachions, cela reste en grande partie une proposition. Ni le gouvernement chinois ni le gouvernement thaïlandais n’ont manifesté un intérêt réel et n’ont fait quoi que ce soit de substantiel. Les deux gouvernements ont ouvertement déclaré que ce projet n’avait pas été envisagé. Enfin, le canal de Kra n’est pas à l’ordre du jour des deux pays. Voilà la réalité. Même si nous nous penchons sur les études de faisabilité, aucun document convaincant n’a été publié. Personne ne connaît la viabilité commerciale d’un tel projet. Je ne vois donc aucune possibilité que ce projet obtienne un soutien cette année.
Propos recueillis par Vivien Fortat

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A propos de l'auteur
Vivien Fortat est spécialisé sur les questions économiques chinoises et les "Nouvelles routes de la soie". Il a résidé pendant plusieurs années à Tokyo et Taipei. Docteur en économie, il travaille comme consultant en risque entreprise, notamment au profit de sociétés françaises implantées en Chine, depuis 2013.