Société
Entretien

MH370 : "L'avion n'a pas disparu"

Mur de la mémoire lors d'un rassemblement deux ans après la disparition le 8 mars 2016 du Boeing MH370 de la Malaysian Airlines
Mur de la mémoire lors d'un rassemblement deux ans après la disparition le 8 mars 2016 du Boeing MH370 de la Malaysian Airlines, à The Square, Publika, à Kuala Lumpur, le 6 mars 2016. (Crédits : CITIZENSIDE / AIMAN ARSHAD / CITIZENSIDE.COM / CITIZENSIDE / via AFP)
C’était il y a deux ans, un Boeing 777 de Malaysian Airlines prenait son vol depuis Kuala Lumpur par une nuit étoilée. Il n’est jamais arrivé à Pékin. Où est passé le vol MH370 ? Deux ans après le drame, le deuxième rapport d’étape publié par les enquêteurs ce mardi 8 mars ne fournit aucune information nouvelle qui explique la disparition de l’appareil. Malgré les recherches dans le sud de l’Océan Indien dirigées par l’Australie et des débris supposés de l’avion retrouvés à la Réunion et au Mozambique, rien pour l’instant n’a permis de localiser l’épave de l’appareil. L’enquête de la journaliste Florence de Changy vient relancer l’affaire.

Le MH370 n’a pas disparu, c’est le titre de l’ouvrage que publie ces jours-ci notre consœur aux éditions Stock. La correspondante du Monde et de RFI à Hong Kong reste en effet persuadée que les Etats de la région sont loin d’avoir tout dit sur ce qui demeure l’un des plus grands mystères de l’aéronautique moderne.

Contexte

Très peu d’informations dans le rapport de trois pages publié par la Malaisie ce mardi 8 mars pour marquer le deuxième anniversaire de la tragédie du MH370. Que ce soit sur les causes du désastre ou la localisation de la carcasse du Boeing 777. « Jusqu’à présent, le MH370 n’a toujours pas été trouvé, malgré des recherches ininterrompues dans le sud de l’Océan Indien », reconnaît le rapport, qui précise que les enquêteurs sont « en train de finaliser leurs analyses, leurs trouvailles et leurs conclusions, ainsi que les recommandations de sécurité ». L’enquête se poursuit autour de 8 zones peut-être liées à la catastrophe, mais aussi sur les profils de l’équipage de bord, sur une étude de la cargaison de l’appareil et sur l’examen des causes du détournement de l’avion de sa route aérienne normale.

Ce mardi 8 mars, les enquêteurs ont déclaré qu’un « rapport final pourrait être publié seulement après la fin des recherches menées par l’Australie dans l’Océan Indien ou dès que la carcasse de l’avion disparu aura été retrouvée ». Pas un mot dans le rapport de ce jour sur un flaperon, une pièce d’un possible débris de l’appareil, retrouvée le mois dernier sur une plage du Mozambique. Un porte-parole de l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB), qui mène les recherches, a déclaré au quotidien britannique The Guardian que cette pièce de métal d’environ un mètre de long devait encore être transférée à Canberra pour être examinée.

Lorsqu’il a disparu des radars, le MH370 transportait à son bord 12 membres d’équipage et 227 passagers de 14 nationalités différentes, dont 153 Chinois, 38 Malaisiens et 4 Français.

Florence de Changy, journaliste et correspondante du Monde et de RFI à Hong Kong.
Florence de Changy, journaliste et correspondante du Monde et de RFI à Hong Kong. (Source : Twitter)
Deux ans après les faits, nous sommes toujours sans nouvelle de cet avion fantôme. Il faut revenir au départ de l’affaire, que s’est-il passé le 8 mars 2014 dans la nuit malaisienne ?
Florence de Changy : Au départ, tout va pour le mieux, les 40 minutes qui suivent le décollage se passent sans incident. La météo est bonne, l’ascension parfaite… On imagine que le service à bord a commencé, et au moment où l’avion atteint sa première altitude de croisière, à environ 35 000 pieds, on le perd. Le pilote vient alors de dire « au revoir » à la tour de contrôle malaisienne. Le « bonjour » aux contrôleurs aériens vietnamiens ne sera jamais prononcé.
Nous sommes au deuxième rapport d’étape, les recherches dirigées par l’Australie dans les profondeurs de l’océan indien se déroulent sur une zone de 120 000 km2. Ce sont, on l’a répété, les plus importantes et les plus chères de l’histoire. Et pourtant, il manque toujours des éléments dans le dossier…
Oui, il manque quasiment toutes les pièces de cette enquête et c’est ce que je montre dans ce livre. Il manque surtout ce qui permettrait d’étayer la version officielle à savoir « l’acte délibéré » du pilote qui aurait fait demi-tour. On n’a toujours aucune image par exemple, dans le rapport, des échos radars de l’avion qui a survolé la Malaisie. Aucune trace non plus des « pings » de la société Inmarsat que nous a servi la version officielle sur un plateau mais qui n’a jamais voulu livrer ses données brutes permettant de les confronter à d’autres scientifiques. Or, ce sont ces données de la société britannique Inmarsat qui ont permis aux enquêteurs d’expliquer que l’avion aurait volé jusqu’à 8h19. Le problème, c’est que rien d’autre en dehors de ce qu’affirme Inmarsat ne permet de corroborer cette hypothèse. Et les recherches qui ont lieu avec des moyens très importants déployés dans l’océan indien semblent indiquer aussi qu’on n’est pas au bon endroit.
Selon les enquêteurs, le MH370 a traversé l’espace aérien de plusieurs grands pays d’Asie du Sud-Est, et très peu d’échos radars ont été fournis au dossier, notamment lors de la traversée du ciel malaisien…
Ce n’est pas qu’il y en a très peu, c’est qu’il y en a aucun. C’est ahurissant. Je connais quelqu’un qui a travaillé principalement sur cette question des radars. Il s’agit d’un physicien nucléaire résidant aux Etats-Unis. Il a écrit une lettre dans laquelle il a listé tous les problèmes liés aux radars et finalement les Malaisiens lui ont dit qu’il y aurait des réponses à ses questions plus tard, mais il faut comprendre qu’à ce stade, il n’y a pas eu un écho radar primaire révélé au public par la Malaisie et par aucun des autres pays concernés.
Dans votre ouvrage, vous parlez d’une communauté de passionnés de la disparition du vol « MH370 » que vous avez surnommés les « MHistes ». Parmi eux se trouve un avocat américain, un homme qui a mis sa fortune au service de la recherche de débris de l’appareil…
C’est un personnage dont on parle en ce moment, puisque c’est lui qui a trouvé un supposé morceau de l’avion sur un banc de sable au Mozambique. C’est quelqu’un qui s’est rendu en Himalaya, à la Réunion ; il est allé aux Maldives et en Australie. Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’il a eu accès au vice premier ministre australien, à quelqu’un de l’ATSB (le bureau de la sécurité des transports en Australie). Il a aussi rencontré quelqu’un de l’Université de Western Australia qui lui a dit : « Vous savez, si j’étais vous j’irais au Mozambique ! » Comme il a un budget qui semble illimité, il est allé au Mozambique. Il « chartérise » alors un bateau, et voilà que… sur un banc de sable au large du Mozambique, qu’est-ce qu’il trouve ce monsieur à quelques jours de la remise du rapport des autorités malaisiennes ? Il trouve un morceau d’avion qui pourrait bien provenir d’un Boeing triple 7. Ce morceau n’est pas numéroté dans le dossier et rien ne prouve à priori qu’il s’agisse du MH370. Un ministre malaisien s’est quand même précipité en disant que l’appartenance du débris à l’avion disparu était « hautement probable », sans même avoir examiné ce nouvel élément. Et on parle ici du même ministre qui avait confondu une base de machine à coudre avec un hublot au mois d’août dernier. Bon après, comme à chaque fois, la machine médiatique s’est mise en route pour dire, que c’était peut-être une nouvelle trace du MH370.
MH370 c’est aussi une affaire chinoise, le plus grand nombre de passagers à bord étant de nationalité chinoise. Que dit Pékin sur cette disparition ?
Eh bien pas grand-chose, justement. La Chine est extraordinairement discrète, voir muette sur cette question. Le sujet est tabou. Si mon livre est publié en chinois, il sera censuré en Chine comme tout ce qui a trait au MH370. Pékin a permis aux familles de s’exprimer tant que leur colère visait la Malaisie, mais à part ça, les familles ne sont pas soutenues.
Autre silence surprenant, celui des États-Unis. On a peu entendu Washington sur ce dossier.
C’est aussi quelque chose que j’ai tenté d’observer de près, c’est très étrange, c’est inexplicable… Au début, la Maison Blanche a oublié de présenter ses condoléances ; alors cela peut s’expliquer par le fait qu’on ne savait pas où était passé l’avion. Enfin, on était sûr que quelque chose de catastrophique était survenu et les Américains ont oublié, disons, de présenter leurs condoléances. Ensuite, ils se sont très peu impliqués à l’inverse de ce qu’ils font normalement dans la région. Les États-Unis sont très présents dans le Pacifique et l’Océan Indien, ils ont les moyens d’aider. Il y avait des exercices militaires sur place dirigés par les États-Unis, on n’en a jamais entendu parler. Tout cela pose un peu question effectivement.
Où est cet avion ? Vous éliminez dans ce livre les hypothèses les plus farfelues pour n’en retenir que quelques-unes ? L’avion a-t-il été détourné vers la base américaine de Diego Garcia ? A-t-il été abattu par un missile ? S’agit-il d’un acte terroriste sans revendication ? Le pilote est-il devenu fou ? Vous avez enquêté auprès des proches du pilote, et vous semblez écarter cette hypothèse. Parmi les pistes retenues, il y a celle de l’avion fantôme, de l’incendie à bord. Les enquêteurs ont évoqué la présence de piles au lithium en soute…
Il y a énormément de choses bizarres. On s’aperçoit par exemple qu’aujourd’hui, la liste des passagers n’est toujours pas à jour. Qui était vraiment dans cet avion, cela reste une grande question… Que transportait véritablement cet avion, en reste une autre. J’ai regardé d’aussi près que possible les documents qu’on a sur le cargo. Il y a beaucoup de problèmes avec la cargaison, y compris la présence de 4 tonnes et ½ de mangoustan, qui certes est un fruit délicieux, mais ce n’était pas la saison et la Malaisie n’en exporte pas vers la Chine. Il y a au moins dix raisons d’affirmer que ce n’était pas 4 tonnes et 1/2 de mangoustan, mais autre chose que transportait cet avion. Est-ce de l’ivoire qui vient d’Afrique ? Est-ce que ce sont des écailles de pangolin ? Impossible de répondre. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des problèmes avec la cargaison et la liste des passagers.
Vous retenez plusieurs scénarios possibles pour expliquer la « non-disparition » du MH370 et notamment le KISS…
C’est un clin d’œil à l’acronyme militaire américain. KISS, ça veut dire « Keep it, simple stupid » ; autrement dit, restons simples et trivial. Qu’est-ce qui a pu se passer ? Puisqu’il n’y a rien qui confirme et qui corrobore cette version officielle hyper compliquée, pourquoi ne pas raisonner de manière triviale ? Je me suis appuyée sur cette idée en me rappelant de ce que m’avait dit un amiral malaisien au début de cette enquête. « J’ai passé quarante ans de ma vie a observé des radars, me disait-il. Pour un bateau comme pour un avion quand on disparaît d’un radar, c’est qu’on disparaît tout court ! On coule ou on explose, c’est comme ça qu’on disparaît d’un radar ! » C’est ça mon « KISS scénario », c’est le scénario du crash sur place. A ma grande surprise, en cherchant des indices dans la région du point de départ, j’en ai trouvé beaucoup. Beaucoup plus en tous cas que l’absence totale d’indices qu’on a dans l’Océan Indien. Ce qui est sûr, c’est qu’un Boeing 777 bourré d’électronique, avec 239 passagers à bord et des centaines de téléphones portables ne peut pas se volatiliser comme ça, au nez et à la barbe des radars et des satellites, dans l’une des zones les plus militarisées de la planète.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.