Malaisie : quel avenir pour le mouvement Bersih ?
Entretien
Née en Malaisie en 1982, Charis Quay est la représentante francophone de Global Bersih, l’association de droit suisse qui soutient à l’étranger le mouvement Bersih en Malaisie. Elle a fait la majeure partie de ses études aux Etats-Unis, à Mount Holyoke College, puis à l’Université de Stanford où elle fait une thèse de physique. C’est de cette époque que date son implication dans la société civile malaisienne à l’étranger. Avec des étudiants compatriotes dont beaucoup inscrits en thèse ou en master, elle crée en 2003 le Stanford Malaysian Forum, afin d’ouvrir un espace de discussion libre sur son pays. « Beaucoup d’entre nous étaient en troisième cycle, raconte-t-elle, et notre idée était donc d’apporter une approche rationnelle et plus académique aux problèmes de notre pays. Nous voulions libérer la parole, car c’était la fin de l’époque de Mahathir [Mohamad, l’ancien Premier ministre] où c’était très difficile de dire les choses. » L’association étudiante est devenu ensuite le Malaysia Forum, qui s’est étendue à d’autres universités aux Etats-Unis et à l’étranger.
Après sa soutenance de thèse, Charis Quay envisage un retour au pays pour travailler dans l’administration publique. Mais elle choisit d’abord un détour par un « pays hors-piste pour les Malaisiens », selon son expression : la France, où elle s’installe en 2008, pour « voir comment fonctionnent les choses et pouvoir apporter [ses] connaissances en Malaisie ». Elle atterrit à Saclay, au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), où elle travaille comme chercheur postdoctoral en physique quantique. Deux ans plus tard, elle est embauchée en tant que maître de conférence à l’université Paris Sud, rattachée au laboratoire de physique des solides.
En 2011, le 9 juillet 2011, la « marche pour la démocratie » organisée par la « Coalition for Clean and Fair Elections », dont l’acronyme est Bersih (« clean » en malais), a un retentissement mondial. Elle est connue sous le nom de « Bersih 2.0 » car elle fait suite à une première manifestation de Bersih en novembre 2007. Le rassemblement de 2011 provoque plus d’une trentaine de manifestations spontanées dans diverses grandes villes du monde, dont Paris. Dans la capitale française, Charis Quay fait naturellement partie des organisateurs : une cinquantaine de personnes se regroupent au Trocadéro. Cette mobilisation débouche sur un mouvement international, le Global Bersih, une association de droit suisse dont Charis est membre fondateur du comité de pilotage, où elle est en charge des organisations francophones. Entretien.
Dernièrement dans le pays, il s’est produit un grand nombre de « fuites » de documents hors du « système », c’est-à-dire du service public ou d’autres organisations ou entreprises liées à l’Etat. Le Malaysian Insider avait justement publié des articles sur certains dossiers sensibles en s’appuyant sur des sources du service public. Et en particulier sur l’affaire 1MDB. Les fonctionnaires en Malaisie sont liés par l’Official secret act, qui les empêche de rendre public des documents gouvernementaux. On peut supposer qu’il y a des fonctionnaires (ou assimilés) qui voyaient des choses, qui étaient empêchés d’en parler, qui n’en pouvaient plus et qui allaient ainsi voir les médias, notamment le Malaysian Insider.
Bersih regroupe aussi Lawyers for Liberty. Mais également des organisations plus régionales qui représentent des groupes particuliers. A l’image de l’Islamic Renaissance Front, qui est un des groupes islamiques les plus ouverts en Malaisie, tout comme Sisters of Islam, qui se bat pour les droits des femmes. Rise of Sarawak Efforts est une ONG focalisée sur cet Etat de la fédération malaisienne situé sur l’île de Bornéo et sur son processus électoral (des élections sont prévues cette année). L’University of Malaya, la plus ancienne du pays, est représentée par un groupe d’étudiants. On peut dire que la plupart des grandes ONG malaisiennes sont représentées dans la coalition Bersih 2.0.
Ensuite Bersih, avec d’autres ONG comme Tindak Malaysia, a formé les PACABA (Polling agent/Counting agent/Barung agent). Ce sont des gens qui comptent les votes et reçoivent les électeurs dans les bureaux de vote. Des formations ont été organisées pour les civils à côté des personnes nommées par la commission électorale, souvent des fonctionnaires. C’est très important pour que les gens aient une connaissance complète du droit des électeurs et de ce qui fait une élection transparente. Si toutes les personnes étaient bien formées dans les bureaux de vote, cela réduirait d’autant les irrégularités. Par ailleurs, Bersih a produit aussi beaucoup de matériels pour la sensibilisation des électeurs à leurs droits, toujours dans le but de réduire les irrégularités.
Le scandale 1MdB nous concerne de très près. Il y a en effet des accusations selon lesquelles une partie de cet argent [transféré frauduleusement, NDLR] aurait été utilisé pour les élections. D’ailleurs récemment, un membre du gouvernement a dit que 1 milliard de ringgits [plus de 216 millions d’euros, NDLR] avaient été dépensés pour les élections [de 2013, NDLR]. D’où vient cet argent ? En principe, la commission électorale limite les dépenses de chaque candidat. N’y a-t-il pas eu de violation de la loi électorale ? Aujourd’hui, nous n’avons pas pas de réponse claire.
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