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Élections en Malaisie : choc des titans sur fond de crise politique

Duel fratricide pour les élections du 9 mai en Malaisie : l'ancien Premier ministre Mahathir Mohammad (à gauche) se présente contre l'actuel chef du gouvernement Najib Razak (à droite). (Source : Mothership)
Duel fratricide pour les élections du 9 mai en Malaisie : l'ancien Premier ministre Mahathir Mohammad (à gauche) se présente contre l'actuel chef du gouvernement Najib Razak (à droite). (Source : Mothership)
La vidéo dure moins d’une minute. La scène se passe visiblement sur un pont où des macaques semblent prendre un malin plaisir à arracher une bannière bleue accrochée à une rambarde. En apparence, rien de très palpitant. Sauf quand la banderole en question est celle du Barisan Nasional, la coalition multiethnique au pouvoir en Malaisie depuis l’indépendance en 1957. En pleine campagne pour le scrutin général du 9 mai prochain, les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Alors que le Premier ministre Najib Razak vient de retailler la carte électorale à son avantage, nul besoin d’un dessin pour percevoir le sous-entendu derrière cette vidéo devenue virale : « Même les singes détestent le gouvernement ! »
Voilà plusieurs mois que la Malaisie vit au rythme des meetings et des prises de paroles. Les Malaisiens se préparent à aller aux urnes dans le cadre des élections générales après plusieurs semaines de suspens. Le Premier ministre sortant Najib Razak a en effet longtemps maintenu le flou sur la convocation du scrutin, alors que la Constitution prévoit la tenue d’élections tous les quatre à cinq ans. Le chef du gouvernement est un habitué des coups politiques. Le 6 avril dernier, Najib Razak est venu lui-même annoncer la dissolution du parlement, invitant à cette occasion les électeurs à venir voter le 9 mai prochain. Le climat politique est pourtant loin d’être serein. Démagogie permanente, coups bas et autoritarisme sur fond de crise politique, ces élections ont pris des allures de choc des titans ! Najib se voit opposé à son mentor, l’ancien Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad (1981-2003). Le grand âge rime ici avec des taux d’opinion favorables élevés. A 92 ans, Mahathir jouit toujours d’une immense popularité dans le pays.
Regarder la vidéo « Même les singes détestent le gouvernement » :

Scandale politique et tensions ethniques

*La société malaisienne est composée de 50,1 % de Malais, 27 % de Chinois et 7 % d’Indiens.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2009, Najib Razak doit maintenir à flot une coalition gouvernementale confrontée à de nombreuses difficultés. Malgré la mise en place de la politique « Satu Malaysia » (« Une Malaisie »), censée unifier la société malaisienne par-delà les différences ethniques**, le Barisan Nasional (BN) ne parvient plus à convaincre. Lors des dernières élections en 2013, le BN a pour la première fois perdu en termes de voix. Grâce à un système électoral qui lui est favorable, il a néanmoins pu transformer 47 % des suffrages en 61 % des sièges à la Chambre basse. Ce déficit chronique de légitimité politique a été renforcé par le scandale financier qui a éclaboussé le Premier ministre à l’été 2015. Selon un article publié le 2 juillet 2015 dans le Wall Street Journal, Najib Razak aurait reçu sur son compte personnel quelque 2,6 milliards de ringgits (700 millions de dollars) du fonds public d’investissement 1MDB qu’il a lui-même créé. Cette affaire continue d’ébranler le pouvoir aujourd’hui. Des enquêtes sur 1MDB ont été ouvertes dans plusieurs pays, de Singapour jusqu’en Suisse, faisant plonger la monnaie nationale face au dollar et à l’euro.
La contestation gronde dans les rangs même de l’United Malay National Organisation (UMNO), le parti du Premier ministre. Des critiques se font entendre aussi bien chez les partisans de Mahathir qu’au sein du gouvernement. Le vice-premier ministre a ainsi demandé au chef du gouvernement de s’expliquer. Ce dernier a répondu à ces accusations par une purge de toutes les voix critiques au sein de l’appareil d’État. Certains députés de l’UMNO ont ainsi été arrêtés et placés en détention. D’où l’émergence du mouvement Bersih qui a organisé une série de manifestations inédites contre le gouvernement à Kuala Lumpur. Les 29 et 30 août 2015, 100 000 personnes sont descendues dans la rue pour demander plus de transparence et de démocratie dans le pays. Accusée de vouloir mettre fin aux privilèges inscrits dans la Constitution dont jouissent les Malais, l’opposition a dû faire face à une virulente réaction nationaliste, le gouvernement laissant faire les choses et entretenant un climat de tensions ethniques.

Découpage électoral et attaques contre l’opposition

Depuis lors, le BN a perdu sa légitimité et sa crédibilité auprès des Malaisiens. Ce n’est pas faute d’excellents résultats économiques, et d’avoir promis aussi un développement accru grâce aux partenariats noués avec la Chine. Mais cela n’a pas empêché la scission du parti dominant de la coalition en août 2016. Emmenés par Mahathir Mohamad, les sécessionnistes se sont rapprochés d’organisations que l’ancien Premier ministre a combattues durant toute sa vie politique. Notamment le Democratic Action Party à majorité chinoise et le People’s Justice Party d’Anwar Ibrahim que Mahathir a fait jeter en prison en 1998, et qui y croupit encore. Au nom de la lutte contre Najib, les ennemis d’hier ont trouvé le chemin d’une nouvelle coalition : Le Pakatan Harapan,, ou « Pacte de l’espoir ».
*Responsable de l’opposition, fondateur du Peoples’s Justice Party, ancien vice-premier ministre et ancien ministre des Finances, Anwar Ibrahim a été condamné à cinq ans de prison en 2015 pour sodomie. De nombreuses organisations des droits humains ont parlé d’un procès politique.
L’espoir fait vivre, mais il manque ici de clarté. La coalition des frondeurs a fait de Mahathir son candidat au poste de Premier ministre. Mais en cas de victoire, ce dernier n’y resterait que pour un intérim de quelques mois, le temps de faire libérer Anwar Ibrahim*. Les partisans de Najib ont beau jeu de railler le flou qu’entretient le Pakatan. Selon ces derniers, Mahathir ne ferait que critiquer ce qu’il faisait lui-même lorsqu’il était Premier ministre. Le « Pacte de l’espoir » est également attaqué par la coalition islamiste menée par le Parti Islamique Pan-malaisien (PAS) sur des bases très proches de celle du gouvernement. Cette convergence de vues suscite des critiques. Elle laisse imaginer des arrangements, y compris financiers, entre l’UMNO et le PAS. Résultat : la coalition formée autour du petit Parti Socialiste de Malaisie est marginalisée et peine à faire entendre sa voix.
C’est d’autant plus vrai que la campagne précédant ce 14ème scrutin général de l’histoire du pays est marquée par la démagogie et l’autoritarisme. Afin de conserver le pouvoir, Najib Razak utilise tous les moyens de l’État. Il a ainsi fait un cadeau aux fonctionnaires, en leur proposant une avance sur salaires pour les vacances. De son côté, la commission électorale a dégainé sa paire de ciseaux, mais peut-être s’agit-il d’une serpe tant le redécoupage des circonscriptions vise à donner un avantage au BN. La commission a également interdit au Pakatan Harapan d’utiliser son logo pendant le scrutin. Et pour enfoncer le clou, le pouvoir a même tenté de dissoudre le parti de Mahathir. La procédure a été suspendue, mais le parti n’a pas le droit de figurer explicitement dans le matériel électoral.

Fake News et concours de démagogie

Principal opposant maintenu en prison, volonté d’écarter le nouveau rival, le gouvernement vient de dégainer sa nouvelle arme pour tenter de dissoudre l’opposition. La liberté de la presse a encore pris un coup en Malaisie. Le parlement a voté le 2 avril dernier une « loi anti-fake news » pour le moins sévère et très floue là encore sur ses critères. La loi prévoit jusqu’à dix ans de prison pour les auteurs de « fausses informations ». L’opposition et les défenseurs des droits de l’homme ont immédiatement critiqué la mesure, craignant qu’elle ne soit utilisée pour museler toute critique des autorités. Cette législation n’empêche pas Najib Razak de répandre lui-même des rumeurs. Le Premier ministre lui-même a tenté de faire peur aux militaires en affirmant que l’arrivée au pouvoir du Pakatan Harapan signifierait la dissolution des régiments malais au sein de l’armée.
Najib Razak n’est pas le dernier non plus en matière de démagogie lorsqu’il s’exprime à propos des ethnies. L’objectif étant, là aussi, de discréditer la principale force d’opposition. Le chef du gouvernement entretient notamment l’idée que Mahathir ne serait qu’un pantin entre les mains du Democratic Action Party, un parti présenté comme chinois et anti-malais. Il a même sous-entendu que le Pakatan pourrait être lié à des organisations sionistes. La rumeur est malheureusement porteuse en terme électoral, dans un pays où 60 % de la population est musulmane et où l’assassinat d’un scientifique palestinien le 21 avril dernier a été attribué aux services secrets israéliens.
En attisant les tensions ethniques et religieuses, Najib espère créer un bloc malais autour de l’UMNO pour garantir la victoire du BN. Il multiplie aussi les promesses et les annonces sur les questions économiques. L’actuel gouvernement promet, s’il est reconduit, de réduire les tarifs des péages et de rendre fériés les 10 et 11 mai. De son côté, le Pakatan n’est pas en reste question démagogie. L’opposition garantit qu’elle abolira la TVA mise en place en 2015. Par ailleurs, les échanges rugueux dans les débats télévisés ne font rien pour apaiser les esprits. Devant les caméras, Mahathir a ainsi invité Najib à venir se battre avec lui.

Croissance et communautarisme

*Bridget Welsh, The End of UMNO? Essays on Malaysia’s Dominant Party, Strategic Information and Research Development Centre, Petaling Jaya, 2016. **N. Fau, « Malaisie : crise de la politique intérieure, contradiction de la politique extérieure », in Asie, J-L Racine (dir), La
Documentation Française, coll. Mondes émergents, Paris, 2016, pp. 87-103.
Malgré la crise de légitimité traversée par le Barisan Nasional et l’union sacrée d’une partie de l’opposition autour du populaire Mahathir, les résultats des élections ne font guère de doute. Avec un système électoral taillé sur mesure, le BN a toutes les chances de conserver la direction du pays, sachant que de nombreux Malaisiens retirent de grands avantages économiques de sa gouvernance. Les perspectives de croissance sont excellentes selon la Banque Mondiale, et le réseau clientéliste mis en place par le BN fonctionne à plein régime. En 2014, 63 % des Malaisiens ont touché des allocations en période électorale, note Bridget Welsh, spécialiste de la Malaisie*. Le véritable enjeu de ces élections réside dans le comportement des électeurs. Depuis 1957, le pouvoir fonde sa vision de la société sur des clivages ethniques. Désormais et depuis un sondage de 2015, plus de la moitié des Malaisiens rejetteraient les partis communautaires**. Ces quatorzièmes élections générales marqueront-elles la fin du politiquement correcte en matière de communautarisme politique ?
Par Victor Germain

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A propos de l'auteur
Spécialiste de la Malaisie, Victor Germain est chargé d'études à l'Institut de recherche stratégique de l’École Militaire (IRSEM). Diplômé de Sciences Po Paris en science politique et relations internationales, il a également étudié à l'Universiti of Malaya à Kuala Lumpur. Il est l'auteur d'un mémoire universitaire à l'IEP de Paris sur le populisme dans la politique étrangère de la Malaisie.