Culture
Entretien

Jeon Go-woon, l’étoile montante du cinéma sud-coréen

Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
Talentueuse, franche et passionnée. Voilà qui résume bien l’étoile montante du cinéma coréen, la réalisatrice Jeon Go-woon. Invitée par le 13ème Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) pour une rétrospective de son œuvre, la jeune femme a enchanté le public avec son dernier film, Microhabitat. C’est l’histoire de Miso, une jeune trentenaire séoulite qui décide de rendre son appartement devenu trop coûteux pour aller toquer à la porte de ses camarades d’université. Offrant au spectateur un panorama drôle, tendre et parfois cruel de la réalité coréenne, cette comédie dramatique joue de la place et de l’identité du marginal dans une mégalopole en pleine expansion. Autres moments forts de la rétrospective, les deux courts-métrages Too bitter to love et Bad Scene ont dévoilé l’engagement de la réalisatrice contre les violences sexuelles faites aux femmes. Asialyst a rencontré Jeon Go-woon. L’occasion de faire un point sur l’évolution de la société coréenne, un an après la vague #MeToo.

Entretien

Née en 1985 dans la campagne sud-coréenne, Jeon Go-woon est une réalisatrice, productrice et scénariste déjà encensée par la critique. Elle débute ses études à l’université Konkuk de Séoul où elle réalise son premier court-métrage, Too bitter to love, en 2008. Ce premier film s’attache aussi bien à la difficulté pour les jeunes Sud-Coréens d’avoir des relations sexuelles dont il faut cacher l’existence, qu’à la violence sexuelle subie par les jeunes femmes du pays. En 2012, son second court-métrage Bad scene prend également des accents de dénonciations féministes puisqu’il se concentre sur une jeune actrice qui doit se résigner à accepter un rôle où elle doit tourner nue.

En 2013, Jeon Go-woon crée la société de production Gwanghwamun Cinema avec plusieurs camarades d’université. Tour à tour scénariste et productrice, elle participe au sein du collectif à la création de trois films : Sunshine Boys en 2013, The King of Jokgu en 2014 et The queen of crime en 2016. Elle reprend ensuite ses études et rejoint la prestigieuse Korean National University of Arts. Elle en prendra congé sous forme d’années sabbatiques pour réaliser son premier long métrage Microhabitat pour lequel elle vient d’être tout récemment récompensée du prix de meilleur nouveau réalisateur au festival de cinéma coréen Blue Dragon.

La réalisatrice sud-coréenne Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
Quelle est l’idée à l’origine de votre dernier film ?
Jeon Go-woon : Microhabitat raconte de façon humoristique l’histoire de la société coréenne où le prix de l’immobilier est très élevé et comment cette tendance détruit les envies personnelles. J’ai voulu faire ce film parce que je suis révoltée par le coût du logement à Séoul en comparaison des salaires et des sacrifices nécessaires pour y obtenir un toit. Il est malheureux de constater que beaucoup de travailleurs, même en travaillant toute leur vie, ne pourront pas se payer le moindre appartement sauf à hériter d’une grosse somme. J’ai de nombreux amis qui étaient de très bons étudiants, qui ont fait le maximum pour décrocher un emploi, puis qui ont travaillé dur afin d’obtenir un meilleur poste. Tout cela dans le but d’acheter un logement qui au final ne fait pas leur bonheur. En travaillant autant à atteindre cet objectif, on a de moins en moins de temps et de possibilités de se consacrer à autre chose. Au bout du compte, on a de moins en moins de nouvelles choses à raconter à ses amis et on finit par s’enfermer chez soi devant la télévision.
Au début du film, le personnage principal, Miso, décide de rendre son appartement et d’aller habiter chez différents amis à elle. Cependant, alors qu’elle rend visite aussi bien à des hommes qu’à des femmes, je me suis rendu compte que le logement appartenait systématiquement à l’homme ou à sa famille. Les femmes peuvent-elles être propriétaires en Corée du Sud ?
Oui, évidemment on peut être propriétaire quand on est une femme. [Rires] Ce n’est pas un point que je voulais dénoncer dans le film, en tout cas pas volontairement. Je pense qu’il s’agit surtout d’un fait lié à la culture sud-coréenne du mariage. Traditionnellement, c’était à l’homme ou à sa famille de fournir la maison au jeune couple, tandis que la femme était chargée de l’intérieur et de fournir les meubles et les décorations. Bien entendu, l’ameublement coûte cher, mais c’est sans commune mesure avec l’achat d’un appartement. C’est un système qui installe un fossé, une sorte de hiérarchie économique dans laquelle la femme est obligée de dépendre de son mari.
Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. L'héroïne Miso fait des ménages pour pouvoir se payer ses petits plaisirs. (Crédit : Jeon Go-woon)
Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. L'héroïne Miso fait des ménages pour pouvoir se payer ses petits plaisirs. (Crédit : Jeon Go-woon)
Qu’en est-il du schéma patriarcal ? Est-il en recul ?
Même si j’aimerais que ce type de rapports n’existe plus, le modèle patriarcal est toujours très présent malgré les évolutions dans la société. Je pensais que ces changements sociétaux arriveraient avant la réunification des deux Corées mais en ce moment, on a plutôt l’impression que c’est la réunification qui va arriver en premier ! [Rires] La femme coréenne, sa position, sa place sociale et l’attitude qu’elle devrait soi-disant avoir en public, sont très liées à l’aspect patriarcal de la société. Mais de nos jours, les jeunes femmes changent beaucoup, moi y compris. Il n’est pas question de vivre suivant le modèle de la femme soumise – « sois belle et tais-toi » – et de nombreux jeunes ne souhaitent pas reproduire ce modèle.
Le mariage en Corée du Sud, c’est l’enfer ?
[Rires] Tout dépend avec qui on se marie et quel genre de vie on mène après le mariage. Mais personnellement, je fais en sorte de partager les charges de façon équitable avec mon mari et c’est plutôt une chose heureuse dans cette configuration. Mon seul bémol sur le mariage, c’est qu’il change la relation et que le couple n’est plus tout à fait le même qu’au moment où l’on sortait juste ensemble.
Extrait de "Bad Scene", le second court-métrage de la réalisatrice Jeon Go-woon, qui dénonce ici les traitement subits par actrices sud-coréennes. (Crédit : Jeon Go-woon)
Extrait de "Bad Scene", le second court-métrage de la réalisatrice Jeon Go-woon, qui dénonce ici les traitement subits par actrices sud-coréennes. (Crédit : Jeon Go-woon)
Votre second court-métrage, Bad scene, dénonçait dès 2012 le traitement réservé aux actrices lors des castings ou des tournages. Un an après #MeToo, les choses ont-elles changé sur les plateaux ?
Je ne pense pas que ce genre d’attitudes ou de situations puisse changer du jour au lendemain, même s’il y a eu un impact du mouvement #MeToo dans le cinéma coréen. J’ai remarqué que les hommes font beaucoup plus attention quand ils s’adressent à des actrices. Un exemple : avant, il était très banal d’entendre des commentaires du type : « T’as vu unetelle, comme elle est bien foutue », « sa poitrine ceci », « ses jambes cela ». Ce sont des choses que je n’entends plus sur les plateaux ces derniers temps et cela me fait un bien fou. Juste le fait qu’ils prennent ces précautions-là, c’est déjà quelque chose d’assez énorme et j’en suis très contente. Mais dans l’absolu, je ne trouve pas que le système ou l’ambiance aient drastiquement changé. On en est encore loin. Lorsque je travaillais sur d’autres films, j’ai été témoin de tellement de propos sur les femmes. Qu’elles soient de l’équipe technique, du maquillage, du stylisme, de la photo, les femmes étaient mises sur des sortes de listes, de classement des jolies filles… Rien que ces conversations… C’est quelque chose qui m’énerve et qui me révolte, je me sens tellement humiliée, cela me fatigue et cela arrive encore beaucoup aujourd’hui.
A voir, la bande-annonce de Microhabitat par Jeon Go-woon :
Dans Microhabitat, pourquoi Miso reste-t-elle à Séoul malgré ses difficultés ?
C’est une question que je me suis beaucoup posée en tournant ce film. C’est vrai que dès qu’on sort un peu de Séoul, qu’on habite dans les environs, le coût du logement n’est pas aussi prohibitif et c’est plus simple financièrement. Mais je voulais vraiment que le film tourne autour du rapport entre Miso et Séoul. Il fallait que cela raconte cette histoire-là dans ce cadre-là. Si j’avais fait sortir Miso de Séoul, j’aurais cassé les règles de mon film, donc ce n’était pas possible. Pour ma part, je sais que je galère, mais je continue à vivre à Séoul et je ne veux pas la quitter parce que c’est là où sont mes amis et qu’on est tous dans la même situation.
Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
Extrait du film sud-coréen "Microhabitat" de Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
A la fin du film apparaît une tente plantée, pleine de lumière, au milieu des immenses buildings. Est-ce qu’il faut se réjouir pour Miso, ou est-ce qu’elle ne pourra jamais vraiment s’en sortir ?
Cette scène de fin a fait beaucoup parler en Corée, mais ce que je trouve intéressant, ce sont les réactions très différentes de la part des spectateurs en fonction de leur nationalité. En général, les spectateurs sud-coréens ont le sentiment que Miso a touché le fond et que c’en est fini pour elle. En revanche, une majorité de spectateurs étrangers voient dans l’image une forme de délivrance et de liberté pour le personnage. J’ai voulu dire que pour conserver ses plaisirs à Séoul – pour Miso, il s’agit juste d’apprécier de bons whiskys et de fumer des cigarettes -, on est obligé de vivre sous une tente.
Avez-vous de nouveau projets ?
Je ne pense pas encore vraiment à l’avenir parce que le présent m’accapare beaucoup. Je viens tout juste de terminer un court métrage avec quatre réalisateurs et une amie musicienne. On n’a pas encore le titre mais cela sortira probablement sur Youtube ou Netflix.
Propos recueillis par Gwenaël Germain, avec Kim Ah-ram pour la traduction
Extrait de "Microhabitat" de la réalisatrice sud-coréenne Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)
Extrait de "Microhabitat" de la réalisatrice sud-coréenne Jeon Go-woon. (Crédit : Jeon Go-woon)

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.